Comment les armes nous unissent

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Comment les armes nous unissent

• Que voilà un raccourci intéressant ! • Nous reprenons ici diverses réflexions très récentes, faites autour de la visite exceptionnelle (5 jours de suite) du ministre des affaires étrangères indien à Moscou pour décrire les perspectives des relations de l’Inde avec La Russie, au détriment des relations de l’Inde avec les USA. • Un point important, c’est la coopération russo-indienne dans le domaine des armements, où la Russie s’est montrée maîtresse du monde en Ukraine. • Et plus encore : la Chine profitant aussi des armes russes, ils finiront tous amis...

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Prenons un article qui prend comme un sujet un (autre) article, tandis que d’aurez interventions du genre, ‑– d’autres articles, pardi ! – nous ont déjà préparés à ce qui est dit. Cela concerne les relations de la Russie et de l’Inde, c’est-à-dire, – dit autrement mais plus justement, et de façon beaucoup plus importante pour la situation générale : “Cela concerne” l’impasse des relations entre l’Inde et les USA après une nième tentative des USA de “s’annexer” l’Inde.

Les articles d’abord mentionnés sont ceux de ‘piccolenote.it’ (traduit pareuro-synergies.hautefort.com’), parlant notamment et essentiellement d’un article de ‘The Diplomat’. L’auteur de ce second article (de ‘The Diplomat’) est Mohamed Zeeshan et l’importance qui lui est accordée, ainsi que les nombreuses citations qui sont fautes dans ‘piccolenote.it’, sont justifiées de cette façon :

« Au-delà du détail, l'intérêt de cet article réside non seulement dans son contenu, mais aussi dans le fait que c'est un média international qui est en fait l'organe d’information et d’influence officiel en ce qui concerne l'Asie qui dresse ce tableau. »

L’auteur juge que le voyage tout à fait exceptionnel par sa durée (5 jours) et le reste bien sûr, du ministre indien des relations extérieures de l’Inde Subrahmanyam Jaishankar, a marqué diplomatiquement et symboliquement un très important tournant. Ce fut un séjour extraordinaire. Bien sûr, le ministre vit tout le monde, y compris Poutine, qui le reçut ; mais il eut aussi du temps libre et on le vit déambuler, seul, sur la Place Rouge, se remémorant août 1962 ; lorsqu’il vint, à l’âge de 7 ans, accompagner son père, l’analyste renommé K. Subrahmanyam, qui était en visite à Moscou pour une cérémonie en l’honneur des cosmonautes de Spoutnik-3 et de Spoutnik-4. On voit que le symbole est aussi celui du temps long et de la nostalgie. RT.com avait consacré un article à cet aspect de la visite extraordinaire du ministre indien.

« Lorsque le ministre indien des affaires extérieures, Subrahmanyam Jaishankar, s'est rendu à Moscou la semaine dernière, il a semblé avoir franchi un cap dans les relations entre l'Inde et la Russie après deux années de funambulisme. » (Zeeshan)

D’accord pour le mot “funambulisme” tout comme pour la durée. Tout commença, dans cette incertitude inquiète des relations entre Russie et Inde, par ce commentaire de Modi, quelques semaines après le 24 février 2022 : « Aujourd’hui n’est pas le temps de la guerre ». Il y eut le quadrille avec l’une des habituelles aguicheries américanistes organisant une sorte d’entente de sécurité maritime nommée QUAD (Inde et USA avec l’Australie et le Japon comme autres paillasses de l’US Navy). Il y eut la visite de Modi à Biden de l’été dernier  tandis que les sommets annuels Inde-Russie étaient suspendus. Il y avait du vent dans les voiles, d’ailleurs avec un Modi assez inconsistant, se jugeant fort habile et pourtant bien lent à comprendre de quel bois pourri les américanistes sont faits.

« Tout au long de cette période, poursuit Zeeshan, l'Inde a continué à importer du pétrole et du charbon de Russie dans des quantités sans précédent, mais New Delhi l’a fait avec l'impression, – plus ou moins délibérée – qu’elle avait peu d’alternatives stratégiques au commerce avec Moscou. Il y avait rarement des références enthousiastes à la Russie en tant qu’alliée de l'Inde, et Modi avait même publiquement fait la leçon à Poutine sur la manière d’éviter la guerre. »

Donc, cette période est dépassée, et la visite du ministre indien a effectivement marqué ce changement. Un autre commentateur de qualité, M.K. Bhadrakumar, est également de cet avis mais il l’est dans des termes plus nuancés. On verra plus loin que lui et Zeeshan diffèrent également pour la suite.

