Comment déconstruire la “politique de l’idéologie et de l’instinct”?

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Kathleen Hicks, la sous-secrétaire pour la stratégie au Pentagone, a donné une interview à Bloomberg.News, le 15 octobre 2009, où elle explique que la direction du Pentagone est en train de tenter (c’est nous qui rajoutons ce verbe pour y insister) de réviser la fameuse doctrine dite de la préemptive strike (frappe préventive) mise en place par l’administration GW Bush en 2002. L’exercice s’effectue au sein de la Quadrienal Defense Review (QDR) en cours au Pentagone.

«The international environment is “more complex” than when President George W. Bush announced the policy in 2002, Kathleen Hicks, the Defense Department’s deputy undersecretary for strategy, said in an interview. “We’d really like to update our use-of-force doctrine to start to take account for that.”

»The Sept. 11 terrorist strikes prompted Bush to alter U.S. policy by stressing the option of preemptive military action against groups or countries that threaten the U.S. Critics said that breached international norms and set a dangerous precedent for other nations to adopt a similar policy. The doctrine is being reassessed as part of the Pentagon’s Quadrennial Defense Review of strategy, force structure and weapons programs. Hicks is overseeing the review.

»“We are looking very explicitly at use of force and use of forces,” she said. “We are looking at how to articulate the use of the U.S. military instrument – how we use military force to achieve national objectives.”»

Les experts ont été conviés à donner leur avis par Bloomberg.News. Ils expliquent qu’effectivement cette doctrine est soit dépassée, soit éventuellement illégale (!) du point de vue international, soit inapplicable d’une façon générale. Les experts US en général, in illo tempore (en 2002), lorsque la doctrine fut adoptée, la trouvèrent très adaptée, finalement tout à fait légale et bien entendu complètement applicable. Ainsi vont les experts qui fondent notre pensée, la leur aussi ferme que du chewing gum après usage. Trois d’entre eux sont cités.

«“That doctrine was always at odds with international law and norms,” said James Lindsay, director of studies at the Council on Foreign Relations in New York. The doctrine is now “dead” after the invasion of Iraq, when the U.S. in March 2003 launched a “preventive war” to eradicate “the threat of weapons of mass destruction that did not exist,” he said.

»James Mann, an author in residence at Johns Hopkins University in Baltimore, said the doctrine “was presented as not just the ‘right’” to strike “before you are about to be attacked, but as an entirely new strategy for dealing with the world.” “I don’t think the Obama people believe preemption should be defined in this incredibly broad sense – and I think they feel – with some reason – the broad definition really lost American support in the rest of the world,” said Mann, author of “Rise of the Vulcans,” a 2004 history of Bush’s war cabinet.

»Michael O’Hanlon, a defense analyst at the non-partisan Brookings Institution in Washington, said “the clear challenge for this administration is to find a balance between retaining the right, in extremis, to preempt, while avoiding association with the Bush administration.” “The only solution is to try to downplay this option and say it will be reserved for the most extreme cases and even then pursued only with as much international backing and legitimacy as possible,” O’Hanlon said.»

@PAYANT Commençons par la fin… C’est un bel exercice de voir des experts qui, hier, applaudirent presque unanimement la doctrine de “la frappe préventive” s’interroger gravement aujourd’hui sur sa validité, sur sa légalité, sur sa justification, etc. – bref, nous dire in fine que cette doctrine est une folie complètement déstabilisante et absolument insupportable pour les relations internationales normales. C’est un bel exercice de démonstration du conformisme complet de ces experts, qui s’alignent automatiquement sur la pensée du pouvoir, que cette pensée passe du noir au blanc ou du blanc au noir. Dans ce cas, ils brûlent ce qu’ils ont adoré hier, et dénoncent comme une complète barbarie ce qu’ils jugèrent absolument adapté à la situation internationale d’hier. Mais le fait objectif que nous devons affirmer et réaffirmer, sans nous intéresse aux variations bien rémunérées de ces grands esprits, est effectivement que la doctrine de 2002, qui ne souleva guère de vague parmi les représentants divers de la civilisation, des alliés occidentaux aux intellectuels bien en cour, est la barbarie reconstituée en artefact bureaucratique.

