Comptes et mécomptes de l’attaque de Gaza

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Il y a à peine une semaine encore, le monde résonnait des bombes lancées sur Gaza et de l’indignation suscitée par ce fracas et ses effets. Aujourd’hui, la crise de Gaza a disparu de nos préoccupations. Certains s’en inquiéteraient pour clamer à l’impunité systématiquement recommencée d’Israël dans cette sorte d’entreprise. Nous ne croyons pas que c’est cet enseignement qui doive être retenu. Dans ce cas d’une situation internationale chaotique, où l’absence de respect des règles résulte plus de ce désordre que de calculs prétendument habiles et d’influences bien utilisées (même si les uns et l’autre existent), l’impunité n’a plus guère de force politique, qui est devenue chose commune et sans surprise. A cet égard, l’émotion, si justifiée soit-elle, ne remplace pas la réflexion et, si l’on s’en remet trop à elle, elle réduit et rend stérile ce qui ne peut même plus être nommé “réflexion”. Le constat évident et déjà sur la table est qu’avec cette “campagne”, cette “guerre” qui n’en fut certainement pas une tant elle consista en un simple écrasement systématique d’une structure politico-militaire insaisissable dans son importance et son influence politiques et d’une population emprisonnée et impuissante, Israël a beaucoup perdu en habileté et en influence. Ce pays avec sa structure militarisée se retrouve aujourd’hui discrédité comme rarement il ne fut auparavant.

Des effets concrets à cet égard sont déjà là. Ils étaient tellement attendus et prévus qu’on s’en étonne à peine; mais on devrait l’être, étonnés, de la vitesse avec laquelle ils s’imposent.

• D’une part, nous dit The Independent, le Hamas sort grandit de cette crise et le Fatah dramatiquement discrédité et diminué. Quelques remarques de cet article de Patrick Cockburn, de ce 23 janvier, suffiront à mesurer la stupidité remarquable de l’opération israélienne.

«The Islamic movement Hamas is taking over from Fatah, the party created by Yasser Arafat, as the main Palestinian national organisation as a result of the war in Gaza, says a leading Fatah militant. “We have moved into the era of Hamas which is now much stronger than it was,” said Husam Kadr, a veteran Fatah leader in the West Bank city of Nablus, recently released after five-and-a-half years in Israeli prisons.

»“Its era started when Israel attacked Gaza on 27 December.”

»The sharp decline in support for Fatah and the discrediting of Mahmoud Abbas, President of the Palestinian Authority, because of his inertia during the 22-day Gaza war, will make it very difficult for the US and the EU to pretend that Fatah are the true representatives of the Palestinian community. The international community is likely to find it impossible to marginalise Hamas in reconstructing Gaza.»

• D’autre part, nous apprend The Times de ce même 23 janvier, le sentiment en Israël est délétère. Il est désormais de bon ton de louer les écrits de Gideon Levy, de Haaretz, qui était dénoncé il y a 15 jours par certains comme un traître parce qu’il montrait poliment l’absurdité de cette opération.

«Two days after their last soldiers returned from Gaza, Israelis are asking increasingly whether the offensive had achieved anything other than spawning a new generation of potential suicide bombers. The three-week war enjoyed massive popular support at the time but, with the guns silent, scathing criticism is emerging from the Left and the Right of Israel’s political divide. […]

»“We have not weakened Hamas. The vast majority of its combatants were not harmed and popular support for the organisation has in fact increased,” said Gideon Levy, a prominent commentator for the centre-left daily Haaretz. “Their war has intensified the ethos of resistance and determined endurance.”

»Even Cabinet ministers who backed the offensive admitted that it had not achieved anything more than yet another shaky ceasefire with an Iranian-backed group that refuses to recognise Israel’s right to exist. “Hamas has not been taken out, nor will we be able to take them out,” said Benjamin Ben-Eliezer, the National Infrastructure Minister and veteran Labour Party politician. “Theirs is an ideology and not just a military organisation, and it will remain.”

»Criticism is even more scathing from the Israeli Right. “The soldiers succeeded, but the politicians failed,” said Avigdor Lieberman of the nationalist Yisrael Beiteinu Party, which has seen its support grow since the conflict. “They didn’t let the army complete the operation. What was achieved here? Zip, nada.”»

Effectivement, l’attaque de Gaza relevait d’une absence totale de conception stratégique, d’un “nihilisme militariste” complet. On mesure aujourd’hui ce vide conceptuel, dans les effets obtenus. L’attaque était une tentative, par les mêmes esprits contraints et incapables de s’échapper de schémas vieillis, ceux qu’on croyait triomphants en 2002-2003 et qui se sont avérés depuis absolument vides de substance malgré l’aide du virtualisme, de faire renaître ces vieux schémas. C’était du neocon à l’heure où les neocons apparaissent dans toute leur singulière pauvreté d’esprit, comme des publicistes habiles mais corrompus ayant plaqué à la va-vite quelques penseurs qui font chic dans les salons sur une remarquable (mais lucrative, certes) soumission conceptuelle à une machinerie déchaînée et nécessairement sans dessein. A cette lumière, le déchaînement, en sens contraire, des hypothèses apocalyptiques sur les projets d’Israël avec cette opération, jusqu’à l’hypothèse d’une nouvelle Guerre mondiale, apparait singulièrement déphasé. Là aussi, c’est s’en remettre, même si c’est pour la dénoncer, à la “pensée” dominante en 2002-2003, dont l’imposture et l’hystérie stérile ont été depuis largement montrées.

L’attaque contre Gaza, quels qu’en soient les motifs apparents et cachés, relève d’une autre époque. Elle se termine comme il se doit, dans l’amertume des “vainqueurs” et dans la victoire “objective” de ceux qu’on prétendait réduire. Certes, on peut toujours, pour ce qui est de la forme du discours, opposer à ce constat qui fait bon marché des émotions immédiates le décompte des victimes innocentes. Il n’en a pas manqué, des victimes innocentes, comme il n’en manque pas dans tant d’autres occurrences. Cette abondance malheureuse réduit malheureusement l’argument et nous ramène au constat plus sérieux que notre civilisation humaniste, tant célébrée par les uns et par les autres, y compris bien souvent par les critiques d’Israël, n’est plus capable aujourd’hui que d’agir par le désordre aveugle et le massacre à répétition et prétention sélective.

Mais l’attaque de Gaza aura au moins montré d’une façon un peu plus convaincante et extrêmement rapide la stupidité cruelle et impuissante de la méthode. Elle aura montré qu’un temps a passé, que la stupidité cruelle et impuissante du domaine devient de moins en moins supportable alors que la Grande Crise qui nous secoue nous place d’une façon de plus en plus tonitruante devant l’évidence de l’imposture de notre système, – dito de notre civilisation puisque, décidément, l’un c’est l’autre. La seule chose remarquable dans cette affaire, c’est la vitesse à laquelle cette stupidité cruelle et impuissance apparaît au grand jour dès lors qu’elle se manifeste, malgré ses efforts, notamment dans le domaine favori de la communication, pour se parer de toutes les vertus.


Mis en ligne le 23 janvier 2009 à 07H36