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176819 février 2014 ... Lorsqu’on a écrit, dans le tout récent Carnet de bord (La Grâce... Carnet de bord-5 du 8 février 2014), «Le site ‘dedefensa.org’ ne va pas pour autant devenir le “site d’un livre” (même si ce livre entend se faire en trois tomes)...», j’avoue que ma plume était hésitante et presqu’un peu brouillonne. (Citation complète de la phrase : «Le site ‘dedefensa.org’ ne va pas pour autant devenir le “site d’un livre“ (même si ce livre entend se faire en trois tomes), mais certainement ce livre-là va en être la colonne vertébrale, le signe de ralliement, la référence et le symbole.») Cela est écrit, en introduction du propos, pour faire mesurer une fois de plus (y compris pour cette chronique, – voir le 19 décembre 2013), l’importance ontologique du livre ; mais très vite, on s’en apercevra, pour aller à un autre type de propos, qui a la grâce et la faiblesse à la fois du destin personnel, qui prétend pourtant à l’exposition d’un phénomène objectif qui n’est pas sans intérêt ni importance.
Faut-il que je me présente dans cet aspect très spécifique de ma passion de l’écrit ? Allez donc à cet autre texte mis en ligne aujourd’hui, ce même 19 février 2014, sorti d’une autre œuvre monumentale de PhG qui, sans guère de doute, ne verra jamais le jour en tant que telle et pourrait se perdre dans les dédales affreux de l’oubli, – à moins d’espérer dans le choix de «l’éternel présent» (voir le 19 janvier 2014) qui, lui, sait bien ce qu’il faut sauvegarder du temps qui passe et ce qu’il faut laisser à l’“écume des jours”. Ce texte-là vous parle d’une “passion si française”, la mienne, cette passion à la fois de survie qui angoisse et de promesse tragique qui élève, qui est celle d’écrire. Il ne s’agit pas d’une passion pour laisser une trace, même si le Ciel en décidait dans ce sens, mais d’abord d’une passion d’un être pour exister et se justifier d’exister à la fois. Enlevez-lui sa plume et il meurt par dessèchement, comme une plante privée d’eau.
Relisant ce passage des Mémoires du dehors qui est situé dans le contexte des années 1960 de l’auteur, tout en tenant compte des éléments plus récents de sa carrière jusqu’à La Grâce de l’Histoire, j’ai été presque surpris de constater combien il constitue la chronique d’un échec complet (le mien) vécu avec une certaine alacrité parfois presque joyeuse, non pas comme preuve d’une valeur (“qui échoue dans nos époques de contre-civilisation est valeureux”, ce qui n’est pas faux pour partie mais stupide dans l’absolu), mais comme capacité d’indifférence au succès social et mondain comme mesure de quoi que ce soit, en bien ou en mal, ou en n’importe quoi. En effet, j’ai écris beaucoup, j’ai publié bien peu et je n’ai jamais connu ce qu’on pourrait qualifier de “succès” dans le monde littéraire et assimilé, et dans le monde intellectuel tout court (ou tout long, hein), et pourtant jamais le découragement ne m’a visité de quelque façon que ce soit. J’ai été et reste surpris de cette opiniâtreté, de cette sûreté d’un destin, en un mot de cette foi qui fut la mienne. (“Foi”, du latin fides n’est-ce pas, c’est-à-dire “confiance”...)
