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20 novembre 2004 — Grotesque, tout le monde est grotesque dans cette affaire, laquelle est par ailleurs sanglante (centaines, milliers de morts irakiens, qu’on s’empresse de classer dans la catégorie “insurgents”)— mais qui cela (son caractère sanglant) intéresse-t-il vraiment tant qu’il s’agit d’Irakiens ? Ce général des Marines (Lt. Gen. John Sattler, commandant le 1st Marine Expeditionary Force, qui a “repris” ( !) Falloujah) est aussi grotesque que John Wayne l’était en parlant de la guerre (il l’avait jouée à Hollywood mais s’était bien gardé de la faire) ; les journalistes sont grotesques, qui retranscrivent ces propos sans l’ombre d’une appréciation critique ; grotesques encore, ceux qui lisent cela sans pouffer d’un rire inquiet devant tant de stupidité déployée par ceux qui conduisent et utilisent tant de force brutale.
Donc, voici comment cela se passe (au passage, dans cet article du Washington Times qui fait la une du journal vendredi, on apprend que la guerre est également finie, victorieuse, en Afghanistan, ce qui satisfera grandement les trafiquants de drogue) :
« The top Marine officer in Iraq declared yesterday that victory in the battle of Fallujah has “broken the back” of the Iraqi insurgency, while another commander in the war on terror said Osama bin Laden is all but cut off from his terrorist operatives.
» The twin statements declare success on the two main war fronts — Iraq and Afghanistan — where the U.S. military is fighting a deadly insurgency and trying to create lasting democracies.
» Lt. Gen. John Sattler, who commands the 1st Marine Expeditionary Force in Iraq, told Pentagon reporters that 11 days after invading Fallujah, the one-time insurgent stronghold is secure, but not yet safe. His ground troops were carrying out a “search-and-clear phase,” he said.
» Based on intelligence that shows Fallujah was an enemy command center, Gen. Sattler asserted, “We feel right now that we have ... broken the back of the insurgency, and we have taken away this safe haven.”
» Master terrorist Abu Musab Zarqawi is thought to have used Fallujah as his base for recruiting and deploying suicide bombers in what the military calls “vehicle-borne improvised explosive devices” (VBIEDs).
» Gen. Sattler said the insurgency, in losing Fallujah, has lost “your location and your means for command and control, you lose your lieutenants, which we have taken out of the Zarqawi network over the course of the last almost three months on a very precise basis. ... And you also lose the turf where you're operating, the town that you feel comfortable moving about in, where you know your way about. Now you're scattered.”
» He added, “I believe, I personally believe, across the country, this is going to make it very hard for them to operate. And I'm hoping that we'll continue to breathe down their neck.” »
On reste sans voix et pratiquement sans stylo (heureusement, il reste le traitement de texte) devant ces déclarations, lesquelles sont si grotesques qu’on en viendrait à soupçonner une ironie au second degré qui nous aurait échappé. Un coup d’œil au général Sattler ne nous laisse aucun doute (pas d’ironie). Son visage n’a même pas en commun avec l’inspirateur de la victoire la physionomie mâle et burinée de Wayne. Sattler fait plutôt petit notaire de province, à qui l’ironie est tout à fait étrangère.
On a donc plutôt affaire à un robot déguisé en notaire. Le Washington Times, qui soutient tout extrémiste, neocon, évangéliste, etc passant à portée de plume, a fait des déclarations du notaire, une manchette triomphale (on a oublié dans cette manchette la mention de la victoire en Afghanistan, — too bad)
Vaguement conscient du ridicule de l’application de cette consigne triomphaliste par son secrétaire de rédaction appliquant les consignes du révérend Moon (propriétaire du Washington Times), le journaliste Rowan Scarborough, qui n’est pas toujours systématiquement propagandiste, a jugé prudent de glisser ce bémol :
« Some Pentagon officials say privately that they do not share Gen. Sattler's optimism.
» They said this week that the countrywide insurgency has shown itself to be an adaptable band of dedicated killers that likely will be able to recruit new members and sustain some level of violence for years, not just months.
» Although Fallujah is considered “secure” in military terms, it is not cleared of insurgents, even though the Marines estimate that they along with Army soldiers and Iraqi security forces killed about 1,200 enemy fighters. Gen. Sattler said the coalition is now searching buildings among Fallujah's bombed-out rubble to make sure each is cleared of terrorists. »
La question posée par cette sorte de texte est de savoir qui est le plus ridicule dans l’exploitation des stupidités canardesques les plus grotesques : le général de Marine au visage de notaire, les journalistes accrédités au Pentagone, le Washington Times ? Le problème est général, aussi bien au Marine Corps que dans la presse américaine
Laissons ces stupidités dérisoires et passons rapidement au sérieux des choses. La destruction de Falloujah conforte un peu plus les Américains dans leur stratégie du désastre en Irak : frapper, frapper et encore frapper, avec toute leur aveugle puissance de feu, machine à faire des morts et à alimenter les rangs de la rébellion qu’il faudra bien appeler un jour “résistance” ; machine qui broie des innocents autant que la réputation de l’Amérique outre-mer.
L’excellent commentateur William S. Lind, un des meilleurs commentateurs de l’absurde guerre menée en Irak, nous a déjà dit ce qu’il faut penser de cette utilisation de la puissance de feu, — qu’il nomme dans ce cas lethality (capacité de détruire et de tuer) et capacité de Force Protection. (Consultez les archives de Lind, sur LewRockwell.com : il est rassurant de découvrir que le journalisme d’analyse américain peut aussi nous donner cela.)
« …We already have vast advantages over our Fourth Generation opponents in both lethality and protection, yet we're losing. That suggests there is rather more to Fourth Generation war than lethality and protection. Indeed, we have so much of both of those qualities that they may work against us more than for us. Recently, the lethality of U.S. Army attack helicopters was turned on a crowd of young men and boys gathered around a burning Bradley, with catastrophic results for our image among Iraqis. And our Force Protection already seals us off from the people we are supposed to be helping, turning us into an alien and threatening presence. At the mental and moral levels of war, we may need less lethality and protection rather than more. »
Cette façon absurde de faire la guerre est par ailleurs décryptée par un autre grand expert, Martin Van Clevde, de l’université de Jérusalem. Van Clevde explique pourquoi l’Irak est inéluctablement promis à se terminer comme le Vietnam, c’est-à-dire par une défaite américaine (et non pas un maintien du statu quo, un protectorat plus ou moins stable, etc, — non, une défaite purement et simplement, et l’image qu’emploie Van Clevde est bien celle de l’évacuation honteuse et dans la panique absolue de Saïgon par les Américains, au printemps 1975).
« In other words, he who fights against the weak – and the rag-tag Iraqi militias are very weak indeed – and loses, loses. He who fights against the weak and wins also loses. To kill an opponent who is much weaker than yourself is unnecessary and therefore cruel; to let that opponent kill you is unnecessary and therefore foolish. As Vietnam and countless other cases prove, no armed force however rich, however powerful, however, advanced, and however well motivated is immune to this dilemma. The end result is always disintegration and defeat; if U.S troops in Iraq have not yet started fragging their officers, the suicide rate among them is already exceptionally high. That is why the present adventure will almost certainly end as the previous one did. Namely, with the last US troops fleeing the country while hanging on to their helicopters’ skids »