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201411 novembre 2007 – Reportons-nous à ce qu’il est dit le 9 novembre, notamment, de l’audition au Congrès du président de la Fed et des divers traits et détails qui accélèrent, essentiellement à Washington aujourd’hui, la perception d’une crise systémique centrale dans le domaine financier et monétaire, avec les conséquences économiques à craindre.
Le paysage ainsi décrit ne fait que poursuivre, d’une façon presque mécanique malgré les avatars quotidiens et les tentatives virtualistes de rétablir une vision optimiste, la dégradation accélérée du système occidental en général. Mais l’essentiel de notre propos est que la crise à laquelle nous nous référons ici, celle des matières financières, monétaires et économiques, n’est qu’un élément de la crise centrale et générale du système.
Un autre élément, comme on le voit également dans un autre “Bloc-Notes” du même jour, est la crise de type stratégique, dite de “l’arc de crise” qui va de la Somalie au Pakistan. Ces seuls deux exemples nous renvoient, grâce aux analogies évidentes du point de vue de la gravité de l’événement, pour chacun d’eux, à une situation qui réunirait en même temps une crise financière se rapprochant en intensité de celle de 1929-1931 et une crise géopolitique semblable à celle de l’“arc de crise” de 1979-1980. On pourrait ajouter, si l’on veut faire des comptes plus ronds,
• Une crise de l’énergie, avec un baril quasiment à $100 et une pénurie affirmée dans certains pays consommateurs, avec une perspective d’une crise fondamentale de production par rapport à la demande, – donc une crise de l’énergie qui vaut pour le départ celle de 1973-1974, mais qui la dépassera évidemment. (Par exemple cette entame d’un article de l’International Herald Tribune du 31 ioctobre: «The rapidly growing appetite for fossil fuels in China and India is likely to help keep oil prices high for the foreseeable future – threatening a global economic slowdown, a top energy expert said Wednesday. The unusually stark warning by Fatih Birol, chief economist of the International Energy Agency, about the impact of Asia's emerging giants comes as the agency prepares to issue its influential annual report next week, which will focus on China and India. In preparing the report, Birol said he had experienced “an earthquake” in his thinking.»);
• Une crise de la sécurité européenne (le déploiement des systèmes BMDE en Europe), en gestation depuis février 2007 (discours de Poutine à Munich), qui pourrait nous ramener aux tourments de la crise des euromissiles de 1979-1984;
• Une crise climatique, qui n’a évidemment pas de précédent selon la perception qu’on en a. Même si son aspect météorologique et scientifique reste un sujet de contestation pour la détermination de la gravité et des responsabilités, il reste que la crise existe et qu’elle agit comme un détonateur pour la prise de conscience d’une crise environnementale qu’on peut qualifier de systémique, – système du monde, rien que cela, avec mise en cause indirecte mais puissante du système de développement de «l’économie de force” (Robert Aron-Arnaud Dandieu). Cette crise est sortie du domaine théorique. Depuis son installation en haut de l’“agenda” des institutions européennes (Commission et secrétariat général), on assiste, selon une de nos sources à la Commission, «à la mise en place d’une appréciation structurelle de cette crise dans un contexte résolument tourné vers la sécurité, la stratégie, la dimension militaire, etc. Dans toutes les réunions, les analyses, la planification aujourd’hui, cette crise est devenue une crise de sécurité». Cette démarche rejoint celle des USA à cet égard, pour transcrire la crise en termes stratégiques, politiques et économiques.
Ce qu’il faut mesurer à ce point, c’est qu’en divers autres temps de crise, autres temps de chacune de ces crises, – chacune de ces crises était ou aurait été effectivement perçue comme capable de bouleverser son époque; comme suffisante pour faire peser un grave danger de déstabilisation et de conflit sur l’entièreté des relations internationales. Aujourd’hui, nous les avons toutes en même temps, parallèlement et conjointement, imbriquées les unes dans les autres, avec des éléments communs, s’influençant les unes les autres, se relançant, se remplaçant temporairement, etc. Aucune ne le cède aux autres en importance, en causes et en effets, aucune n’est réduite, sans parler évidemment de résolution. Certaines sont inéluctables, entraînant les autres sur cette voie, parce qu’elles concernent des ressources en voie d’appauvrissement ou des mécanismes hors de notre contrôle. C’est un entrelacs général, un nœud de crises qui ne cesse d’être serré avec chacune d’elles qui enfle de ses tensions exacerbées. Qui tranchera le nœud gordien des crises? Plutôt et plus précisément: quel(s) événement(s) ou quelle conjonction d’événements pourrait avoir assez de force, de précision, d’à-propos, etc., pour trancher le nœud gordien?
Là-dessus se trouve ce qui est à notre sens la plus grave de toutes les crises, “la mère de toutes les crises” selon l’expression qui a fait fortune (“la mère de toutes les batailles” dit par Saddam en 1990 pour qualifier la confrontation qui allait l’opposer aux USA après la prise du Koweit). Nos lecteurs ne seront pas étonnés quand ils liront que cette “mère de toutes les crises” est, selon nous, psychologique. Cette crise psychologique est le véritable détonateur de la prise de conscience de la situation générale. Comment réagit et va réagir la psychologie humaine prise comme un événement collectif, devant cette accumulation de crises fondamentales et systémiques?
