Climat contre économie

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L’aggravation constante de la situation économique rend de plus en plus pressante et aiguë la question des rapports entre la lutte contre la crise économique et la lutte contre la dégradation de l’environnement (contre le global warming par l’émission de gaz à effets de serre). La chose est très bien mise en évidence avec la crise du prix du pétrole. Les pressions des hommes politiques pour interrompre la hausse du prix du pétrole ou pour faire accélérer la production du pétrole sont un bon exemple de ce dilemme, puisqu’elles impliquent évidemment l’augmentation de la consommation de pétrole. L’incitation à l’augmentation de la consommation du pétrole, pour l’instant moteur de l’activité économique et donc de lutte contre la crise économique selon nos conceptions courantes, se place en complète contradiction avec la lutte contre la dégradation de l’environnement et le global warming.

La question se pose alors de connaître la position de l’opinion publique: faut-il privilégier la lutte contre la crise économique aux dépens de la lutte contre la crise de l’environnement ou vice-versa? D’où l’intérêt du sondage du Guardian d’aujourd’hui, sur la priorité à cet égard, – climat ou économie? C’est à notre connaissance la première fois qu’un tel sondage a lieu, dans un environnement de crise pressante, c’est-à-dire des deux crises pressantes, dans un pays qui a à la fois affirmé une position en flèche dans la lutte contre la crise climatique et qui se trouve également être parmi les plus touchés par la crise économique (le Royaume-Uni est au bord de la récession). Le sondage donne le résultat, qui pourrait en surprendre beaucoup, d’une majorité privilégiant la lutte contre la dégradation du climat.

«Voters think that taking action against climate change matters more than tackling the global economic downturn, according to a Guardian/ICM poll published today. The results, which will delight green campaigners, suggest that support for environmental action is not collapsing as feared in the face of possible recession.

»When asked whether tackling the environment or the economy – given global economic problems – should be the government's priority, 52% said the environment and 44% said the economy. That contradicts the widespread assumption that environmental issues are seen by voters as a luxury to be put aside in tough economic times.

»Almost two-thirds of those questioned also backed the idea of introducing green taxes to discourage actions that harm the environment: 63% support new taxes, against 35% who are firmly against them.

»The poll, commissioned as part of a Guardian series examining the impact of the economy on the environment, suggests that climate change is now a mainstream political issue, with the public appetite for action stronger than many politicians believe.»

Quoiqu’il nous semble répondre au bon sens, le résultat de ce sondage n’en est pas moins profondément déstabilisant. Le bon sens nous dit que la crise climatique, au niveau d’ampleur et à la vitesse d’aggravation qu’on lui voit, est la crise ontologique de l’espèce. Sa priorité ne peut souffrir une seconde la discussion. Mais cette position théorique n’est pas assurée d’être rencontrée dans la pratique, si on considère les pressions économiques de la crise. Qu’elle la rencontre effectivement dans l’opinion du public est un événement important, dans un pays comme le Royaume-Uni très sensible aux questions économiques et assez hostile à l’aspect “exotique” avec parfois des relents de “gauchisme” qu’avait jusqu’alors le mouvement (écologique) de lutte pour l’environnement.

Cet événement, avec le changement de substance du phénomène de lutte pour l’environnement qu’il signale, – passage d’un caractère “exotique” à un caractère fondamental, – est évidemment du à l’aggravation accélérée de la crise climatique. Il s’agit d’une évolution inéluctable, en rapport avec le caractère eschatologique de la crise climatique, par définition hors de notre contrôle et impossible à manipuler. Le dilemme entre l’économie et l’environnement, c’est-à-dire le dilemme affectant notre forme de développement et notre système en général, c’est-à-dire notre civilisation enfin, prend soudain des allures dramatiques. La conjonction antagoniste des deux crises, qui donnent l’impression d’un paroxysme parallèle, accélère l’actualisation de notre dilemme de civilisation.

Jusqu’ici, la thèse officielle est qu’il n’y a pas contradiction (entre le système et la destruction du climat), que le système devrait s’adapter à la lutte contre la destruction du climat. Ce sondage nous dit que le public commence à percevoir, indirectement, peut-être inconsciemment, que la crise de l’antagonisme entre notre système et l’équilibre du monde est inévitable, qu’elle est déjà en train de s’imposer.


Mis en ligne le 2 juillet 2008 à 09H39