La doctrine de “la frappe préventive” ne dit rien d’autre que la décision laissée à la discrétion des USA de frapper sans avertissement, sans nécessité de provocation de l’autre ou quoi que ce soit de semblable, n’importe quelle nation, organisation ou entité que ces mêmes USA jugent “responsables” d’ourdir de noirs desseins contre eux-mêmes (dito, les USA). Cette doctrine est au cœur de ce que nous nommons, en empruntant l’expression à Harlan K. Ullman, la “politique de l’idéologie et de l’instinct”; elle définit d’une façon docte et impérative, comme seuls savent faire les bureaucrates du Pentagone, une pratique barbare des relations internationales, de préférence à la pratique civilisée des relations internationales; elle définit impérativement le monde en termes de force brute (l’“idéal de la puissance” de Ferrero) et l’action dans le monde à cette mesure de la seule force.

La tentative en cours, exposée par Kathleen Hicks, fait partie d’une façon plus générale de la tentative de l’administration Obama de déconstruction de cette “politique de l’idéologie et de l’instinct”. Nous parlons bien de “tentative” parce que nul ne sait s’il y aura réussite au bout du processus, parce qu'il y a beaucoup d'arguments pour en douter. Dans ce cas, il s’agit de vaincre la bureaucratie du Pentagone, qui a complètement absorbé la doctrine de “la frappe préventive” et campe sur ses positions avec détermination. Il faudra voir ce qui sortira de la QDR en fait d’éventuelle “nouvelle doctrine”, la bureaucratie s’y entendant parfaitement pour diluer toute tentative de réforme, surtout celle qui porte sur des textes et des conceptions qui permettent d’affirmer sans aucun frein sa puissance.

L’argument que nous donne la gentille Hicks pour justifier l’abandon de la doctrine (“l’environnement international est plus complexe”) est du bois dont on fait les flutes. Il n’y a rien de plus complexe aujourd’hui qu’hier. Le fantôme de Saddam Hussein n’a pas plus d’armes de destruction massive aujourd’hui que Saddam n’en avait hier. Les phantasmes des “Etats-voyous” brandissant le nucléaire existaient hier comme ils existent aujourd’hui, dans l’esprit sophistiqué des experts qui changent d’avis comme d’after-shave. Les grandes menaces eschatologiques existaient déjà en 2002 mais l’administration GW Bush n’en avait que faire, et ainsi de suite.

Ce qui est “plus complexe” en vérité, c’est que la puissance US s’est effondrée depuis 2002, tant au niveau militaire, que financier, qu’économique, et que la psychologie US est passée de l’ivresse virtualiste de la puissance au désordre de la décadence et de l’impuissance. Ce qui est “plus complexe”, dans ce cas, c’est tout simplement que la doctrine de “la frappe préemptive” est devenue complètement inapplicable, parce que les USA n’ont plus les moyens de force à cet égard, sinon à lancer une attaque nucléaire générale contre The Rest Of the World à laquelle eux-mêmes ne réchapperaient pas. Il faut bien tenter, dans ces conditions, d’effectuer un rangement dans ce qui semblerait pouvoir l’être. Alors, on tente de jeter par-dessus bord les performances “légales” les plus monstrueuses de ce qui a précédé l’administration Obama, en espérant que cela suffira pour faire reculer un tant soit peu la barbarie fermement installée au cœur de ce qui reste de puissance US, et qui se traduit surtout, à cause de l’effondrement mentionné par ailleurs, en impuissance et en paralysie. Répétons-le, on attend avec un certain intérêt de voir, et de lire, ce qu’accouchera la QDR à ce propos, en se demandant si la bureaucratie ne réussira pas à nous présenter un Frankenstein-bis en remplacement de l’original.


Mis en ligne le 16 octobre 2009 à 09H32

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