...Mais j’emploie le passé (“cette foi qui fut la mienne“), et soudain ma plume tressaille. La forme m’est venue très naturellement, je l’avoue, et ce phénomène introduit alors le véritable sujet de cette chronique qui, à côté d’une “passion si française”, embrasse l’idée d’une “angoisse si humaine”. Si j’en viens à cela, c’est parce que j’en viens à parler d’un sujet qui nous est actuel, à nous et à vous, à dedefensa.org et à ses lecteurs, qui suscite dans le sentiment du chroniqueur un de ces instants du “désespoir le plus sombre” qui est cité dans le texte référencé des Mémoires du dehors... Je reprends ici une partie du passage :
«Je pourrais dire que, pour ce domaine de ma passion essentielle, pour cette passion que je me suis donnée, je suis un écrivain notablement, anonymement et parfaitement raté. Aucune mesure sociale ne me donnera jamais le moindre baume à mettre sur cette blessure. Cela n’est pas si grave mais cela doit être dit, et cela doit être su. Sans en dire plus, il me semble que cela justifie le désespoir le plus sombre, dans quelques instants fugitifs pas plus, lorsque je cède à la tentation des nourritures terrestres, — quelques instants fugitifs. Cette passion froide qui me brûle secrètement, qui embrase silencieusement mon âme, colore ma pensée, sans aucun doute, et pèse de toute son incroyable puissance dans mon jugement sur les hommes, cette passion se retourne alors contre moi et, pour un instant, se fait châtiment suprême en me faisant goûter l’amertume terrible du désespoir. »
... Il se pourrait que je côtoie l’un ou l’autre de ces instants du “désespoir le plus sombre”, même si, curieusement, je semble en parler comme avec un certain détachement. Il y a certainement une explication à trouver dans l’enthousiasme avec lequel, une fois passées les prémisses des hésitations et des interrogations auxquelles ma nature me soumet devant toute nouveauté, j’ai embrassé l’internet au travers de ce site dedefensa.org. Une partie non négligeable de cet emportement était due à la libération que j’y voyais pour ceux qui, comme moi, n’avaient ni pu ni voulu en passer par les systèmes et diktat en place, ou dans tous les cas ce qu’ils en imaginaient et qui n’est pas toujours conforme au vrai, pour arriver à l’expression et à la diffusion publique de leurs travaux. L’installation de dedefensa.org dans l’acquisition d’une bonne audience, affermie par le temps, avec l’établissement d’une fidélité et d’une estime réciproques, voilà qui ne démentait en rien ces espérances. Mais je ne cache pas que le but suprême, assez vite réalisé pour mon compte, et qui apparut d’une façon évidente sur le site à partir de 2009 avec l’installation des premiers travaux de La Grâce de l’Histoire, était de faire du site, en plus de ce qu’il est, un support pour l’auto-publication du travail littéraire et d’essayiste, de conteur d’un récit dont la trame rejoint la métaphysique de l’Histoire. Là est, pour mon compte, l’enjeu de La Grâce. C’est dire effectivement que, si dedefensa.org n’est pas “le site d’un livre”, il n’est pas vraiment lui-même si “le livre” (La Grâce avec ses diverses connexions, ses projets de plusieurs tomes, sa vente initiale en souscription, etc.) ne suit pas son destin en renforçant le tout.
C’est à ce point, on le comprend aisément, que mon propos devient plus précis et que la référence à “l’un ou l’autre de ces instants du ‘désespoir le plus sombre’” se comprend bien. Après que le lecteur du site ait été tenu au courant des nombreuses péripéties de l’édition de la chose, il a pu constater que le premier tome, ce Grâce de l’Histoire – Le Troisième Cercle a été mis en vente le 8 février. Je reconnais qu’au fond de moi, j’attendais, j’espérais, j’exigeais même comme un acte de reconnaissance de la part de cette aventure qu’elle ouvrît enfin le chemin qui est d’habitude réservé au Système et à ses multiples réseaux, qu’elle traçât elle-même, cette aventure, son chemin et ses multiples réseaux, et que dedefensa.org en eut sa part méritée. Je reconnais que la déception que je ressens ces jours présents est d’autant plus soulignée par le désenchantement des mauvaises surprises.
Effectivement et comme si j’ouvrais une parenthèse, voici le propos précis, net et sans bavures. (On me pardonnera cette incursion dans le réel comptabilisé, n’est-ce pas. On mesurera aussi, j’espère, l’honnêteté de l’exposition des chiffres, qui n’est pas à l’avantage de l’initiative de dedefensa.org dans sa tentative de lancer La Grâce, et qui pourrait la compromettre encore plus. Au moins, on appréciera la “transparence”, comme ils disent.) La vente de La Grâce a été lancée le 8 février ; nous avons reçu quinze commandes, quasiment toutes regroupées dans les quatre premiers jours ; depuis, plus rien. Ce temps écoulé (une grosse décade) n’est certainement pas une mesure sérieuse de ce que sera finalement l’aventure, mais il est une première indication inquiétante du rythme par le caractère tranchant de ses chiffres : ces quatre premiers jours étaient encourageants, voire presque triomphants selon nos références habituelles, puis plus rien ... “Mauvais signe”, se dit-on, car il est difficile de se dire autre chose.
