Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
380Les USA ont-ils encouragé Saakachvili à attaquer comme il le fit le 7 août? Ont-ils tenté de l’en décourager ? L’ont-ils simplement ignoré, ayant d’autres chats à fouetter? Si l’on se réfère aux cinq heures d’entretiens féroces entre Rice et Saakachvili le 15 août, la différence d’attitude entre les deux après ces entretiens, lors d’une conférence de presse où l’on vit le Géorgien se déchaîner contre les alliés qui promettent et ne tiennent pas, et une Rice plutôt gênée, l’on serait tenté de répondre que Saakachvili a été encouragé ou a cru avoir été encouragé, implicitement ou explicitement, que certaines promesses ont été faites, implicitement ou explicitement, et n’ont pas été tenues. Les termes absolument humiliants consacrant sa défaite que Rice a forcé Saakachvili à signer concluent sans doute une trajectoire classique pour un pion du système américaniste qui jure avoir le soutien du “parrain”.
Certaines hypothèses conduisent à faire penser que Rice elle-même a également été très active, peut-être d’une façon pas nécessairement consciente de la réalité de la “manœuvre” ou de l’enchaînement de circonstances. Elle serait l’“April Glaspie de la crise géorgienne”, – mais dans un sens absolument renversé, puisque absolument catastrophique pour un pays allié des USA cette fois, donc pour les USA. April Glaspie, elle, avait réalisé la même étrange “manœuvre” avec l’Irak, donnant à Saddam l’impression d’une certaine impunité pour attaquer le Koweït, alors qu’il se précipitait au contraire dans une aventure qui conduisit à sa perte puis à sa mort, treize ans plus tard, du fait même des USA.
Jeff Stein écrit le 13 août sur son site Spy talk:
«Administration officials insist they warned Georgia to keeep its troops in the barracks. But New York Times reporters Helene Cooper and Thomas Shanker note (as I did yesterday):
»“The United States took a series of steps that emboldened Georgia: sending advisers to build up the Georgian military, including an exercise last month with more than 1,000 American troops; pressing hard to bring Georgia into the NATO orbit; championing Georgia's fledgling democracy along Russia's southern border; and loudly proclaiming its support for Georgia's territorial integrity in the battle with Russia over Georgia's separatist enclaves.”
»One wag called Secretary of State Condoleeza Rice “the new April Glaspie.”
»The former American diplomat is known for famously telling Iraqi dictator Saddam Hussein, as he massed troops to invade Kuwait, that Washington had “no opinion on your Arab-Arab conflicts.”
»Glaspie's career went up in flames after the incident was reported, but transcripts of the meeting, declassified in 1998, showed she was on orders from then-Secretary of State James Baker.»
Bien entendu, cette analogie entre Rice et Glaspie est ironique. On peut concevoir que l’intervention de l’ambassadrice US à Bagdad était une machination, même ignorée d’elle-même, pour précipiter Saddam dans un piège. Dans le cas du couple Rice-Saakachvili, l’hypothèse est absurde et la référence Rice-Glaspie n’a à voir qu’avec l’erreur d’évaluation de Rice prodiguant à Saakachvili certains encouragements qui ont été interprétés avec ferveur par le président géorgien.
Toutes les sources et analyses convergent pour montrer à la fois une aide massive des USA (et d’Israël, commandité par les USA) pour renforcer les capacités militaires de la Géorgien pendant plusieurs années, et une indifférence US complète aux avertissements prodigués par les Russes à mesure que s’accumulaient les points de tension et la frustration de ces mêmes Russes devant les événements en Europe. Une analyse d’Aljazeera.news du 13 août détaille cette situation et termine en citant l’expert Dimitri Simes sur les avertissements transmis par les Russes aux Américains.
«“The Kremlin made abundantly clear that it would view Kosovo's independence without Serbian consent and a UN Security Council mandate as a precedent for the two Georgian de facto independent enclaves,” Dimitri Simes, the president of the Nixon Centre, wrote in a post on the Washington Note blog.
»“Furthermore, while president Saakashvili was making obvious his ambition to reconquer Abkhazia and South Ossetia, Moscow was both publicly and privately warning that Georgia's use of force to re-establish control of the two regions would meet a tough Russian reaction, including, if needed, air strikes against Georgia proper.”»
Dans ces conditions, l’hypothèse d’une Rice transmettant à Saakachvili, lors de sa dernière visite avant la guerre (en juin), l’appréciation satisfaite habituelle de l’establishment US sur la justification du renforcement militaire et des exigences géorgiennes vis-à-vis des deux zones contestées est tout à fait plausible, malgré les dénégations récentes à cet égard, chuchotées par des fonctionnaires de l’équipe de Rice en mission de “reprogrammation” de la réalité (l’article du Herald Tribune du 13 août semble un texte classique de “damage control” pour tenter d’écarter les accusations à cet égard). Rice n’a fait qu’exprimer l’irresponsabilité et l’absence complète de coordination régnant à l’intérieur du pouvoir américaniste, et aussi certaines assurances qui lui ont été transmises par la bureaucratie du DoD sur les capacités militaires des Géorgiens et les opportunités stratégiques qu'impliquaient ces capacités. Encore une fois, la succession d’erreurs du côté US, couronnée par le comportement de Rice-Glaspie, renvoie au désordre bureaucratique du pouvoir à Washington, à l’absence de politique claire sinon celle de suivre les initiatives systématiques d’entretien de la puissance partout où cela est possible. Saakachvili, lui, a cru que la puissance américaniste coordonnée et efficace existait vraiment, et il a été jusqu’à croire ce qu’il a pris pour des assurances US de soutien.
Quoi qu'il en soit d'une réalité bien difficile à reconstituer, il reste à Saakachvili à lire, par exemple et pour sa culture personnelle, le texte d’Alexander Cockburn, sur Counterunch ce 17 août. Cockburn y rappelle divers exemples, notamment celui de la révolte de Budapest d’octobre-novembre 1956, lancée avec la promesse du soutien US et qui n’en obtint aucun, avec le sort final qu’on lui connaît. La trahison de la promesse de soutien à un allié de circonstance qui assume le risque suprême est l'une des plus solides traditions de l’activisme américaniste. La Géorgie prend ainsi sa place dans une série standard.
Mis en ligne le 18 août 2008 à 15H45