CNN-crazy et le sacré de la démence

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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CNN-crazy et le sacré de la démence

17 mai 2017 – Hier, j’ai passé quelques instants, un quart d’heure ici, un quart d’heure là, et puis ici puis là encore dans la journée, à regarder de temps en temps CNN. (C’est CNN, ç’aurait pu être un autre réseau US, peu importe, c’est la même boutique et le même délire.) C’était pour l’excitation de l’inconscient et l’édification-fun de la pensée, car il n’y a rien de plus édifiant, et finalement de plus salutaire pour l’esprit que de suivre et de mesurer le delirium-tremens des élites américanistes. J’y étais en plein, il faut dire.

Bref, je suis tombé comme à Gravelotte dans cette polémique surréaliste, cette polémique-bouffe à partir d’un article du WaPo (Washington Post), où Trump est accusé d’avoir filé des information extrêmement-classified à Lavrov, au cours de leur rencontre diplomatico-conspirationniste du 11 mai à la Maison-Blanche, dans le bureau ovale soi-même. Même le dur de dur McMaster, général-penseur de l’U.S. Army, directeur du NSC et crâne rasé façon garde-du-corps, officier-traitant officiel du Deep State auprès du président, même McMaster qui assistait à l’entretien a fait un briefing rapide pour démentir complètement la chose dans des termes qui la ridiculisaient rudement.

Je ne vais rien vous raconter à ce propos qui soit très sérieux, sinon vous donner quelques URL d’accès vers l’une ou l’autre source, si possible suspecte aux yeux de nos commentateurs-Système, d’excellente-mauvaise réputation, où l’on vous explique les divers aspects de cette polémique-bouffe : par exemple celui, très complet, d’Alexander Mercouris, et ZeroHedge.com dans plusieurs articles dont certains repris d’autres sites. Tout juste vous rapporterais-je la réaction de la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères Maria Zakharova, par tweets interposé, parce que Zakharova est absolument charmante et qu’elle ne mâche pas ses mots, sacré bonne femme en vérité : « Dites, les gars, vous lisez encore les journaux américains ? Ce n’est pas la peine. On peut les utiliser de différentes autres façons et ce n’est vraiment pas la peine de les lire... [...] Comment peut-on vivre dans cette atmosphère globale de volatilité de l’information ? »  

Je ne vais rien vous raconter de cette affaire parce que c’est une affaire de plus de fous (je veux dire : de déments) concoctée dans leur asile, de la sorte de ces affaires défilant les unes après les autres, jour après jour, avec les mêmes acteurs (Trump la main dans la main avec les Russes). J’ai donc vu les écrans de CNN dans la journée d’hier, encombrés de “Breaking”, d’un correspondant à la Maison-Blanche, d’un autre au Congrès, d’un autre à Moscou, d’un autre peut-être bien en direct des chiottes du WaPo... Je revois l’écran d’hier matin, divisé en quatre, un grand rectangle avec les deux présentateurs (leurs noms, pfutt), dont une super-Bimbo extraordinairement blonde, les lèvres pincées comme celle d’une organisatrice d’une manif’ féministe de l’extrême, la voix nasillarde et incroyablement authoritative (je ne vous parle pas du présentateur à côté, c’est un mec du genre masculin, alors...) ; et puis trois carrés avec trois invités, – un du New York Times, pompeux et richement sapé, un autre dont je n’ai rien su sinon qu’il approuvait tout ce qui se disait en hochant la tête dans le bon sens des aiguilles d’une montre, et un ancien officier de la CIA spécialiste du contreterrorisme, – et l’officier de la CIA vitupérant que McMaster s’était complètement décrédibilisé en démentant l’info du WaPo ! (Et là-dessus, je reviendrai plus loin, et comment...)

... Effectivement, « Comment peut-on vivre dans cette atmosphère globale de volatilité de l’information ? » Il ne faut pas oublier, 1) qu’il y a 99,997% de chances que l’affaire en question (le complot Trump-Lavrov, avec McMaster complice) soit un canard ; 2) que, de toutes les façons, le président des États-Unis a le droit de “déclassifier” tous les documents qu’il veut ; 3) que tout cela porte sur une matière complètement accessoire, démesurément grossie par la bureaucratie de la communauté du renseignement. On aurait dit que tous ces gens, je veux dire ceux de CNN et associés, parlaient d’une crise nucléaire, type Cuba-1962, mais j’imagine qu’ils ne savent pas de quoi il s’agit, Cuba-1962. Pour ne pas être en reste sur le reste du programme, je signalerais que cet épisode CNN du matin précédait une analyse en profondeur avec débat à la clef, annoncée pour l’heure d’après ou le jour d’après que sais-je, montrant la photo de Trump descendant d’Air Force One, avec le titre de l’émission, en une seule question : « Is He Competent ? » Comme annonce façon-guillotine on fait difficilement mieux.

Il n’est vraiment pas question du contenu ni de la polémique-bouffe, ni de la valeur ou non de Trump, de son comportement et de sa compétence, ni des mêmes choses du côté des acteurs qui l’entourent et de ceux qui l’attaquent, de ceux qui croient le manipuler ou de ceux qui disent qu’on ne peut pas le manipuler ; rien de tout cela, vraiment et en aucun cas ... Il est bien question du climat tel qu’il se révèle pour quelques minutes passés devant ces écrans (CNN et les autres) autant que dans les colonnes des journaux d’un point de vue complémentaire, – pour ceux qui les lisent encore. Je me demande combien de temps ils tiendront encore dans une telle tension du vide multiplié par le rien, tous, les journalistes, les “consultants”, les bureaucrates, les dirigeants, les auditeurs et lecteurs, et même ceux qui se bouchent les oreilles et pensent à autre chose ; mais “tenir” à propos de quoi ? “Tenir” en attendant quoi ? “Tenir” dans quel but après tout ? Et pour quelles conséquences si l’on ne “tient” pas ?