Je n’ai pas le goût de la sollicitation d’une façon générale. Ainsi tenterais-je de compléter ici, en quelques lignes, ma préoccupation concernant la déception initiale, – cela peut changer, et ce texte est là pour tenter d’activer ce changement, – d’une façon qui ne sollicite rien mais qui s’étonne, et d’une façon d’ailleurs plus impersonnelle que personnelle, comme si je n’étais pas auteur et donc partie prenante en l’occurrence.
Je m’interroge, et comment ne pas s’interroger lorsque vous êtes touché par ce désenchantement dont je parle plus haut ? Faudrait-il qu’arrivé dans des eaux favorables, sinon amicales et chaleureuses, comme je croyais avec la découverte de l’internet et la mise en place de dedefensa.org, je connusse le sort ultime du désappointement imprévu, presque comme une trahison de moi-même par moi-même, retrouvant ce désappointement qui fut celui de toute ma carrière ? (Voir encore les pages des Mémoires du dehors mises en ligne aujourd’hui.) Je fus effacé et “en-dehors”, tout au long de ma carrière, dans mon impuissance, mes contradictions, mes impasses, mon incapacité à entrer dans les rails du Système, même tactiquement, pour pouvoir mieux tirer mon épingle du jeu (cela pour dire, avec bienveillance, que je ne considère pas nécessairement comme un déshonneur la réussite dans ce cadre, qu’il y en a un certain nombre qui surent réussir à l’intérieur du Système sans jamais se trahir, et c’est bien)... Enfin, j’étais comme ceci, quoi :
«J’entamai une carrière entêtée d’auteur complètement raté, — ou bien devrais-je dire que je la poursuivais en passant à l’acte, disons par un acte manqué, — avec cette première publication comme la promesse non tenue d’une gloire qui paraît encore plus élusive chaque fois que je m’en rapproche. Mes autres livres (“Le regard de Iéjov” en 1990, “Le monde malade l’Amérique” en 1999, “Chroniques de l’ébranlement” en 2003, “Les Âmes de Verdun” pour le texte, en 2008), sont également des échecs presque patentés, je veux dire qui mériteraient la qualification d’“échecs” de façon très officielle, qui établissent presque le copyright de ce que c’est qu’un échec, qui en sont le stéréotype, et ce sont aussi des ouvrages rares qui eurent quelques appréciations très élogieuses. De cette façon et me considérant selon ce passé-là, j’éprouve l’impression d’une sorte de sombre jouisseur de cette sorte de solitude, cette infortune acceptée avec hauteur, vite bue et goûtée, et même affichée avec insolence à l’occasion. Je méprise la fortune du monde comme je méprise ceux qui y sacrifient l’essentiel et même l’accessoire, et je me méprise également d’ainsi mépriser la fortune du monde. Je me perds dans les entrelacs de mes contradictions, je joue avec mes mépris comme un virtuose du billard à bandes, par la bande. Je n’ai jamais su précisément si je désirai la gloire. Je me garde de la gloire dans un monde dont je ne cesse de me défier chaque jour plus âprement et que je veux changer, et dont je sais bien qu’il faut la gloire pour pouvoir agir et espérer le changer si l’on en reste aux méthodes habituelles et aux références courantes. Pour le changement, on verra...»
... Mais je rattrape aussitôt ce que ces observations peuvent avoir de trop assombries, jusqu’au paradoxe qui, au pire, découragerait le lecteur de poursuivre sa lecture. (S’il pensait injustement, le lecteur, confondant l’œuvre et celui qui l’a produite avant de s’effacer : “S’il en est là de ses convictions d’auteur, l’auteur, à quoi bon poursuivre là où il avoue lui-même que l’on va vers l’échec ?”) Au contraire, après ce sombre passage vient l’éclat d’une sonnerie qui a tout d’un hymne à l’espérance : «Une seule chose guide ma carrière, dont je n’ai jamais su distinguer si cela était une bénédiction de l’âme ou le calvaire d’un destin. Rien n’entame ma vénération extrême, passant tout le reste, pour le livre et pour l’écriture. Rien n’y fait, surtout pas l’échec qui semble agir au contraire comme un défi appuyé sur les certitudes paradoxales que donne la solitude des êtres. Cela, le livre et l’écriture, n’est rien d’autre et de moins que l’axe de ma vie, comme si cela était une part de moi-même, faite à la fois de magie et de certitude sacrée, de l’envoûtement des rêves brumeux et magnifiques, de la rigueur des croyances séculaires et sacrées. Cet amour si ferme et dénué de tout caractère émollient, de toute cette sensualité où se perd l’amour en général, me paraît un événement si prodigieux qu’à lui seul, il me semble, il pourrait donner la clef de l’énigme qui ne cesse de me fasciner, qui est ce lien indescriptible entre l’être pur que je suis, refermé sur sa pulsation vitale, et la communauté à laquelle j’appartiens aussi (cette “communauté nationale perçue comme une entité collective, le biais de cette dépendance ‘de ce destin du monde’ dont je parle plus haut”). Ce serait un “lien du dehors” pour tenir et justifier cette appartenance, également du dehors.»
