Comment l’américanisme s’exclut lui-même d’Asie et y renforce la puissance chinoise

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Comment l’américanisme s’exclut lui-même d’Asie et y renforce la puissance chinoise


10 décembre 2005 — Diverses indications montrent un reflux significatif de l’influence américaine en Asie. La chose est mise en évidence par une analyse de Tim Shorrock, ce jour sur atimes.com, sous le titre : « Why Southeast Asia is turning from US to China.

Shorrock observe, pour résumer son propos : « The United States is rapidly losing its influence in the Southeast Asia region to China, thanks to an overly narrow focus on terrorism and a propensity to place bilateral ties above multilateral relationships, according to US and Chinese analysts. »

Le principal bénéficiaire de cet effacement est évidemment la Chine. Non seulement la Chine est devenue la puissance économique et stratégique principale en Asie aujourd’hui, mais l’extraordinaire incohérence politique américaniste favorise cette affirmation chinoise.

• Certes, Washington perd de l’influence en Asie, notamment par le désintérêt qu’il montre pour cette région (voir ci-après), malgré les affirmations de convenance à cet égard.

• En même temps et d’une manière complètement contradictoire, Washington contribue à l’affirmation de la puissance chinoise en dénonçant sa puissance montante, en la dramatisant d’une façon outrancière, en affirmant que la Chine est la super-puissance de demain et qu’elle risque de supplanter la puissance américaine. Voit-on meilleure façon de pousser les pays asiatiques, jusqu’alors inféodés à Washington et habitués par cette allégeance à rechercher la faveur et la protection du puissant du jour, à se tourner vers la Chine?

En parcourant les explications avancées pour expliquer ce recul de l’influence américaniste en Asie, on croirait observer une vision caricaturale des traits les plus constants de l’américanisme. Le texte cité rapporte des observations de Catharin Dalpino, spécialiste de l’Asie à Georgetown University et ancienne analyste du département d’État dans l’administration Clinton.

« [T]the US is “notoriously bilateral, and almost gratuitously so in Southeast Asia,” Dalpino said, adding that the fact that US officials won't be attending the first East Asia Summit, scheduled for December 14 in Kuala Lumpur, underscores US alienation from the region ». On ajoutera, toujours en citant Dalpino, qu’en faisant de l’Asie du Sud-Est « a second front in its global war on terror, the Bush administration has signalled that “we care less about other areas of policy” ».

Un autre expert est cité par Shorrock, rapportant ainsi un tableau général de la situation tracé lors d’un séminaire organisé par la Sasakawa Peace Foundation USA. L’expert est d’origine chinoise, Minxin Pei, directeur du programme chinois à Carnegie Endowment for International Peace. Il ajoute une dimension plus importante au constat posé par Dalpino, et l’élargissant d’une façon convaincante.

Selon Mixin Pei, cette désaffection américaine pour la région ne date pas de la seule administration GW Bush mais remonte à l’administration Clinton. Cela fait justice du multilatéralisme dont est abusivement créditée l’administration Clinton, et fait piètrement augurer de la politique américaine de l’après-bushisme. Le fait est que les USA ont retrouvé, avec la fin de la Guerre froide, leur puissante tendance naturelle d’une vision unilatéraliste du monde, bien plus qu’une politique. La vision gouverne la politique, quel que soit l’habillage qu’on mette à cette dernière, quelle que soit l’étiquette qu’on lui accole. Le 11 septembre a fait tomber le masque, mais la substance existait déjà.

Minixin Pei, selon Shorrock, « said US military policies following the September 11, 2001 terrorist attacks have played a significant role in the estrangement. But he dated the problem back to the Asian financial crisis of 1997 and 1998, when the Clinton administration used its influence on the International Monetary Fund to impose solutions on Asian countries that supported US economic goals in the region. During the crisis, “the US showed to the East Asian countries it really did not care about them”, he said. »

Complétons ces observations par des remarques plus générales.

• L’évolution qui est mise en évidence ici conduit à noter que l’Asie est la deuxième région à évoluer comme on la voit faire, rejoignant l’Amérique Latine dans cette direction. Cela rend encore plus pitoyable et difficilement croyable la politique européenne d’allégeance et d’alignement sur les Etats-Unis. (Cette politique européenne fait régulièrement reculer l’évaluation de la puissance stratégique de l’Europe par des partenaires tels que la Russie et la Chine, diminuant à mesure l’influence européenne dans ces pays.)

• Par ailleurs, et considérant que les USA agissent d’une façon complètement unilatérale, la notion de restructuration du monde en “blocs” régionaux (la théorie orwellienne des trois blocs) acquiert de plus en plus de crédit, — qu’il y en ait trois effectivement, comme le prédisait Orwell, ou plus de trois.