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105618 janvier 2003 — L’article de William Safire publié aujourd’hui dans l’International Herald Tribune a une signification très intéressante. Il s’agit d’un article qui s’adresse aux Turcs, et d’une façon qui est sans barguigner, qui va droit au but, qui n’est pas exempt de menaces implicites. En bref : la comédie turque a assez duré ; les Turcs doivent s’aligner sur Washington, sans faire un pli, rencontrer toutes les demandes US (bases, stationnement de forces, mobilisation de forces turques), se préparer à la guerre contre l’Irak comme un fidèle “allié”, éventuellement se préparer à y participer. Conclusion de Safire (en réalité, en introduction) : « I like the Turks. »
Safire, lorsqu’il écrit, est le porte-plume de la pensée en vogue à Washington, si possible la plus conservatrice. Aujourd’hui, il est l’homme des super-faucons, des neo-conservatives. Un article comme celui-ci, sur un sujet aussi sensible, dans les circonstances actuelles, doit être lu comme un “message” officieux de l’administration aux Turcs. Il s’agit d’un message abrupt, avec même le mode d’emploi.
« What should Turkey's new leaders do? First, make prompt parliamentary and construction arrangements to welcome the U.S. troops. And then go the extra mile: Volunteer to mass 100,000 Turkish troops on its border with northern Iraq. (When it did this with Syria, which had provided the base for the harassment of Turkey by Kurdish terrorists, the Syrian dictator got the message and booted the terrorist leader out of Damascus, which led to his capture.)
» The real threat of a Turkish Army descending on Baghdad from the north would hasten the surrender of Iraqi generals facing an American army rolling up from Kuwait in the south.
» It may be that America would decline a Turkish offer to join the allied invasion, lest the Turks be reluctant to leave oil-rich Kirkuk. But if Turkey acted like a strategic ally rather than a nervous renter of bases, it would have an unwavering superpower on its side for decades to come. »
Les observations de Safire sont pleines de l’état d’esprit des super-faucons, mais aussi des appréciations générales en vogue à Washington, faites à la fois de cynisme et de naïveté. Le plus remarquable est l’appréciation concernant la démocratie installée en Turquie (Safire y est favorable dans la mesure où cette démocratie favorise l’alliance avec les USA, s’étonnant au contraire qu’elle puisse ralentir l’alignement inconditionnel de la Turquie). Tout cela donne une bonne mesure des conceptions américaines qui présideraient aux régimes démocratiques qui seraient installés dans la région, si une guerre contre l’Irak a lieu et si elle est suivie d’une déstructuratioon générale des régimes de la région.
« Paradoxically, the growth of democracy in Turkey — which America cheers — has introduced an element of uncertainty in that alliance. The new, freely elected government in Ankara, with roots more Islamic than secular, is waffling about joining President George W. Bush's “coalition of the willing” against Iraq. The old Turkish power structure - the nation's military leadership and governmental establishment, which previously called the shots - is laying back to show Europeans how sensitive to public opinion Turkey has become. »
L’essentiel dans l’article de Safire est qu’il constitue une confirmation indirecte mais convaincante, non seulement de l’état des relations USA-Turquie, mais surtout du sérieux de l’attitude politique turque telle qu’on la perçoit désormais, depuis l’arrivée des islamistes modérés au pouvoir. Ainsi confirme-t-il successivement plusieurs points :
• La politique beaucoup plus indépendante de la Turquie vis-à-vis des USA est une réalité constituant sans aucun doute un élément important dans les changements stratégiques en cours. Avec l’Allemagne et avec la Corée du Sud, deux autres pays très proches des USA et qui prennent leurs distances, c’est un revers important pour l’Amérique, au niveau du système d’allégeance sur lequel elle appuie son influence.
• Pour l’Europe, c’est aussi une nouvelle importante, notamment dans l’évaluation qu’elle doit faire de la position turque et de l’intérêt de coordonner la politique européenne (s’il y en a une) avec la Turquie. On peut citer à nouveau ici la source européenne qu’on citait le 8 janvier : « C'est assez étrange, l'un des arguments des adversaires de l'entrée de la Turquie de l'UE concerne les interférences que ce pays apporterait dans la PESC. Avec la Turquie, disent-ils, tout espoir d'une politique européenne de sécurité autonome est perdu. Mais quand on voit la politique turque sur la question irakienne, mais c'est la politique que devraient avoir les Européens! Combien de pays européens s'en approchent seulement? ».
• Enfin, c’est important aussi pour la région : la position turque rapproche la Turquie des pays arabes modérés et l’éloigne d’Israël et de sa position de complet alignement sur les USA. Là aussi, cette nouvelle réalité est indirectement confirmée par l’article de Safire.