Combien coûte un B-52? $3 millions? $500 millions?

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Petite anecdote, alors que nous parlons beaucoup dans les colonnes de ce site, et sur le Forum, de vieux avions de guerre, et surtout de vieux bombardiers comme le Tu-95. Elle a paru dans le Guardian d’aujourd’hui, à partir d’une information de la presse russe, et porte sur le B-52, vieux contemporain du Tu-95. L’anecdote dit ceci:

«A wealthy Russian tried to buy a US B-52 bomber from American pilots at the Maks airshow, a Russian newspaper reported yesterday.

»The unidentified Russian, wearing sunglasses and surrounded by bodyguards, approached the US delegation and asked to buy the bomber, the Komsomolskaya Pravda newspaper said. A member of the US delegation said the bomber would cost at least $500m (£250m) if it were for sale.

»“That is no problem. It is such a cool machine,” the Russian was quoted as saying by the newspaper, which said its reporter overheard the conversation. The bomber was not sold.»

L’anecdote n’est pas que plaisante et révélatrice des mœurs de la privatisation globalisée du monde. Elle est aussi révélatrice. Le prix avancé par les “membres de la délégation américaine” repose sur une évaluation admise du prix théorique du B-52, tel qu’il existe aujourd’hui (94 exemplaires en service sur 744 produits en 1954 et 1961), avec ses multiples opérations de modernisation comprises.

L’évaluation officielle est complètement différente. Selon le site officiel “U.S. Air Force Fact Sheet”, le prix du B-52 en dollars réévalués en “fiscal 1998 constant dollars” est de $53,4 millions. Cette réévaluation, elle-même sans doute une fraude par rapport au prix réel ajusté puisqu’elle semble (?) ne pas tenir compte des coûts des modernisations de l’avion (déjà réalisées en 1998), aboutit à une fraude de la réalité économique en relativisant les coûts réels, par comptabilité théorique d'une inflation dont les causes ne sont pas détaillées, à l’avantage de l’époque courante par réduction des différences historiques. (En incluant l’inflation comme un phénomène naturel, le “Fact Sheet» nous impose indirectement la fiction d’un B-52 ayant coûté $53 millions en 1955. Pire encore, il nous laisse à penser que, si le B-52 était produit aujourd'hui, son prix serait de $53,4 millions l'exemplaire, ce qui est absolument improbable, voir ridicule; compte tenu des capacités actuelles du la bureaucratie et de son impuissance gestionnaire, on peut faire l'hypothèse qu'un B-52 coûterait aujourd'hui, pour les mêmes capacités, sans doute 10 à 20 fois plus cher. Par contre, par absence probable de la prise en compte des modernisations, l'évaluation officielle nous permet d'en mesurer les coûts vertigineux.)

L’uniformisation économique des époques introduit une valeur théorique (le “pouvoir d’achat théorique” de la monnaie) sans rapport avec les réalités budgétaires et historiques de l’époque, en mélangeant “prix relatif“ et “coût réel” ; ce constat vaut d’une manière fondamentale pour les produits d’“intérêt national”, les acquisitions “de souveraineté”, sans rentabilité économique directe (un bombardier qui n’a jamais servi parce qu’il n’y a pas eu de guerre peut être considéré du point de vue économique comme un produit d’une rentabilité nulle, sinon négative ; mais, considéré historiquement et du point de vue politique, sa rentabilité est radicalement transformée : c’est peut-être, sans doute, son existence qui a permis le maintien de la paix qui fait qu’il n’a pas servi… et que les destructions de la guerre ont été évitées). Puisque son utilité est considéré d’un point de vue historique, le coût d’un tel produit, ce qu’il coûte dans ce cas au budget national, doit être donné dans le contexte historique seul, c’est-à-dire le contexte budgétaire et le contexte économique de l’époque, pour avoir une idée de l’évolution réelle des coûts. Le prix et le coût du B-52 en dollars d’époque se situaient entre $2,5 et $3 millions. On a ainsi une mesure quantitative de l’évolution des coûts des armements aux USA, sur un demi-siècle. Le jugement qualitatif et critique qu'on peut porter sur ce fait est bien sûr une autre démarche.


Mis en ligne le 25 août 2007 à 10H02