Comment l’Amérique est en train de changer

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Comment l’Amérique est en train de changer


7 février 2005 — Il s’impose de rapprocher deux informations qui nous en disent long sur l’Amérique, bien qu’elles ne soient pas directement de type politique, au sens strict et nécessairement étroit du monde ; mais, politiques, elles le sont vastement lorsqu’on embrasse le concept dans sa diversité et sa profondeur.

• La première nouvelle, c’est cet article dans le Guardian du jour, nous expliquant que, bientôt, le Kansas pourrait considérer que Dieu a créé l’homme, “techniquement” et rationnellement parlant, et que la théorie de l’évolution n’est pas un fait scientifique mais une théorie parmi d’autres, — et, en général selon l’esprit de cette éventuelle nouvelle loi du Kansas, une théorie qui a mauvaise presse. Le Kansas n’est pas une exception ou un accident puisque le même débat légal, au niveau de la législature de l’État, est engagé dans 17 autres États de l’Union.


« “Somewhere along the line, the students have been told the theory of evolution is not valid,” he said. “In the last few years, I've had students question my teaching about cell classification and genetics, and there have been a number of comments from students saying: ‘Didn't God do that?’” In Kansas, the geographical centre of America, the heart of the American heartland, the state-approved answer might soon be Yes. In the coming weeks, state educators will decide on proposed curriculum changes for high school science put forward by subscribers to the notion of “intelligent design”, a modern version of creationism. If the religious right has its way, and it is a powerful force in Kansas, high school science teachers could be teaching creationist material by next September, charting an important victory in America's modern-day revolt against evolutionary science.

» Similar classroom confrontations between God and science are under way in 17 states, according to the National Centre for Science Education. In Missouri, state legislators are drafting a bill laying down that science texts contain a chapter on so-called alternative theories to evolution. Textbooks in Arkansas and Alabama contain disclaimers on evolution, and in a Wisconsin school district, teachers are required to instruct their students in the “scientific strengths and weaknesses of evolutionary theory”. Last month, a judge in Georgia ordered a school district to remove stickers on school textbooks that warned: “This textbook contains material on evolution. Evolution is a theory, not a fact, regarding the origin of living things.”

» For the conservative forces engaged in the struggle for America's soul, the true battleground is public education, the laboratory of the next generation, and an opportunity for the religious right to effect lasting change on popular culture. Officially, the teaching of creationism has been outlawed since 1987 when the supreme court ruled that the inclusion of religious material in science classes in public teaching was unconstitutional. In recent years, however, opponents of evolution have regrouped, challenging science education with the doctrine of “intelligent design” which has been carefully stripped of all references to God and religion. Unlike traditional creationism, which posits that God created the earth in six days, proponents of intelligent design assert that the workings of this planet are too complex to be ascribed to evolution. There must have been a designer working to a plan — that is, a creator. »


• La seconde nouvelle, c’est un article (dans le New York Times/l’International Herald Tribune du jour) sur quelque chose d’impensable pour un Américain courant: un courant d’émigration pour des motifs politiques fondamentaux; c’est-à-dire des Américains de pur type, dans le sens de la psychologie et de la conception du monde notamment, qui ne supportent plus de vivre dans le pays qui a élu et réélu GW Bush, qui suit la politique qu’il suit, qui a les pratiques qu’il a, etc.


« “I love the United States,” he said as he stood on the Vancouver waterfront, staring toward the Coastal Range, which was lost in a gray shroud. “I fought for it in Vietnam. It's a wrenching decision to think about leaving. But America is turning into a country very different from the one I grew up believing in.”

» In the Niagara of liberal angst just after Bush's victory on Nov. 2, the Canadian government's immigration Web site reported a surge in inquiries from the United States, to about 115,000 a day from 20,000.

» After three months, memories of the election have begun to recede. There has been an inauguration, even a State of the Union address. Yet immigration lawyers say that Americans are not just making inquiries and that more are pursuing a move above the 49th parallel, fed up with a country they see drifting persistently to the right and abandoning the principles of tolerance, compassion and peaceful idealism they felt once defined the nation.

» America is in no danger of emptying out. But even a small loss of population, many from a deep sense of political despair, is a significant event in the life of a nation that thinks of itself as a place to escape to. Firm numbers on potential immigrants are elusive. “The number of U.S. citizens who are actually submitting Canadian immigration papers and making concrete plans is about three or four times higher than normal,” said Linda Mark, an immigration lawyer in Vancouver. »


Nous avons intentionnellement placé les deux articles dans cette chronologie parce qu’il y a un déroulement logique. La première nouvelle est une indication de plus, et celle-ci d’une très grande force, de la volonté de changement du pays, et un changement portant sur une matière fondamentale (l’enseignement des origines du monde). C’est à cause de ce changement-là que des Américains commencent à quitter les Etats-Unis dans une volonté de migration fondamentalement politique, sinon philosophique.

Nous ne nous attarderons pas à débattre du fond du débat ouvert au Kansas et dans 17 autres États. Ridiculiser la thèse de l’ “intelligent design” au nom à la fois de l’intelligence et de la tolérance, impliquant que cette thèse est stupide et que la volonté de l’enseigner aux dépens de l’évolution est un acte d’intolérance, n’est pas ici le vrai débat ; cela l’est d’autant moins que c’est un débat faussé ou bien ambigu, lorsqu’on considère l’état d’un monde dont les conceptions modernistes, — prétendant à l’intelligence et à la tolérance et s’opposant au retour du créationnisme, — portent l’essentiel de la responsabilité. A l’inverse, débat faussé et ambigu également pour les partisans du créationnisme, qui soutiennent à 100% une administration Bush dont l’action extérieure, tant politique qu’économique, implique dans son caractère de “globalisation” une déstructuration des traditions et des structures historiques, dans un mouvement si radical qu’il pourrait être identifié à ce qu’il y a de plus maximaliste dans le postmodernisme, jusqu’à être qualifié de “trotskisme postmoderniste”.

Ce qui nous importe pour l’instant est de relever que l’Amérique est réellement entrée dans une ère de bouleversements profonds, et à une très grande vitesse. Les effets constatés ici sont encore marginaux mais il est manifeste qu’ils possèdent une dynamique d’expansion. Ils pourraient rapidement s’amplifier, notamment sous la poussée d’événements extérieurs eux-mêmes déstabilisants pour l’Amérique. L’accélération du mouvement ultra-conservateur qu’on constate, additionnée à bien d’autres facteurs renforçant la même dynamique, n’aura pas comme seul effet une émigration politique, événement pourtant déjà considérable pour l’Amérique, et lui-même déstabilisant dans la mesure où la raison d’être mythique de l’Amérique est d’être une terre où l’on se réfugie. Au-delà, une conséquence dramatique possible est un affrontement civil à l’intérieur de l’Amérique. L’apparition de l’existence sérieuse d’une telle possibilité est un événement également dramatique et d’une importance politique considérable.