Chronique du 19 courant… Leur Fin des Temps

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Chronique du 19 courant… Leur Fin des Temps

19 décembre 2012… Cela fait un temps bien rôdé et étendu que l’on nous parle de la Fin des Temps, – plus lestement dit : la “Fin du Monde”. Spécifiquement et pour la version de la “Fin du Monde” qui m’occupe ici, la chose est pour dans deux jours, au 21 décembre tapant. Qui pourrait éviter d’en connaître là-dessus, lorsque la machine de la communication, la machine à accélérer le temps jusqu’à faire du sur-place, est si absolument déchaînée sur le sujet, inarrêtable, irrésistible ?

(L’on dit, tenons-nous bien, que, selon les moments de par les Temps qui courent, Frère Google évolue entre 250 millions et 900 millions de références à “Mayas 2012”. Imaginez le nombre d’âmes penchées ou agenouillées dans ce même Temps qui court, sur la même chose qui vous arrête, dans ce même instant du même moment, âmes à la fois sujettes et objets d’une fascination en passant, d’une interrogation temporairement vertigineuse, entre le sourire de connivence esquissé au trait et le froncement de sourcil dérobé par effraction. L’instant, l’instant, toujours l’instant qu’on croit saisir au vol, qu’on espère fiévreusement fixer le temps d’un instant, celui de la Vérité entrevue. Mais oui, mais non ou bien peut-être… Écoutez les Mayas ricaner…Remettons-nous de l’ivresse de l’instant et passons…)

Tout cela conduit inévitablement à se mêler de ce qui ne vous regarde pas, et nous-mêmes, et moi-même, à faire quelques remarques sur le sujet. Je n’ai pas grande attirance pour les formidables théories échafaudées autour du Calendrier des Mayas et entretenues par les cohortes de croyants du cas, mais ni déni, ni anathème particulier contre elles non plus. Dans ce cas, l’inconnaissance m’est d’une bien précieuse utilité, qui permet de m’en tenir à l’observation de ce phénomène actuel de l’extension stupéfiante des récits catastrophiques et des prévisions de rupture, et également de la complaisance effrayée du savoir humain, jusqu’à l’individuel le plus anonyme, pour ces occurrences d’une connaissance immédiate et surhumaine de la destinée du monde. Le phénomène est très contemporain, à la fois une “mode”, un tic, un objet de mépris, un éclair de compassion et un instant d’une quête angoissée. La seule chose d’un quelconque intérêt, par rapport à tous ces bruits dont on ne peut complètement repousser l’écho, est d’observer également, comme certains essaient de le faire savoir contre les vents et marées grondants des prophètes de la Fin des Temps, que le Calendrier n’annonce pas la Fin des Temps mais plutôt la Fin du Cycle et la régénération nécessaire. (C’est dire : jusqu’au très sérieux CNRS il y a cinq jours.) Cela rejoint toutes les conceptions qu’on dirait presque naturelles de la Tradition, mais également, comme l’explique François Roddier dans son livre Thermodynamique de l’évolution, la Troisième Loi de la thermodynamique sur l’entropie, qui présente le cas universel de l’“entropisation”, affectant aussi bien, selon l’auteur, les civilisations, et la nôtre pour dans fort peu de tems. La thèse ne contredit pas non plus le fondement de la pensée d’Arnold Toynbee qui, en tant qu’historien des civilisations et philosophe de l’Histoire, jugeait, – in petto, je crois, et sans le dire trop haut par crainte d’un regard courroucé de Buckingham Palace qui en tient pour une civilisation qu’ils affirment anglo-saxonne, et donc sur laquelle le temps ne se couche jamais, – Toynbee, donc, jugeait que notre civilisation fermait un cycle puisque, au contraire de celles qui l’avaient précédée, elle interdisait, par sa puissance, à une autre civilisation de lui succéder, alors que son absence de sens la détruit irrémédiablement.

Il y a d’autres domaines critiques d’appréciation de ces Mayas-2012. J’avoue droitement avoir accueilli avec une dérision assez légère le parti des sarcastiques-ricaneurs, les “ postmodernistes à qui on ne la fait pas”, les représentants médiatiques du parti des salonards qu’on trouve en général fort bien représentés sur Canal + et son Grand Journal. Le parti est bien décrit par un article de Joseph Macé-Scaron (JMS), dans Marianne du 11 décembre 2012 : «Vivement la fin de la fin du monde. Vivement le 22 décembre qu’on en finisse avec cette prophétie à deux balles imaginée par un scénariste hollywoodien de séries B à l’imagination aussi plate qu’une plaine du Jutland», sous le titre : «Les Mayas nous gonflent.» Moi, ce serait plutôt le parti des salonards qui me gonflerait, avec JMS en tête pour cette circonstance, entre deux manifestations pour la légalisation de l’adultère-gay. Au reste et pour ne pas être en reste, excellant dans l’art de la contradiction de soi-même, le voilà, JMS, qui glisse par inadvertance une de ces phrases où l’on peut et où il faut lire entre les lignes, qui pourrait bien servir de boomerang, aussi bien pour lui que pour son parti des salonards, s’il n’y prend garde, – prends garde à toi, JMS, car tu fais le procès de toi-même ! «Comme les Romains du Bas-Empire nous n’avons plus assez de force pour raisonner ou pour croire et nous nous rabattons sur le surnaturel de foire et sur le miracle de la femme sciée en deux dans la boîte.»

