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1276Hier matin, Léon Panetta, le directeur de la CIA, prit une initiative assez rare pour lui de faire une déclaration publique, devant le Sénat, selon laquelle la CIA pouvait raisonnablement assurer que Moubarak allait annoncer sa démission, le soir de cette journée, lors du discours qu’on annonçait déjà. Cette certitude de la CIA alimenta notamment le commentaire du président Moubarak, lors de sa déclaration de la mi-journée, annonçant en toute simplicité, que l’on était en train d’assister à ce spectacle formidable de “l’Histoire en train de se faire”, – cela, impliquant effectivement cette décision cruciale du départ du président égyptien. Moubarak n’a pas répondu à ces prévisions assurées du centre (très) nerveux et opérationnel du Système. La CIA s’est trompée, l’annonce du président Obama d’une telle proximité avec la grande Histoire selon la conception qu’il s’en fait s’est avérée bien imprudente.
Ainsi a-t-on une fois de plus la marque de la déroute du centre de la “gouvernance” du Système que prétend être Washington, surtout dans sa prétention à régir les affaires du monde alors qu’il n’en a plus les moyens ni la légitimité, et qu’il ne possède aucunement la finesse psychologique et l’ouverture d’esprit pour parer à la faiblesse de sa situation par la justesse de son jugement. Dans Aljazeera.net, un texte-calendrier reprend, ce 10 février 2011, toutes les positions, démarches et changements du gouvenment US depuis le 25 janvier. Le titre nous dit tout : «Timeline: US indecision on Egypt.» On peut y lire, dans la sécheresse des déclarations, la confusion du jugement, l’indécision de la décision, en un mot la déroute de l’art d’une prétention à gouverner le monde.
Le 8 février 2011, toujours sur Aljazeera.net, Marwan Bishara mettait en évidence cette indécision US depuis le début de la crise, cette fois avec un commentaire circonstancié.
«There seems to be lack of clarity on the part of the Obama administration regarding Egypt. Where does Washington stand today? Caught in the headlights, the Obama administration has been playing catch up with the revolution since its beginning.
»It started by taking a cautious position underlining the strategic relationship with the regime while showing sympathy to the demonstrators, then equating between the dictator and the dictated (refusing to spell out the D word), asking 'both sides' to show restraint, as if the peaceful demonstrators under attack by the regime's mobs were equally violent to the regime's security forces.
»When the revolution showed no signs of waning – it rather expanded throughout Egypt's cities – the Obama administration called for peaceful and orderly transition starting “now”.
»Soon after however, it adopted a more passive approach, embracing the new vice-president's management of the transition, as if entrusting the fox with the hen house…»
Ces divers constats pourrait s’enrichir d’un nouvel épisode, avec la brusque tension revenue au Caire le 9 février, l’extension du mouvement, le discours de Moubarak, l’annonce prématurée de son départ, etc. A nouveau, Obama s’est dressé comme partisan de la rupture immédiate, tentant ainsi de mettre ses pas dans ceux de l’Histoire “en train de se faire”. Coup pour rien, coup à nouveau contre-productif… Et Bishara de donner l’explication classique.
«Washington has treated the democratic revolution as a problem or a crisis that begs for carefully implemented solution, instead of supporting it as an opportunity for badly needed change both in Egypt and in US strategy towards the region.
»The assumed discrepancy between Washington's short term interests with the regime of Hosni Mubarak and America's long declared ideals of freedom and democracy, have to a large degree paralysed the administration and deterred it from taking a daring long-term look that sees ideals and interests as mutually reinforcing.»
Le paradoxe de cette situation est que Washington n’a cessé, durant la période, d’avoir une attitude, peu ordinaire compte tenu des circonstances et de son indécision, d’interventionnisme sans fard, d’ingérence sans restriction dans les affaires égyptiennes. Du coup, il a justifié des réactions de plus en plus vives des officiels égyptiens contre ces ingérences qui ne servent qu’à alimenter la confusion, et contre le principe même de cette ingérence. (Voir le commentaire de Steve Clemons sur Huffington.Post, le 9 février 2011, sur une interview du ministre égyptien des affaires étrangères, repoussant avec colère cette attitude d’ingérence des USA, et aussi la synthèse de Jason Ditz, sur Antiwar.com, le 10 février 2011.)
Le même paradoxe, continué dans l’appréciation qu’on en fait, est que la force sans vergogne de cette ingérence pour introduire dans la politique égyptienne un élément de confusion considérable justifie largement cette réaction d’une direction égyptienne pourtant largement discréditée par la révolte populaire, sinon sur le point d’être balayée. On peut même avancer que l’annonce assurée par les USA du départ de Moubarak, hier matin, a été un facteur important du durcissement de la position du président, alimentant en retour une aggravation de la situation publique avec le durcissement de la contestation, et l’affirmation de plus en plus substantivée de la possibilité de troubles graves menant à des bouleversements considérables en Egypte. (Voir, par exemple, l'article de Shirin Sadegi, sur Huffington.post, le 10 février 2011, sur “la colère de Moubarak contre Washington”.) Ainsi, les USA, entre la confusion de leur position et l’impudence de leur comportement d’ingérence, donnent-ils toute sa chance à une évolution qui serait le contraire de “la transition ordonnée” qu’ils appellent de leurs vœux péremptoires depuis le 25 janvier.
L’explication que donne Bishara (voir plus haut) du comportement erratique de Washington est conjoncturelle. Elle est valable mais ne dit pas l’essentiel. Cette portion d’événements que nous rapportons ici nous confirme dans notre analyse générale selon laquelle la crise égyptienne, si elle existe évidemment et avec quelle intensité, doit être aussi comprise comme un prête nom et une avancée extrême pour la crise générale du Système, dont la crise à Washington est l’élément le plus important. Comme nous l’avons vu, le “perfect storm” qui touche l’Egypte avec quelle puissance, a justement assez de puissance pour souffler aussi, directement et précisément, sur Washington D.C. L’on peut même dire que c’est là l’épicentre de la tempête, le cœur grondant de la crise. On finira donc par comprendre la confusion US, puisque sa direction et l’establishment washingtonien sont d’une médiocrité, alimentant l’impuissance à distinguer la nature réelle de la crise, qui est à mesure de la puissance de la crise.
Mis en ligne le 11 février 2011 à 05H26