Ainsi, lorsque M.K. nous dit ceci, le passage ci-après repris d’un article du 5 janvier, on voit qu’il ne craint pas le paradoxe tout en faisant du ministre indien un manœuvrier de première valeur qui saura continuer à manœuvrer, c’est-à-dire revenir à de meilleures relations avec les USA, telles qu’elles furent il y a un à deux ans après avoir rétabli avec éclat les relations avec Moscou – logique, tout cela, pour un grand manœuvrier, mais est-ce bien sûr ?

« Les paroles de Jaishankar sur le sol russe ont été empreintes d’une extase sans nom. Il s’est même promené sur la Place Rouge en plein hiver russe. Mais le ministre est tout sauf un diplomate sentimental, qui sait gérer les émotions, non pas nécessairement comme un fardeau, mais en les transformant au contraire en de formidables effets d’optique.

» Cette visite en Russie marquera la carrière diplomatique de Jaishankar et sera comparée au rôle remarquable qu’il a joué dans l’intensification des relations entre l’Inde et les États-Unis... [...]

» ...Néanmoins, ce n’est pas la fin de la saga américano-indienne. Dès que la prochaine administration américaine s’installera, Delhi redoublera d’efforts pour reprendre le fil de l’histoire. Qu’on ne s’y trompe pas, pour les élites indiennes les États-Unis restent le partenaire le plus important et il est garanti que Washington leur rendra la pareille. »

Zeeshan a une vision différente. Il considère que le soutien US à Israël est un coup mortel dans les tentatives de rapprochement de l’Inde avec les USA (alors que Bhadrakumar ne dit pas un mot sur cette question). Bien, on sait qu’au tout début de la “guerre de Gaza”, alors qu’il n’était question que de l’attaque du 7 octobre, l’Inde avait soutenu Israël à 100% sous les yeux extasiés des vigies aux vues perçantes Blinken-Sullivan. Mais, depuis, le ton a singulièrement changé, – et devant le comportement israélien, et devant le soutien US du comportement israélien.

« ...“Mais depuis, le monde a changé. Avec la guerre épouvantable menée par Israël à Gaza, la situation a changé et le soutien des États-Unis au gouvernement israélien dans cette guerre a affaibli la position morale de Washington”. [...]

»“L'isolement de Washington sur Gaza, poursuit ‘The Diplomat’, a coïncidé avec une rhétorique plus affirmée de la part de New Delhi. Après avoir rejeté les critiques des observateurs occidentaux concernant sa rencontre avec Poutine la semaine dernière, Jaishankar a déclaré : ‘Regardez-vous dans le miroir et dites-moi si vous agissez comme une démocratie’”. » 

Le même article poursuit en détaillant la débâcle actuelle des USA dans le monde, tandis que les BRICS+, où l’Inde tient sa place et auxquels la Russie devrait imprimer un rythme supplémentaire pour son année de présidence, affirment évidemment leur position.

L’auteur de l’article italien qui cite ‘The Diplomat’ tire pour son compte ce qu’il juge être les conclusions logiques, s’appuyant notamment sur les multiples effets de la “guerre de Gaza”, qui apparaît ainsi de plus en plus dévastatrice pour la politique extérieure américaniste... Il est difficile de comprendre par quelle étrange absence de logique et quelle aberration de perception les USA continuent à se lier à la politique israélienne, – ce qui n’a nullement été toujours le cas historiquement, notamment et surtout jusqu’en 1967 et la présidence Johnson (les USA d’Eisenhower étaient beaucoup plus proches des pays arabes, et notamment de l’Égypte de Nasser en plus de l’Arabie, que d’Israël comme on le vit lors de la crise de Suez)...

Note de PhG-Bis : « Il est plus facile de le comprendre, non pas en en appelant aux comploteurs & complotistes, mais de façon plus ontologique selon les conceptions de PhG, en se référant au processus d’‘américanisation’ d’Israël qu’on a déjà vu à plusieurs reprises, parce que ce processus joue nécessairement dans les deux sens. Israël est prisonnier de la politiqueSystème  qui anime désormais les USA, au moins depuis 1991-2001 à visage découvert et sans possibilité d’évasion pour le personnel en place, et les USA sont prisonniers de la politique israélienne puisqu’il s’agit de la même politiqueSystème. Entre les deux, il existe une assurance d’un suprémacisme partagé qui a comme nom de famille selon le philosophe Obama “exceptionnalisme”. Nous sommes dans la même soupe où se glissent parfois, comme un peu de sel poivré, les restes de l’empire britannique. »

Sur les restes de l’‘Empire’

On notera donc la conclusion de l’article de ‘piccolenote.it’ citant Mohamed Zeeshan, et non la conclusion de Zeeshan lui-même. L’on comprend ainsi bien qu’il existe une logique de la catastrophe américaniste qui est ici bien comprise et portée à son terme, mais qui par contre existe beaucoup moins chez M.K. Bhadrakumar, – du moins à ce point du raisonnement.

