Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
656
20 septembre 2002 — Bush-père, dit “41” (41e président US, GW étant désigné “43”, comme 43e), a donné une interview à Paula Zahn, de CNN, le 18 septembre. C'est un événement assez rare, qui prend tout son intérêt à la lumière (d'ailleurs assez diffuse) des interprétations émises lors d'interventions de personnalités proches de “41” et critiquant la politique de “43”. Cette remarque reste de pure forme pour le cas car l'interview de Bush-père n'apporte rien de précis à propos des hypothèses émises. “41” s'interdit de parler de la politique de “43”, mais dit des choses qui peuvent paradoxalement alimenter la hargne de “43”, de façon assez émotionnelle, — et c'est ce qui nous arrête ici.
Interrogé sur Saddam, Bush-père répond par la profession d'un sentiment exacerbé qui nous laisse dans une impression assez mitigée, voire de malaise. Voici l'un des passages à ce propos :
« “I hate Saddam Hussein,” the former president told Zahn. “I don't hate a lot of people. I don't hate easily, but I think he's, as I say, his word is no good and he's a brute. He's used poison gas on his own people. So, there's nothing redeeming about this man.”
» He added: “I have nothing but hatred in my heart for him. But he's got a lot of problems, but immortality isn't one of them.” »
Ce qui nous frappe d'abord, c'est l'étalage public et sans vergogne d'un sentiment si cru, si peu réfléchi. Cela laisse à penser que celui qui les éprouve les juge justifiées, et par conséquent, puisqu'il parle en homme public, y compris dans le cadre des charge politique qu'il a assumées en tant qu'homme public ; cela nous laisse évidemment craindre qu'aucun frein n'a été mis à l'influence de ces émotions dans l'exercice de ces charges.
Que Bush-père haïsse Saddam, que Saddam mérite cette vindicte personnelle, etc, voilà des problèmes qui, en la circonstance, ne nous importent pas parce qu'ils n'ont pas d'importance politique fondamentale ni, surtout, la moindre légitimité politique. Ce qui nous importe est qu'un président qui a eu la charge de la présidence soit si visiblement touché par des sentiments personnels d'une telle force, qui relèvent de la pure émotion. Il est difficile de penser que cela n'a pas joué un rôle important, voire essentiel, dans certaines décisions qu'il a prises. Il est difficile de croire que “43” n'ait pas été influencé par les sentiments de “41” tels qu'ils sont exprimés. Ces hommes ont charge de politiques essentielles pour le destin du monde et il est intolérable de penser que des émotions personnelles aussi fortes aient pu avoir une influence sur elles.
“Intolérable” ? Nous nous trompons d'époque. Au contraire, il faut constater que nous sommes à une époque où la fonction noble d'homme d'État, — ce dirigeant légitimé dont on attend qu'il ait, au-delà de sa ferveur naturelle, la mesure que nous-mêmes ne pouvons avoir, — s'est transformée en une fonction d'affichage et d'apparence. Pour plaire, effectivement, rien ne vaut l'expression de l'émotion, et l'on plait d'autant plus que l'on a le sentiment d'être “vrai”, que l'expression sans vergogne des émotions pourrait faire penser, d'une façon si rassurante, qu'elle recèle une vérité que l'intelligence ne parvient plus à maîtriser. GW pleure, un an après 9/11, en évoquant à la télévision les visites qu'il fit à New York après l'attaque. Tous ces malabars de discours et de manipulation de médias ont donc la larme facile, l'émotion à fleur de peau, ce sont des midinettes de la politique médiatisée. La crudité de leur émotion les rapprocherait plutôt de l'objet de cette émotion. Dans cette affaire, on est conduit à croire que la vertu des vengeurs est à la mesure du vice des diables qu'ils nous débusquent, pour ainsi dire, de père en fils.