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4960Les pays de l’OPEP et la Russie se sont entendus pour réduire leur production de pétrole de 10 millions de barils/jour à partir du mois de mai. Cette baisse historique n’a pas eu d’effets conséquents sur les cours, le prix du baril de Brent a perdu la moitié de sa valeur depuis fin 2019, autour de 30 dollars. La demande mondiale a chuté de 30% depuis la pandémie et n’est pas près de reprendre, les ‘analystes’ du marché s’attendent à une baisse du baril jusqu’à 20 dollars.
La Russie et l’Arabie, s’ils sont les premiers exportateurs mondiaux, ne sont que deuxième et troisième producteur derrière les Usa qui se sont abstenus de s’associer à cet accord. La production étasunienne se rétractera spontanément d’au moins 3 à 4 millions de barils/jour, car à ce niveau de prix, l’extraction n’est plus rentable. Certaines firmes du Texas engagées dans le gaz et le pétrole schisteux entreprennent des démarches pour déposer le bilan. Certaines, comme Alta Mesa Resources, une firme de Houston a fait faillite en janvier 2020. Très endettées elles ont vu leurs valeurs boursières chuter. Les banques prêteuses envisagent de créer des sociétés pour racheter leurs actifs. La réglementation bancaire qui interdit aux institutions créancières d’acheter des sociétés débitrices serait ainsi contournée. C’est cela, l’ingénierie financière, cette inventivité pour dissimuler des pertes puis de les faire supporter par la collectivité qui n’a pas pris part aux bénéfices quand le craquage pollueur rapportait des dividendes.
Pendant que les journaux titraient sur la guerre des prix entre la Russie et les Bédouins du Nedjd, certains sénateurs républicains étasuniens d’États producteurs de pétrole ont compris l’enjeu de l’affrontement. Ils ont fortement réprimandé, avec tout le respect qui leur est dû, l’ambassadeur, Princesse Rania, le Ministre de de l’Énergie et celui de la Défense des Bédouins pour la décision prise par MBS de rehausser la production en mars alors que la demande mondiale faiblissait. Ils ont menacé, pas moins, de revoir l’alliance stratégique entre les Usa et les Bédouins. L’Homme aux tweets de la Maison Blanche déclarait trois semaines plus tôt que la baisse du prix du brut était bénéfique pour le citoyen américain par ce temps de crise même si cela endommageait quelques entreprises.
L’affaire est sérieuse.
La guerre du pétrole – engagée depuis quelques années mais mise en sourdine, – engagée entre les Ibn Saoud et les Usa a gagné à l’occasion du virus couronné en visibilité. Une proposition de loi a été déposée par un sénateur de la Louisiane qui demande le retrait de toutes les troupes stationnées dans le royaume dans le mois qui suit. La loi prévoit également des taxes douanières qui fixerait le prix du pétrole saoudien à pas moins de 40 dollars. Cette loi a peu de chances d’être adoptée, elle signale néanmoins le niveau de tension entre les alliés d’hier.
Le pacte oral (aucun document ne fut signé) passé entre Abdelaziz et Roosevelt revenu de Yalta garantissait la protection de la dynastie contre l’assurance d’un accès privilégié des Usa aux ressources pétrolières de la péninsule. L’accord a évolué. La crise du capitalisme étasunien des années soixante-dix a conduit Nixon à dénouer la garantie du dollar par l’or comme adoptée à Bretton Woods.
Il s’est transformé après les remous du choc pétrolier de 1973 et l’assassinat de l’un de ses artisans, le roi Fayçal, en protection de la monnaie américaine par le premier fournisseur d’hydrocarbures de l’époque contre une sécurité politique et militaire. Le circuit des pétrodollars explique en très grande part les structurations géopolitiques de la région et au-delà. En raison de ce deal, le dollar partout demandé est devenu une arme puissante, bien plus dissuasive que les B52. Les Saoud recyclent la monnaie obtenue des cargaisons extraites dans l’économie étasunienne et dans la dette publique étasunienne. Les montants de ces deux compartiments ne sont pas accessibles au public. L’une des participations les plus connues est celle du prince Walid Ibn Tallal faite dans les années quatre-vingt-dix sur les conseils de Carlyle, dans la National City Bank, la banque du pétrole, devenue Citicorp. Le capitalisme d’accès (celui des copains-coquins) avait pris le pouvoir en permettant une fusion parfaite entre les dirigeants des grands groupes de la banque et de l’industrie de l’armement et les hommes politiques. Bush père avait rejoint la direction de Carlyle, celle-là même qui avait organisé une réception la veille du 11 septembre pour ces 500 investisseurs où était présent l’un des frères de Oussama Ben Laden, après avoir été Président des Usa pour ne la quitter qu’à 80 ans. De sorte que lorsque l’Arabie achète de l’armement à Lockheed Martin, une partie des gains doit parvenir dans l’escarcelle de l’un des princes du clan.
Les pétrodollars ont régénéré Wall Street durant des décennies.
Les mécanismes de ce circuit qui semblait devoir être perpétuel se sont grippés sous l’effet de plusieurs facteurs. L’émergence d’une puissance grande consommatrice de matières premières a fait de la Chine un gros client des Saoud. La reconstruction de la Russie en a fait un exportateur incontournable et rival d’hydrocarbures. Les gisements exploités de la péninsule ont été évalués à la baisse alors qu’aucun nouveau site n’est en cours d’exploration. L’avidité de Wall Street a conduit à une crise financière mondialisée qui a évité l’effondrement de l’économie étasunienne et mondiale en créant du papier appelé Quantitative Easing. La dette fédérale a atteint des sommets qui ont pu donner le vertige aux Bédouins.
Les guerres menées pour le compte d’Israël et des Séoud au Moyen Orient, même si la première guerre contre l’Irak pouvait se justifier par la proclamation téméraire d’un Saddam de l’abandon du dollar pour ses échanges pétroliers, ont épuisé moralement et économiquement les Usa. Enfin l’investissement de firmes étasuniennes dans l’exploitation des hydrocarbures issus des schistes, aberration financière et écologique sans pareille, a fait encore plus régresser un peu plus l’intérêt stratégique de l’Arabie pour les Usa.
Le divorce n’est pas consommé. Les Saoud font sans doute partie des plus gros investisseurs étrangers non étatiques bien dissimulés dans les comptes de la Fed. Mais déjà en 2019, ils ont menacé de se passer du dollar dans le commerce de leur pétrole si les Usa appliquaient aux pays de l’OPEP leurs lois anti-trust.
MBS, l’équarisseur des journalistes au regard fou, a exposé clairement le conflit en majorant la production dans une tentative délibérée de briser celle des Usa. C’est presque une partie gagnée.
Le Moyen Orient et l’Asie attendent le découplage définitif entre les deux entités qui par leur association ont détruit bien plus d’hommes, de cultures et de d’équilibres écologiques que toutes les guerres européennes mondialisées.