D’une part, ces crises lui sont cachées dans leur globalité, leur pression et leur convergence: ou bien la psychologie collective se dissimule elle-même ces diverses caractéristiques ou bien elle refuse de les apprécier dans leur réalité. D’autre part, le formidable phénomène qui domine notre temps, qui est celui de notre temps historique, qui est le phénomène de la communication, sert effectivement à dissimuler la gravité et la complexité du nœud gordien de ces crises; mais il sert aussi, d’une façon infiniment paradoxale, à révéler cette gravité et cette complexité lorsque la pression des crises se fait trop forte. (Le phénomène de communication, manipulé et utilisé par les uns et les autres, y compris par la contestation avec Internet, n’est pas un complot parce qu’il est incontrôlable et donne ses effets dans tous les sens. Son rôle est imprévu, inattendu, et il peut, il doit être de plus en plus formidable. Le phénomène de communication se révèle comme un désordre immense, – à certains égards un désordre très cultive et très informé, – alors que le système en attendait une mise en ordre et une mise en rang des domaines qu’il contrôle.)
La communication a servi à constituer une formidable bulle de virtualisme qui dissimule ces crises, avec la complicité presque unanime de tous, y compris des “victimes” des crises (la “servilité volontaire”); sous la pression du nœud gordien, elle peut servir au contraire (elle le fait par intermittence), avec autant de brutalité et de puissance qu’elle en a mis à les dissimuler, de révélateur de la convergence de toutes ces crises. Dans tous les cas, cette issue de la révélation et de la convergence nous paraît inéluctable parce que les événements, c’est-à-dire les crises, progressent, qu’ils progressent beaucoup plus vite que nous prévoyions, qu’ils progressent tous dans les sens de l’aggravation, qu’ils s’alimentent en gravité les uns les autres en progressant. Tous ces points étonnants de convergence vers l’aggravation s’expliquent également par la communication: la dissimulation des crises; le fractionnement des crises lorsque l’une apparaît trop fortement et qu’on la sépare des autres pour ne pas donner une image générale d’effondrement; le traitement en général optimiste des conséquences d’un pic de paroxysme d’une crise une fois ce pic dépassé, jusqu’à l’oubli presque instantané grâce à la marée de la communication; la dramatisation instantanée parallèlement de cette situation par les canaux et réseaux alternatifs de contestation… Tout cela a comme effet général d’écarter toute tentative sérieuse de cure d’une crise ou l’autre et, d’autre part, de renforcer la tension contenue qui s’exprimera ouvertement si un accident “crève” la bulle de virtualisme qui enveloppe ces crises.
Cette situation est complètement inédite. Nous (“nous” collectif du système) travaillons systématiquement à une entreprise de dissimulation, ou plutôt de “déflexion” de la perception des crises, sans ignorer complètement l’existence, la persistance et l’aggravation de ces crises. Nous faisons tout cela sans pouvoir ni même vouloir supprimer (censurer) les poussées régulières de dénonciation et de mise en évidence de ces crises, de leurs causes, de l’absence de réaction, – parce que notre système, dans tous ses vices, ne peut même pas supporter une action franche de censure. Il est gouverné par des groupes d’intérêt privés dont le fonctionnement exige le désordre, la dérégulation, par conséquent une liberté d’action économique interdisant la censure per se.
Toutes ces remarques concernent les conditions générales existantes. L’évolution, elle, est engagée dans un déroulement mécaniste dont il nous semble de façon péremptoire qu’il est impossible de l’arrêter. La cause fondamentale de ce jugement péremptoire est que cette évolution est mécaniquement liée au fonctionnement du système. L’activité constante du système alimente désormais à mesure des crises qui lui sont consubstantielles. Les crises progressent dans ce sens de l’aggravation, avec une telle régularité et une telle augmentation régulière de l’intensité, qu’on hésite parfois à continuer à employer le terme “crise” qu’on est habitué à considérer comme le caractère violent et bref d’un événement paroxystique. (Pour cette raison, il faut se référer au sens plus général et non caractérisé chronologiquement du concept de “crise”, de «phase grave dans l’évolution des choses, des événements, des idées».)
Ce déroulement des crises est entré dans une phase accélérée et en pleine accélération de déconstruction et de dissolution. La progression mécanique des crises est la résultante négative de la déconstruction d’un système répondant lui-même à une logique mécaniste; c’est en cela que les crises se déroulent inéluctablement et implacablement. Elles ne sont plus accidentelles, elles sont structurelles et répondent donc parfaitement au qualificatif de “systémique”: ces crises ne sont pas crises en elles-mêmes mais crises nées de la crise du système, pour l’illustrer dans tel, tel ou tel domaine, c’est-à-dire projections dans tous les domaines concernés de la crise centrale, exactement comme une infection ou une pandémie. Si chacune des crises que l’on a mentionnée (la liste n’est pas limitative) peut être jugée d’un point de vue spécifique, elle est tout de même réduite par un tel traitement; elle n’acquiert sa véritable dimension qu’en étant réintégrée par le jugement dans la crise générale, comme une composante de cette crise générale (le nœud gordien des crises diverses). A la mesure négative de la puissance sans précédent de la civilisation universelle où nous nous trouvons, la dégradation accélérée du système de cette civilisation engendre une crise générale qui ne peut pas avoir de précédent, par définition.
La question centrale est de savoir quand nous accepterons d’une façon générale la réalité de cette crise générale; comment cet événement se manifestera; et quelles seront nos réactions et les effets de nos réactions. La question centrale qui nous est posée n’est pas tant de savoir quand et dans quelles circonstances le système va s’effondrer, mais plutôt celle-ci, complètement paradoxale et surréaliste : comment s’effondrer, – dans le sens de: “comment parvenir à s’effondrer?”. On dirait que le système est engagé dans un processus mécanique inéluctable d’effondrement mais qu’il ne parvient pas (encore?) à trouver la voie, le moyen de cet effondrement. C’est renverser la fameuse remarque de l’officier US devant les carcasses des cuirassés détruits par l’attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, et remarquant sombrement : «Je suis sûr que nous allons gagner mais je me demande bien comment.» Et cela devient: “Je suis sûr que le système va s’effondrer mais je me demande bien comment”.
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