Comment l’Atlantique n’a jamais été si large

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Comment l’Atlantique n’a jamais été si large


30 mars 2004 — On commence à mesurer l’effet principal des événements espagnols, — les attentats du 11 mars et le vote du 14 mars, avec la défaite de la droite et d’Aznar. Le sommet européen anti-terroriste de vendredi dernier a contribué à officialiser l’évolution.

Cet effet apparaît à travers un enchaînement de conséquences, dont les effets secondaires, souvent contradictoires, ont conduit à une situation qui apparaît de plus en plus comme une rupture transatlantique.

Cet enchaînement de conséquences est le suivant :

• Aussitôt après le 11 mars, une mobilisation générale des moyens médiatiques, des commentaires, etc, avec un thème principalement : l’Europe a connu son 11 septembre, il est temps qu’elle prenne conscience du danger terroriste et se mobilise. (Réaction évidemment mesurée et dissimulée, qu’il faut déchiffrer, et qui l’est sans la moindre difficulté. L’idée générale implicite était bien que cette mobilisation européenne aboutirait à l’adoption à 100% de la ligne US, de la conception US de “lutte contre la terreur ”, du soutien à toute la politique US, y compris l’Irak certes.)

• L’élection du 14 mars en Espagne débouche sur la défaite du PP, c’est-à-dire la défaite d’une ligne espagnole, celle d’Aznar, qui est caractérisée par son engagement pro-américain sans le moindre compromis ni aménagement, et qui se garde bien de la moindre analyse de la question terroriste, se contentant de soutenir la poussée belliciste US conformément aux slogans généralement répandus. Au contraire, le nouveau gouvernement espagnol de Zapatero écarte la ligne américaine systématique mais prône une lutte anti-terroriste renforcée.

• Les “instances” européennes (institutions européennes et mécanismes intergouvernementaux) réagissent et réalisent effectivement une mobilisation anti-terroriste. Désormais, le sujet est affiché médiatiquement comme prioritaire, comme il ne l’avait pas été avant le 11 mars. (En fait, la lutte anti-terroriste était menée très vigoureusement, mais sans tintamarre médiatique, “sommets”, etc.) Le résultat apparaît très rapidement : un divorce flagrant, particulièrement significatif, entre l’Europe et les USA. C’est là le point essentiel, qu’on peut voir apparaître clairement, notamment, dans cet extrait du Christian Science Monitor.


« Europe and the US are taking different paths when it comes to fighting the war on terrorism, The Washington Post reports. Earlier this month, US President George Bush described the war on terrorism as “not a figure of speech” but “an inescapable calling of our generation.” But across the Atlantic, Javier Solana, foreign policy chief for the European Union, the man responsible for overseeing Europe's counterterrorism efforts, was taking a completely different approach. “Europe is not at war,” Mr. Solana told a German newspaper. “We have to energetically oppose terrorism, but we must not change the way we live.”

» At an EU summit that ended Friday, leaders announced new measures to fight terrorism, but even the attacks in Madrid on March 11 have not lead to a fundamental shift, writes the Post. Nor has it lead to “transatlantic unity” in the terror war, as an increasingly large number of Europeans see the war in Iraq as a problem when it comes to fighting terrorism.

» “What Bush calls the war against terrorism is the war which Bush chose to wage in Iraq,” said Francois Heisbourg, director of the Foundation for Strategic Research in Paris. “And that war has become massively unpopular in Europe. People see it here as aggravating terrorism, not fighting it.”

» The Sunday Herald of Scotland reports Europeans' feelings that the war in Iraq has hinder the war on terrorism have only been increased by the recent remarks of former top officials in the Bush White House, in particular former counterterrorism chief, Richard Clarke. Mr. Clarke has said that the Bush administration's “obsession with Iraq” has hindered the war on terror. »


Ainsi commence à se mettre en place le principal effet de la crise espagnole : la mise au grand jour des différences de conception entre les États-Unis et l’Europe. Les deux pôles du monde occidental voient la lutte contre le terrorisme d’une façon différente, parce qu’ils voient le terrorisme d’une façon différente, parce qu’ils voient les relations internationales d’une façon différente. Tout cela, on le savait mais cela n’était pas dit. Aujourd’hui, cela va beaucoup plus loin qu’être dit, cela est affiché, et cela constitue un événement de rupture.

Dans la chronologie historique, le 11 mars figurera comme l’antithèse du 11 septembre : à l’affirmation d’une solidarité contrainte répond désormais l’affirmation de conceptions différentes en Europe et aux USA. A terme, on voit mal comment les cohésions établies pendant la Guerre froide et péniblement poursuivies jusqu’ici pourront survivre. On voit mal comment l’OTAN ne poursuivra pas une décadence irrésistible avec des membres dont les conceptions diffèrent à ce point ; on voit mal comment les structures de la défense et de la sécurité européennes ne poursuivront pas leur développement selon une planification, des conceptions et des objectifs différents de ceux qu’ont les Américains.