Comme le roi, le JSF est nu...

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Comme le roi, le JSF est nu...

Comme le remarquait un lecteur, on ne parle plus guère du JSF depuis un temps déjà assez long ; et là-dessus, il se trouve qu’on vient d’en parler ; fort discrètement certes alors que ces propos devraient être tonitruants... Qu’importe, ils valent de l’or.

L’on a rarement parlé du JSF (F-35) dans ces termes, et certainement l’on n’a jamais dans ces termes dans le chef d’un secrétaire à la défense, même placé-là plutôt comme une sorte d’intérimaire, nommé par Trump le 9 novembre 2020 après la mise à pied de Mark Esper, membre de la cabale antiTrump et traître dans la maison. Pour son compte, Miller a quitté ses fonctions avant-hier sans doute (la situation est très confuse), et c’est son adjoint qui assure l’intérim pendant que le Congrès auditionne pour confirmation le nouveau secrétaire à la défense désigné, le général Austin.

Dans l’atmosphère de désordre extraordinaire qui caractérise le pouvoir US, des pépites surgissent ici et là, qu’on laisse échapper, qu’on ne voit pas rouler, parce que le désordre désintègre votre attention. C’est le cas notamment de cet entretien à bâtons rompus de Miller avec quelques journalistes, dans un avion qui les ramenait du quartier-général de NORHERN Command, à Colorado Springs. (*) La conversation est très difficile à suivre parce que le langage est très familier, et surtout plein de sous-entendus : Miller, qui semble en avoir gros sur le cœur, sinon sur la patate, sans doute à propos des conditions de crise où il a évolué et selon ce qu’il a vu du comportement des uns et des autres, – des traîtres, des haineux, des comploteurs, des simulateurs, des irresponsables, etc., – parle avec un grand désir de dire certaines choses, tout en tentant de se brider par un langage de sous-entendus pour ne pas trop se compromettre dans la situation de charge officielle où il se trouve...

Nous allons tout de même suivre cela, à l’aide d’une transcription, et d’abord d’un article de PopularMechanics.com, mais aussi du verbatim du département de la défense sur l’entretien. La traduction que nous en donnons est vraiment une adaptation dans la mesure où le journaliste, qui ne parle ici que d’une question sur le JSF, a lui-même eut du mal à développer les déclarations de Miller dites sur le ton qu’on a dit.

« Au terme de son très court mandat, la sixième et dernière personne à occuper le poste de secrétaire à la défense sous le président Donald J. Trump a eu des mots qu’on doit juger extrêmement durs à propos du F-35, le Joint Strike Fighter.

» Le secrétaire à la défense par intérim, Christopher C. Miller, ancien officier des forces spéciales américaines, nommé à son poste le 9 novembre 2020, a pris à son compte la qualification de cet avion de combat, de “paquet de ...”, sans préciser de quoi son jugement était le nom. (Des suggestions ? [“paquet de merde”, naturellement, sans hésiter et yeux fermés].)

» Miller a également comparé le F-35, dont le coût global du programme dépasse les 1 000 $milliards et qui constitur la pièce centrale des forces américaines et alliées pour les prochaines décennies, au monstre de Frankenstein : une création humaine sans âme et inarrêtable, conçu avec de bonnes intentions mais finalement devenu un fardeau dont on ne peut se débarrasser.

» Dans une transcription de presse diffusée par le ministère de la défense, Miller répond à une question sur le programme F-35, commençant sa réponse par quelques considérations amères sur les conditions de son travail dans les circonstances:

» “Je suis tellement... Je veux dire, j'ai hâte de quitter ce travail, croyez-moi. Mais il y a une partie de moi qui dit que j’aurais aimé m’impliquer dans le processus d'acquisition et essayer... vous savez, essayer de traiter les problèmes les plus épineux. J’aurais voulu cela avec le programme F-35, pris comme un cas archétypique de cette situation....

» ”Je peux vous dire... Hier, nous avons parlé à un type, un lieutenant-colonel ou un colonel, je lui ai dit : “Qu'est-ce que vous pilotez ?” Il m’a répondu “le F-35”, et c’était comme s’il parlait d’un paquet de [merde]...  Et il s’est mis à rire, alors je lui ai dit : “Non, mais sérieusement, dites-moi ce que vous pensez à ce sujet”... C’était un type qui venait du F-16, et il a dit du F-35 que c’était “un avion incroyable”, je ne sais pas comment restituer le ton qu’il a mis... Cet investissement qu’on a fait, pour... cette capacité supposée, que nous sommes censés ne jamais devoir utiliser, vous savez bien l’argument, “Eh bien, nous devons dissuader l’adversaire, bla bla bla”... Et il s’agirait de la cinquième génération ?!

» ”Vous savez, non vraiment... je trouve ça complètement hilarant, vous savez, alors qu’en ce moment ils nous disent “eh bien, nous devons maintenant investir dans la sixième génération”... Je me dis que nous avons créé un monstre, mais vous savez bien tout cela, n’est ce pas....”»