« Il en ressort une défaite retentissante de la politique étrangère américaine qui, dans le quadrant asiatique, a beaucoup misé sur la relation avec l'Inde, indispensable dans le cadre de l'endiguement de la Chine et de toute la stratégie indopacifique. Il suffit de se souvenir de l'importance accordée à la visite de Modi à la Maison Blanche en juin dernier, qui aurait dû constituer la nouvelle et définitive pierre angulaire de la nouvelle alliance entre Washington et New Delhi.

» De l'eau a coulé sous les ponts. Si la perspective esquissée par ‘The Diplomat’ se poursuit dans cette voie, il s'agira d'une défaite capitale pour les États-Unis. Ils essaieront certainement de trouver des solutions, mais il est peut-être déjà trop tard. »

Mais les deux analystes se rejoignent pourtant sur un point, qui est celui de la coopération dans le domaine des armements. Ce qui, au début 2022, avait été pour certains, ‑– et peut-être pour Modi et son ministre des affaires étrangères eux-mêmes, – le premier signe grave de la possibilité d’un basculement complet d’une alliance avec la Russie vers une alliance avec les USA, à savoir la décision russe de lancer son Opération Militaire Spéciale (OMS) en Ukraine, se retourne complètement grâce aux succès des armes russes. C’est bien Bhadrakumar, par ailleurs pourtant assez “réaliste”, c’est-à-dire pessimiste, sur la possibilité d’une alliance réelle entre l’Inde et la Russie, hors des sirènes washingtoniennes, c’est bien lui qui termine son analyse par ce constat qui nous permet de mesure la multiplicité extraordinaire des conséquences de cette OMS en Ukraine :

« Les performances exceptionnelles de l’armement russe dans la guerre en Ukraine et l’essor général de l’industrie de défense russe au cours de l’année écoulée placent la Russie en position de force pour redevenir le premier partenaire de l’Inde dans le domaine de la technologie militaire. La trajectoire sur ce front fournira des preuves concluantes d’une nouvelle pensée à Delhi en ce qui concerne la géopolitique du triangle Inde-Russie-États-Unis. »

C’est à cette lumière qu’il faut apprécier l’importance des déclarations de Lavrov lors de la visite du ministre des affaires étrangères de l’Inde à propos de la possibilité de programmes importants de développements en commun de systèmes d’armes nouveaux. Les Russes, qui ont déjà travaillé avec les Indiens dans ce sens, acceptent d’offrir à l’Inde ce que les USA lui ont toujours refusé et lui refuseront toujours.

Il faut en effet avoir à l’esprit, au centre de l’esprit, au fond de l’esprit, dans le conscient comme dans l’inconscient, que les USA dans leur configuration actuelle qui est inexpugnable, refuseront toujours de coopérer avec quiconque dans le domaine des armements, sans disposer de la totale maîtrise de la conduite du programme impliqué et du contrôle total de toutes les technologies dites “sensibles” impliquées (tout en ne refusant jamais de piller celles des coopérants). C’est-à-dire qu’avec les “partenaires” américanistes, on ne peut dire que “Oui d’accord”, et régler la facture.  Peut-être les Indiens finiront-ils par le comprendre, “with a little help” de leurs amis russes.

En sachant par ailleurs que la supériorité de la puissance chinoise sur la Russie s’exerce sur la plupart des domaines, sauf dans celui des technologies militaires de pointe où les Russes détiennent une avance qualitative indiscutable, nous parviendrions à une situation à la fois baroque, étrange et très dans le style des BRICS+ où l’on acclame la multipolarité, d’une Russie disposant d’un moyen de pression qui lui permettrait de porter et de supporter les deux alliances avec l’Inde et avec la Chine, et par le fait de susciter une amélioration décisive des liens entre la Chine et l’Inde.

 

Mis en ligne le 11 janvier 2024 à 17H45