Chronique irakienne

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Chronique irakienne


7 juillet 2002 — L'attaque de l'Irak est annoncée à grands fracas. Deux articles du New York Times (NYT) publiés le 5 juillet ressuscite la perspective d'une attaque de l'Irak. Mais on dira plutôt que c'est une chronique, dans le sens d'une affection chronique : l'exposé en détails d'un plan d'attaque contre l'Irak revient régulièrement dans les colonnes des quotidiens US, depuis 10 mois.

D'une part, on trouve dans le NYT un article d'Eric Schmitt sur un plan très détaillé d'un projet d'attaque contre l'Irak, à partir de sources proches de la défense et non identifiées. D'autre part, on trouve dans la même édition un texte de commentaire sur ce nouveau plan, signé de Patrick E. Tyler.

D'une façon générale mais sur un ton différent, selon une approche différente, ces deux textes nous disent la même chose : on prépare l'attaque de Irak désormais d'une façon concrète, et voici comment. Pour autant, ce n'est pas exactement pour demain. Selon Schmitt :

« ''Right now, we're at the stage of conceptual thinking and brainstorming,'' a senior defense official said. ''We're pretty far along.'' The highly classified document, entitled ''CentCom Courses of Action,'' was prepared by planners at the Central Command in Tampa, Fla., according to the person familiar with the document.

» Officials say it has already undergone revisions, but is a snapshot of an important, but preliminary stage, in a comprehensive process that translates broad ideas into the detailed, step-by-step blueprint for combat operations that the Pentagon defines as a ''war plan.'' »

Les deux textes donnent un luxe de détails sur la procédure suivie, sur les consultations d'ores et déjà entamées, sur les briefings d'ores et déjà donnés aux personnalités, le président en premier. Ils mettent en évidence que les bureaucraties concernées travaillent, que la procédure suit son cours et ainsi de suite. A côté, toutes les difficultés, tous les obstacles sont détaillés. En tout état de cause, cette attaque, et même, et surtout les prémisses de cette attaque, ne seront pas une partie de plaisir.

Dans un autre contexte (le Spectator de Londres, du 7 juillet), un commentateur londonien, Peter Oborne, qualifie cette attaque en train d'être préparée, de « the most audacious and perilous foreign-policy undertaking since Vietnam ». Nous ignorons ce que signifie cette phrase, — soit qu'il n'y ait pas eu grand'chose depuis le Viet-nâm, soit qu'il s'agit de la poursuite d'une extraordinaire sur-appréciation de l'aventure irakienne ; à moins, effectivement, qu'on juge de cette prochaine bagarre en fonction de l'agitation qu'elle provoque à Washington et de l'appréciation médiatique qui ne cesse d'enfler pour justifier la quatrième ou cinquième annonce d'une phase cruciale vers la marche vers la guerre. Puisqu'il s'agit du projet d'invasion d'un pays d'une quinzaine de millions d'habitants, épuisé par l'embargo qu'on sait après la défaite écrasante qu'on sait, l'attaque contre l'Irak nous paraîtrait une action aux rudes et nombreuses conséquences possibles, aux difficultés éventuelles, mais nullement une guerre qui constituerait une sorte de première grande bataille d'une sorte de “Troisième Guerre mondiale”. Mais puisque effectivement le chef du Mossad nous affirme que nous sommes depuis le 11 septembre 2001 au coeur de la Troisième Guerre mondiale et qu'on l'écoute religieusement, pourquoi ne pas comparer l'attaque de l'Irak à la bataille de Stalingrad ou à Overlord ? L'audition critique de toute intervention de la plus grossière propagande ayant été décrétée politically incorrect, le ridicule ne nous tient plus à rien.

Ainsi que les bruits de guerre contre l'Irak font l'actualité. Après les publications initiales des nouveaux plans du Pentagone dans le NYT, d'autres précisions nous sont arrivées par la presse. Le Guardian du 7 juillet nous assure avoir eu accès à des plans de son côté (sont-ce les mêmes ?) et être assuré qu'il y aura bien une attaque, avec des troupes britanniques, soit à la fin 2002, soit au début 2003. La Maison Blanche, elle, pondère les nouvelles, nous faisant remarquer, de façon assez bonhomme, qu'après tout, « the Pentagon engages in contingency planning of all types all around the world, », et qu'il est par conséquent bien normal, — ô combien, — qu'il le fasse également pour l'Irak. D'autres cherchent, si l'on peut dire, ''à qui profite le crime'', comme The Independent de Londres, spéculant sur les causes de cette fuite.

« The document, drawn up by planners at US Central Command (CentCom) in Tampa, Florida, reflects Washington thinking that the use of an overwhelming US force is the only certain way of removing Saddam, something to which the Bush administration is committed. Other options such as the fomenting of a military coup or else the use of local opposition forces inside Iraq have been deemed unlikely to succeed.

» Adding to this view was the departure last week from the Pentagon of retired General Wayne Downing who drew up a plan to fight a proxy war involving local forces, similar to what happened in the initial stages of the operation in Afghanistan using the Northern Alliance. He resigned last week as Mr Bush's special adviser on counter-terrorism.

» The leaking of the document in such detail to the newspaper also suggests that many in the Pentagon wish to let it be known that a massive battle group is being planned, no doubt partly to try to intimidate Saddam. »

Quant à nous, nous essayons rapidement d'y voir clair, en abordant rapidement la question de savoir d'où viennent ces ''fuites'' et quels sont leur but ?

• Les partisans de la guerre n'ont pas besoin de suivre les voies tortueuses des ''fuites''. Ils plaident à visage découvert pour la guerre immédiate, totale et sans hésiter. On peut les considérer comme innocents de ces ''fuites'' qui, en plus, on va le voir, ne servent pas leur cause.

• Par contre, on sait qu'en ce moment ces mêmes bellicistes grognent. Curieusement, il y a contradiction entre ce que nous dit ci-dessus The Independent du départ du général Wayne Downing et ce que nous en dit Schmitt, du NYT : « General Downing resigned last week as Mr. Bush's chief adviser on counterterrorism, reportedly frustrated by the administration's tough talk against Iraq but lack of action. » Cette version du NYT nous paraît plus conforme, Downing étant réputé comme un archi-hawk et son départ traduisant de façon bien concrète la frustration des bellicistes devant le manque d'action contre l'Irak.

• Dans cette logique, nous placerions volontiers ces ''fuites'' comme la conséquence du départ du général Downing. Il s'agit d'une mesure défensive contre la montée des critiques des bellicistes et d'une façon de tenter de démentir les raisons du départ de Downing. Il s'agit de montrer que la guerre est toujours prévue, qu'on y travaille, qu'on avance, que les plans sont précisés, qu'on en parle de plus en plus précisément, — tout ce que Downing et ses amis bellicistes reprochent à l'administration mais qui, présenté à grand fracas dans la presse, prend un martial rendant la critique plus difficile.

• Les ''fuites'' sont donc directement destinées à contenir les bellicistes. Il serait assez logique qu'elles viennent de l'état-major (le JCS) qui a déjà dit toute sa réticence devant la perspective d'une guerre. Les précisions de date du Guardian (fin 2002-début 2003), qui ressemblent aux calendes grecques pour des archi-hawks impatients, confirment cette interprétation.