L’impression donnait un fantastique “bruit de fond”, un colossal brouhaha, un formidable babil-babillage qui ne peuvent pas ne pas affecter si profondément sinon d’une façon exclusive et décisive les psychologies et régler la pensée selon ce rythme effréné. D’une façon fondamentale, à la « volatilité de l’information » répond la “volatilité du jugement” autour des deux axes fondamentaux du sacré, – je dis bien “du sacré” qui conditionne l’esprit postmoderne de D.C. (Ces deux axes du sacré sont ainsi énoncés selon le Nouveau Testament Postmoderne : 1) “C’est de la faute des Russes” et 2) “Tirez très très vite la chasse, Trump est un excrément-virus qui doit être évacué as soon as possible”.) Le monde washingtonien est formé de l’image-omniprésente à la fois du spectacle, du simulacre, de l’ivresse et du spectre, et cette image spasmodique-psalmodiée et cadencée au son de la danse de Saint-Guy, et du babil-babillage qui l’accompagne comme une vrille étourdissante du son. Cet ensemble flou et fou, cette omelette-en-cassant-tous-les-œufs conduisent à des comportements peu ordinaires, qui, dans certains cas, laissent l’observateur, s’il n’est pas encore atteint lui-même par le délire, coi, pantois et pantelant... (Moi-même en l’occurrence, pour quelques minutes.)

La chose qui m’a le plus marqué dans les quelques minutes-CNN que j’ai observées, c’est l’épisode McMaster dont j’ai dit quelques mots plus haut. Le Général-Directeur du NSC est, avec son allure de brute extrêmement épaisse et sa réputation de soldat-neocon, l’archétype de l’exécutant-Système placé là où il se trouve pour exercer sur Trump les pressions nécessaires pour lui faire entrer de toutes forces utiles les consignes du Deep State dans le cigare. Il y a quelques jours encore, le 8 mai, Bloomberg.News faisait un texte sur lui, McMaster, où il était affirmé que Trump veut se débarrasser de lui, – on a déjà vu cela, mais ce qui compte ici est le titre de l’article : « Washington Loves General McMaster, But Trump Doesn’t » (“Washington aime [d’amour] McMaster...”). On sait donc que McMaster est intervenu avec la finesse d’un JSF stealth et la puissance d’un budget annuel du Pentagone pour affirmer que tout ce que dit le WaPo sur les secrets-classified donnés par Trump à Lavrov, au cours de l’entretien auquel McMaster assistait, tout cela est totalement faux, inventé, rubbish, vraiment n’importe quoi. Interrogé sur le fait, l’ancien officier de la CIA convoqué par la bimbo de CNN, a répondu d’une voix absolument déchaînée, énervée, hystérique, et cela à l’approbation de tous, que McMaster s’était « décrédibilisé » avec cette affirmation, qu’il ne comprenait rien au secret, et son ton d’une telle véhémence accusatrice qu’on en aurait conclu après tout que McMaster est un traître, un complice de Trump, et peut-être bien un homme des Russes encore plus après tout... Ce passage m’a abasourdi particulièrement ; combien toute pensée et jugement semblaient ainsi emportés par le tonnerre du brouhaha et l’impératif des “deux axes du sacré”, jusqu’à mettre en accusation et déjà condamner jusqu’à ce que mort s’ensuive très expéditivement un exemplaire serviteur du Deep State en mission de contrôle de l’excrément-virus-Trump.

Il faut comprendre ce qu’est aujourd’hui la “folie ordinaire” à Washington D.C. à laquelle nous prêtons si peu d’attention. Il faut admettre que nos petites émotions énamourées ou furieuses autour de notre jeune-Président, ce petit monde enchanté que nos journalistes sont en train de bâtir autour de lui, que tout cela est bien dérisoire à côté de ce qui se passe dans les psychologies washingtoniennes. Comme souvent dans ce cas, je vous parle hors de tout aspect politique (pro ou anti-Trump, etc.), et d’ailleurs l’épisode McMaster montre bien le caractère apolitique de ces constats. Il n’y a dans cette situation plus rien de politique, et s’il y a de l’idéologie c’est dans son extrême de l’extrême, le Ushuaia de l’idéologie, lorsqu’elle est si parfaitement vidée de tout contenu qu’elle en devient démence complète.

Certes, il y a quelque chose de sacré là-dedans, et l’entonnoir sur la tête est leur signe de reconnaissance. Certes, le sacré est un signe d’accomplissement mais, inversé comme y invite un entonnoir, c’est un signe de dés-accomplissement (construction-déconstruction). Certes, le Système est chose puissante et irrésistible que rien n’arrête mais l’entonnoir qu’il porte désormais vissé sur la tête va finir, lorsqu’il se regardera dans un miroir, par lui faire se faire croire à lui-même qu’il est un putain d’antiSystème (fucking anti-System) qu’il faut liquider séance tenante, en même temps que le fourbe-traître Général McMaster. (Et les Russes, hein, ne pas oublier les Russes, fucking mille-sabords ! selon le Capitaine-Général McHaddock, successeur possible de McMaster.)