Combien, la tonne de JSF sans moteur?

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Ne doutant pas de travailler pour la postérité, nous continuons à collecter les détails les plus émouvants de la longue et aventureuse vie prénatale du JSF, et notamment les étonnantes trouvailles du “bloc JPO-LM” (Joint Program Office du Pentagone + Lockheed Martin) qui gère l’usine à gaz avec pour mission de la présenter comme un exemple d’efficacité économique et globalisée. C’est remplir ce qui semble désormais la mission évidente du Net dans le cas JSF.

Cette fois, il s’agit de relever une trouvaille dont le journaliste Bill Sweetman fait ses choux gras sur le blog qui lui est affecté, en connexion avec sa mission d’information au sein du groupe éditant notamment Aviation Week & Space Technology. Cela se passe le 5 mars, sur le blog en question. La première remarque amusante sur laquelle nous revenons plus loin, c’est que Sweetman, souvent de l’autre côté de la barricade, prend ici pour objet de sa verve un article de AW&ST, – mais en fait, à l’intérieur de cet article, une déclaration du gang JPO-LM, qui a trouvé une nouvelle façon de rendre digestible le prix du JSF… Le prix vaut pour 2014 et il est “calculé” avec le JSF sans moteur. Aussi vrai que cela se vend à la tonne.

Le texte commence par une photo d’un planeur Nimbus-4, que Sweetman qualifie de «an aerodynamically advanced, efficient and relatively stealthy aircraft». Puis, brave cœur, il poursuit:

«It's also an aircraft that someone other than an idiot would buy without an engine. However, this obvious fact seems to have evaded JSF program leaders, who have now started quoting prices for a fighter in a condition on which it won't go anywhere without a tow tractor. The unit tow-away price, perhaps? To quote [AW&ST 2 March] Amy Butler's report:

»“Officials are now quoting cost in 2014 dollars to ensure that potential partners can properly weigh their options; a range of cost figures cited in various years have muddied the ability to make apples-to-apples comparisons, [program office director MG Charles] Davis says. In 2014 dollars, the CTOLs in LRIP-2 cost about $70 million without engine and Stovls cost about $80 million without engine.”

»What one might ask Gen. Davis is precisely how quoting a no-engine cost un-muddies the issue, when nobody else in the fighter business works with such a price?»

Plus loin, Sweetman avance une hypothèse: nous présenter un prix du JSF modèle-2014 “sans moteur”, c’est tenter de faire gober aux médias que c’est le prix “avec moteur”. Cela suppose que les médias prennent encore au sérieux, et les vessies pour des lantenres, et ce que nous raconte le bloc JPO-LM; c'est décourageant mais pas si faux.

«One motivation is to put a low price out there and hope that it gets picked up by the media without qualification (or that someone will think that it's normal, a bit like an airline buying A330s and then making three companies compete separately for the motors).»

On doit donc apprécier d’une façon plus détaillée l’évolution du comportement (de Sweetman), qui est peut-être caractéristique d’une situation nouvelle dans les réseaux officiels de l’information. Les déclarations de Davis sur le prix du “JSF-sans-moteur” sont passées dans un article de AW&ST du 2 mars, nous ne dirions pas “inaperçues” mais dans tous les cas sans commentaire d’appréciation de l’absurdité de la chose. Dans le même numéro, Sweetman publiait un autre article sur le JSF (celui qui nous a servi de support pour notre F&C du 6 mars), dont le fond était lui-même une reprise fort peu brillante des arguments du bloc JPO-LM. Le 5 mars, Sweetman se transforme en critique d’une déclaration publiée dans un article figurant à côté de son propre article. Le journaliste (Sweetman) assez conformiste du 2 mars s’est transformé le 5 mars en pourfendeur de l’“aburdisme bureaucratique” de l’équipe de gestion du programme JSF exposée dans un article voisin du sien. (L’expression “absurdisme bureaucratique” nous paraît approprié pour décrire le virtualisme du bloc JPO-LM, évoluant dans son monde absurde, mais entretenant une logique interne propre à ce monde.) Le comportement de Sweetman, changeant de casquette, d’humeur et de philosophie d’un jour à l’autre sans changer de tribune (son blog est toujours sur le site AW&ST), représente peut-être la tactique adoptée par des journalistes officiels, voire des groupes de presse officiels, obligés de suivre “la ligne du parti” dans leurs colonnes “officielles” mais soucieux de commencer à se démarquer des horreurs de l’“absurdisme bureaucratique” par un canal annexe mais néanmoins visible et identifiable.

Par ailleurs, ce travail par changement de casquette est appréciable. Nous-mêmes, passant trop rapidement sur cet article et sans doute un peu fatigués par les écarts du bloc JPO-LM, n’avions pas remarqué particulièrement cette perle virtualiste de leur “absurdisme bureaucratique”. Par conséquent, heureusement que Sweetman était là, casquettes tournantes ou pas.


Mis en ligne le 7 mars 2009 à 0908