Par conséquent, tout le monde est d’accord, y compris les producteurs de Tee-shirts avec inscription Mayas 2012, de kits de survie type-End of the World, de voyages organisés (en bus) au Mexique et au Guatemala le 21 décembre 2012, baptisés The end of the world with Mayas and The world of Maya 2012, de la publicité pour le parfum AXE qui s’argumente selon la formule «Happy end of the world», – et tous espérant bien, grâce aux rentrées, équilibrer leur budget au 31 décembre 2012, dix jours après la fin du monde. Finalement, la campagne End of the World a été passée à la moulinette du Système, dans tous les sens et de toutes les façons, pour en sortir toutes les productions possibles. Peut-être nommerait-on cela “récupérer”, selon une technique aussi ancienne que le Système, chacun dénonçant avec vigueur cette croyance ridicule, absurde, insensée, obsessionnelle, et là-dessus chacun participant avec zèle à sa promotion, à son exposition, à son argumentation ; on sait bien cela, – en parler, même pour dénoncer, revient à donner du crédit à la chose prétendument mise au ban de l’intelligence humaine, et les dividendes suivront, clinquant et ne trébuchant pas. Et demain, 22 décembre, on les entendra pousser un immense soupir de satisfaction (et de soulagement ?), affirmant que la civilisation postmoderne, avec sa raison, sa mesure, sa perception équilibrée, sa science exacte, sa libération des mœurs et des droits de l’homme, son institutionnalisation de l’adultère gay et toute cette sorte de choses, cette civilisation-là a héroïquement résisté aux intrigues du Malin-Maya.

De cette façon, en analysant essentiellement leur comportement face à la prophétie, beaucoup plus qu’en s’attachant à la prophétie elle-même, arrive-t-on aisément à se détacher de tout ce brouhaha chaotique, qui vous fait à la fois hausser les épaules dès qu’on vous parle des Mayas-2012, qui vous fait hausser des épaules dès que l’un ou l’autre des apprentis-Système se met à déverser son habituel tombereau de ridicule sur les Mayas-2012. Ainsi arrive-t-on à se détacher de la question dite des “Mayas-2012” pour en venir à la seule question qui, finalement, doit nous passionner : l’attitude du Système vis-à-vis de l’affaire Mayas-2012 et, au-delà, la façon dont le Système, finalement, a relayé l’engouement planétaire pour cette affaire. Je me suis arrêté à une remarque qui termine un texte de Russia Today du 1er décembre 2012, qui confirme bien qu’il s’agit de la seule question qui importe :

«It is not known why this particular end of the world theory became so popular. Over two dozen doomsday predictions have failed to materialize since the beginning of the 20th century.»

…Ce qui conduit à l’évidente conclusion : ce n’est pas la prophétie qui importe, c’est l’époque qui cherche de tous les côtés des occurrences, des prévisions, des visions, des impulsions et des intuitions, des prophéties enfin, de la chose la plus structurée à l’informité la plus déstructurée qu’importe, qui puisse se plaquer sur cette époque catastrophique pour la justifier à nos yeux, – justifier qu’elle soit et justifier qu’elle soit catastrophique. La prophétie Mayas-2012 est donc là, d’abord, pour nous rassurer sur l’essentiel, après avoir montré la vénalité et l’hypocrisie du Système : oui, il s’agit bien d’une époque de crise terminale, et toutes les théories, toutes les hypothèses, s’y accrochent le temps qui leur est impartie pour confirmer cela.

Par conséquent, je crois bien, après vérification et correction des coquilles que je ne manque pas de laisser traîner dans mes textes, et d’ailleurs sans certitude de la perfection de ce travail de déminage, que j’aborderai le 21 décembre 2012, comme quelque chose qui se place entre le 20 décembre 2012 et le 22 décembre 2012, sans intérêt particulier pour ce dont je viens de parler lorsqu’il s’est agi d’effleurer la validité de la prophétie, de la même façon dont j’ai suivi la chose au fond, avec le seul intérêt des effets de Mayas-2012 sur notre Système… D’ailleurs persuadé que, s’il se passait quelque chose, s’il se passe quelque chose qui ait quelque corrélation que ce soit avec Mayas-2012, ce qui n’est nullement impossible, nous ne le saurions pas, nous ne nous douterions de rien (de ce qui s’est réellement passé), nous serions tout entier absorbés par les poussières qui forment la substance des pensées éphémères du temps, par le “misérable petit tas de secrets” que forme le sapiens courant (Malraux dixit), par nos pauvres et piètres querelles de quartier et d’influence, de conviction paniquée et d’assurance arrogante, tout cela du côté du sous-sol de nous-mêmes. S’il se passe quelque chose le 21 décembre 2012, en accordance avec Mayas-2012, il est acquis, pour mon compte, qu’on ne consentira pas une seconde, de là-haut et là-bas où se passent les choses sérieuses, à nous en aviser et que nous en subirons les conséquences en d’autres temps à venir, et à venir très vite, sans faire le moindre lien, trop préoccupés de nos piètres préoccupations ; “Mayas 2012”, voilà, c’est cela…

Philippe Grasset