Condi et les Tu-95 qui menacent l’Ouest et ses valeurs

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Il y a quelque chose de complètement robotisé dans le discours convenu, conformisme passé à la moulinette du virtualisme, de nos dirigeants. Parmi les robotisés, Condi Rice est un grand format, une sorte de robot qui aurait été lobotomisé après avoir été habillé dans les boutiques chics de la 5ème Avenue. Cela tient essentiellement, outre son discours totalement vide comme tout le monde, au fait qu’elle assume une fonction prestigieuse qui n’a plus aucune signification. Le département d’Etat sous son règne est réduit à entériner les exigences du Pentagone et les lubies désormais poignantes, vu la proximité de la retraite, de GW. Cela écrit, il n’empêche que les aventures de Condi à travers le monde restent divertissantes.`

D’ailleurs c’est vrai, le plus divertissant de la réunion de l’OTAN, pathétique usine à gaz accouchant de souris malingres et successives, s’est passé dans l’avion qui emmenait la secrétaire d’Etat du Nouveau Monde triomphant vers Bruxelles-Evere où se tient l’OTAN sûre d’elle-même. Condi a discuté à bâtons rompus avec les journalistes. Elle a trouvé chez eux des oreilles attentives, dont celles de Jonathan S. Landay, de McClatchy Newspapers, qui met en ligne, le 19 août, un article sur cette équipée transatlantique. Rice parle à ces braves gens des manifestations provocatrices et impérialistes des Russes et semble en avoir trouvé la preuve incontestable.

«Secretary of State Condoleezza Rice Monday ruled out accelerating Georgia's admission to NATO in response to the Russian invasion. But she warned Moscow that it is playing “a very dangerous game” by resuming Cold War-era strategic bomber patrols close to the Alaskan coast.

»“Russia is a state that is unfortunately using the one tool that it has always used whenever it wishes to deliver a message and that's its military power,” Rice told reporters en route to an emergency meeting of NATO foreign ministers set for Tuesday. “That's not the way to deal in the 21st century.” (…)

»Rice said Russia has raised questions about its place in the international community through the invasion and other actions, including the resumption last year for the first time since the 1991 collapse of the former Soviet Union of air patrols near the Alaskan coast by Tu-95 strategic bombers, code-named Bears by NATO. “We've had Russian strategic aviation challenging in ways they haven't, even along our borders with the United States, which I might note is a very dangerous game and perhaps one that I suggest the Russians want to reconsider. This is not one that is cost-free,” Rice said.

»She did not elaborate on a U.S. reaction to the flights, which have been widely seen as an attempt by Russia, flush with windfall oil profits, to reassert itself as a global power despite serious problems with its military.

»Since the flights resumed in August 2007, U.S. and Canadian fighters have intercepted the Russian bombers and escorted them away from the U.S. coast. U.S. officials have previously attached little real significance to the flights by the turboprop-powered Cold War relics, and defense officials said Monday recent flights did not provoke concerns within the Pentagon. Russian bombers also have made forays into neutral airspace near Norway and over U.S. aircraft carriers in the Pacific.

»Rice said, however, that the Alaska patrols and the invasion of Georgia contradicted Russia's stated desire for political and economic integration into the international community.»

Voilà. Nous nous sommes arrêtés à quelques détails parce qu’ils valent leur pesant de signification sur les agitations de l’“Ouest” face à la Russie. Il faut garder à l’esprit que la consigne, aujourd’hui, à l’“Ouest”, c’est de paraître ferme et impitoyable vis-à-vis de la Russie, – surtout, surtout, sans rien faire du tout qui puisse risquer un incident avec les Russes.

• Ainsi Condi Rice, d’entrée de jeu, annonce qu’il n’est pas question “d’accélérer l’admission de la Géorgie à l’OTAN en réponse à l’invasion de la Géorgie”. Dont acte, – en souvenir des déclarations absolument péremptoires de GW à Tbilissi le 1er avril 2008, date prémonitoire, annonçant, à la veille du sommet de l’OTAN de Bucarest, que la Géorgie (et l’Ukraine) allait entrer, vite fait, dans l’OTAN, point final. Aujourd’hui, les Américains sont à peu près sur la même ligne que les Français et les Allemands qui bloquèrent, à Bucarest, l’idée d’une admission accélérée. Poutine doit se frotter les mains: l’invasion, ça paye.