...Enfin, revenu sur ce fragment des Mémoires du dehors qui le resteront sans doute, en-dehors, je suis bien surpris de ce constant changement dans le propos de ma part et qui concerne moi-même et les sautes de mon humeur, entre découragement et espérance, découragement jamais mené à son terme, espérance toujours vivace et jamais rencontrée, entre cette impuissance d’entrer dans le jeu social (puisque le Système en est le garde-chiourme) et cette conviction que je suis non seulement utile, mais indispensable à l’évolution de la réflexion autour de l’évolution de ce jeu social... Et pour ce dernier cas, sur lequel je voudrais rester, La Grâce venue par les moyens du bord qui ne doivent rien à personne, par le site lui-même, est d’une autre nature et semble une chance unique, inédite, inespérée, de réconcilier le solitaire qui ne sut jamais s’arranger de la société parce qu’il jugeait, – peut-être faussement, qui sait ? – que la société lui interdisait de s’accomplir, avec cette société justement, mais prise différemment, abordée selon un biais nouveau, investie par un côté inédit où l’on peut espérer ne plus trébucher sur les arrangements infâmes... Ainsi, cette fois oui, avec La Grâce, l’enjeu est clair et posé, et il fait de la possible bonne fortune de ce livre un signe d’une vertu profonde, et de son très-possible échec une triste et dernière occasion perdue. Cette fois, oui, ce qui menace c’est d’échouer alors qu’on vient de poser une ligne, dans le cadre de l’internet, qui se passe des nécessités du Système, qui règle son propre destin ; alors qu’on croit avoir trouvé le geste fondamental, de tendre directement le flambeau du relais à son lecteur, hors les normes, hors les contraintes, hors des conseils imbéciles des “commerciaux” et des “conseillers en communication” que sont devenus nos éditeurs d’aujourd’hui ... Je parle du lecteur de dedefensa.org, celui-là qui, me semble-t-il, pour bien mesurer et apprécier ce qu’il lit sur ce site et en faire son propre miel fécond, devrait avoir besoin de s’instruire de l’arrière-plan, de l’infrastructure conceptuelle qui soutient la pensée qui l’anime, et dont La Grâce est la poutre maîtresse, – et en trois tomes promis, en plus. L’audience de La Grâce est une nécessité complémentaire de l’audience de dedefensa.org, ou alors mon pari, – mon “pari pascalien” à moi, – est perdu.
Ainsi, je crois m’être expliqué sur ce qui me tient à l’âme avec ce livre, et pourquoi son sort m’importe plus qu’à aucune autre occasion. Cela explique aussi pourquoi, malgré tout, malgré les augures qui ne sont pas excellents à l’égard du sort de La Grâce même dans les habitudes de ce site, malgré tout, et y revenant, je garde cette “foi” dont je parlai plus haut. (Pour ce cas, le mot, toujours du latin fides, signifiant également “droiture” et “loyauté”, et vis-à-vis de soi-même comme vis-à-vis des autres.) Je suis sûr que les lecteurs, lisant tout cela, auront tout de même senti que tout cela a tout de même à voir avec les batailles que nous menons aujourd’hui. Ainsi soit-il de La Grâce, un livre pour toutes les saisons, – à quinze exemplaires vendus, ou à dix fois plus....
Philippe Grasset
Ceci me vient à l’esprit ... Je n’exclus même pas qu’un lecteur puisse me dire, à un moment de la lecture minutieuse de ce texte : “Pourquoi tout ce raffut ? Et si vous n’aviez rien à dire, et qu’en plus vous le disiez fort mal ? Alors, vous pourriez nous faire grâce de La Grâce et de vos jérémiades à ce propos...” J’avoue que la blague cosmique serait complète dans ce cas, et il ne me resterait plus qu’à avouer que, contrairement à l’apparence et à ce que croient lire les lecteurs, y compris ce texte d’ailleurs, le site dedefensa.org n’existe pas.
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