Comme ajoute l’article : « Miller semblait frustré. » Et nous pourrions penser qu’il est bien dommage que Miller quitte le Pentagone parce qu’il aurait fait un excellent secrétaire à la défense ; quoique ce sont certainement les circonstances qui sont pour beaucoup dans cet accès d’une brutale franchise qui, brusquement, en un instant et en quelques mots, nous dit que tout sur quoi nous avons travaillé dans le sens de la critique pendant des années, – à propos du JSF mais le reste ne doit pas être bien différent, – était conforme à la vérité-de-situation tandis qu’en face, du côté du Système disons, régnait (et continue à règner) le simulacre absolu construit autour de la plus grande catastrophe, appréhendée, identifiée, suivie pas à pas et mesurée à chaque instant pour ce qu’elle est, de toute l’histoire de l’industrie de l’armement. Bien entendu, tout cela se poursuit et s’aggrave, dans le désordre général enrobé dans cette immense simulacre de l’exceptionnalité de l’“Empire suprême”.

Si l’on peut espérer approcher la certitude, cette fameuse (pour nous) vérité-de-situation, il nous apparaît presque assuré que Miller est tout à fait franc, presque avec ingénuité, et dispose de toutes les données réelles pour affirmer ce qu’il dit, avec la brutalité d’une situation qui s’est précipitée pour lui et donc sans lui laisser le temps d’envisager les dispositions d’aménager son langage selon la prudence de l’homme dans le simulacre qui tient à préserver sa place. Venu des forces spéciales et de la direction de la lutte anti-terrorisme, Miller a été brusquement mis à la tête du Pentagone, dans des conditions d’extrême tension, et pour un temps qu’il savait assez court. Il n’y avait plus guère de pouvoir au-dessus de lui et il savait que des événements très graves pouvaient arriver, mais finalement rien ne s’est produit.

Ainsi s’explique-t-il qu’à côté de l’épuisante tension de la situation politique et de l’attention portée à elle, il a trouvé du temps pour examiner certains dossiers, tandis que la bureaucratie, elle aussi soumise à une énorme tension de désordre, n’a pu dresser autour de certains programmes (dont le JSF) les murs hermétiques de protection qu’elle érige d’habitude. Comme il l’explique bien lui-même en quelques mots confus mais significatif : « Je suis tellement... Je veux dire, j’ai hâte de quitter ce travail, croyez-moi. Mais il y a une partie de moi qui dit que j’aurais aimé m’impliquer dans le processus d’acquisition et essayer... vous savez, essayer de traiter les problèmes les plus épineux... »

On retrouve cette franchise presque ingénue sur un autre sujet, lorsqu’on lui pose une question sur la puissance de la Russie, sur la situation russe, où il répond selon une analyse dépourvue de la grossièreté bombastique et simulatrice qu’on trouve d’habitude (soit la Russie, pays sous-développé qui ne vaut rien, n’a aucune puissance ; soit la Russie, pays diabolique qui nous menace tous avec une puissance écrasante). Jamais, là aussi, un homme aussi haut placé dans la hiérarchie du pouvoir américaniste n’a donné une analyse aussi simple, aussi courte et aussi juste :

« La Russie ?  Je pense qu'ils sont extrêmement... euh... j'ai un respect professionnel pour la façon dont ils font les choses... Je pense qu'ils ont très, très bien joué alors qu’ils avaient de si mauvaises cartes en main. Une population en déclin, une seule... une seule source de revenus économiques par le biais des ressources naturelles. J’ai un peu tendance, en les jugeant d’un point de vue professionnel vous savez, à considérer, wow ! qu’ils se débrouillent vraiment très bien, ils développent beaucoup de concepts de guerre hybride, de guerre de l’information, tous ces trucs d’aujourd’hui, d’une façon, vous savez, qui vraiment... C’est bon pour eux. »

Finalement, au travers de cette rencontre improbable, de ces échanges hachés, marqués de répétitions et d’expressions du langage courant, et tout cela en quelques lignes, nous pouvons nous considérer, certainement dans notre chef, assurés de quelques points centraux concernant le JSF :
• il s’agit d’une catastrophe industrielle, technologique et opérationnelle, certainement sans précédent dans le domaine, avec la caractéristique extraordinaire d’avoir été développé et produit jusqu’au bout alors qu’on savait très vite dans le développement qu’il s’agirait d’une catastrophe ;
• l’avion est incapable d’opérer selon les normes actuelles et en fonction des menaces existantes et des missions à remplir ;
• toutes les forces aériennes occidentales (sauf les vaillants Gaulois et leur excellent Rafale) sont et seront équipées pendant au moins trois décennies d’un avion de combat aux performances catastrophiques par rapport aux normes requises ;
• la justification du JSF est sa puissance de dissuasion basée sur quelques affirmations de simulacre (l’avion furtif de 5ème génération) qui font qu’on n’aurait pas à s’en servir parce que les ennemis potentiels sérieux auraient trop peur de lui ;
• justifié par ce ‘succès’ (la production du JSF continue), on développe la 6ème génération dont tout indique qu’elle ira dans la même direction, de pire en pire, de plus en plus profond dans les abysses.

Note

(*) NORHERN Command, Commandement de la ‘région Nord’, c’est-à-dire le commandement militaire pour le territoire des Etats-Unis, nouveauté récente [2002] installée à cause de l’attaque 9/11 mais qui fut perçue par certains comme l’implication potentielle des militaires dans des troubles publics internes. C’est sans doute en fonction de la situation durant la transition du pouvoir que cette visite a été organisée.

 

Mis en ligne le 22 janvier 2021 à 11H45