• Cette prise de position martiale pour dire : “Attention, nous ne ferons rien”, s’accompagne d’une leçon de morale magistrale de la Secrétaire d’Etat: «Russia is a state that is unfortunately using the one tool that it has always used whenever it wishes to deliver a message and that's its military power. That's not the way to deal in the 21st century.» Certes, on peut ricaner si l’on veut, de cette admonestation venant des USA tels qu’on les voit agir tous les jours: la force militaire n’est plus de mise aujourd’hui! Remarque marxiste, tendance-Groucho. Mais ce qui nous attache plus encore, presque avec une certaine tendresse, c’est le côté robot: depuis que GW a annoncé qu’envahir les pays souverains, eh bien ce n’était plus une façon de faire convenable et acceptable «in the 21st century» comme le système américaniste le montre tous les jours que Dieu fait, tout le monde s’y met. McCain a employé cette expression si remarquable, Condi s’y met également. Il est effectivement fascinant de voir comment les expressions, – on disait “petites phrases” in illo tempore, – se répandent comme la poudre en trainée au sein du système dès lors que l’original a été proféré et a semblé recueillir un écho médiatique, par automatisme de retransmission des journalistes appointés. Ces braves gens sont absolument tétanisés par le besoin de se saisir d’un mot, d’une image, d’une phrase qui puisse être accepté pour du comptant, sans trop de discussion sur sa véracité évidemment nulle, pour la beauté du son, le côté définitif de sa signification insaisissable, pour qu’on puisse croire enfin qu’ils ont vraiment quelque chose à dire.

• Enfin, la trouvaille des Tu-95. Puisque les appels concernant la présence des russes en Géorgie ne donnent rien, puisqu’il est impossible de trouver quelque mesure que ce soit qui puisse effectivement avoir quelque effet sur cette situation, on s’avise que des bombardiers et avions de reconnaissance lointaine datant des années 1950, redéployés depuis un an en mission de surveillance lointaine (ils ont fait cela pendant des décennies) sans avoir soulevé quelque mesure militaire que ce soit (la chose n’en demande effectivement aucune), deviennent «… a very dangerous game […] not one that is cost-free». Quelles mesures cela annonce-t-il? «She did not elaborate on a U.S. reaction to the flights». Le lendemain, à l’OTAN, plus personne ne parlait de ces vols, et d’ailleurs personne n’avait relevé ces déclarations de Rice, – au reste qui sait vraiment ce qu’est un Tu-95? Les Tu-95 continueront leurs vols et les USA laisseront faire comme à l’habitude, une patrouille de chasseurs de l’USAF prenant en charge les Tu-95 lorsqu’ils approchent de l’espace aérien US, comme cela a toujours été fait.

Le show de Condi Rice au-dessus de l’Atlantique est bien conforme à la politique de l’“Ouest”. A chaque occasion, une nouvelle évocation d’une mesure possible est évoquée, – l’expression est bien différente de celle-ci : “une nouvelle mesure est décidée”, – et cette évocation concerne une possible éventuelle mesure la plus éloignée possible du champ de la crise, c’est-à-dire la Géorgie. On n’évite donc pas les évocations rocambolesques, comme celle de ces vols de Tu-95 représentant une menace soudaine et foudroyante, le “concept” étant un produit de la consigne donnée aux planificateurs du département d’Etat travaillant à trouver des occurrences d’apparence de riposte les plus éloignées possibles de la bataille, et au moindre risque possible. «That's the way to deal with a crisis in the 21st century», quand on est confronté à une crise dont on porte la responsabilité et pour laquelle on n’a ni le moyen ni la volonté de faire quelque chose de sérieux. Aujourd’hui, face à la Russie qui est devenue diablement sérieuse, la diplomatie de l’“Ouest” est devenue une diplomatie du “je botte en touche”, assortie de la recommandation de Rice faite à ses amis de l’OTAN, “retenez-moi ou je fais un malheur”. Dociles comme on les connaît, les alliés s’exécutent.


Mis en ligne le 20 août 2008 à 17H43