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4884 décembre 2008 — Les ministres des affaires étrangères des pays de l’OTAN viennent de se rencontrer (les 2 et 3 décembre) à Bruxelles. L’OSCE se réunit à partir d’aujourd’hui à Helsinki. Autour de ces réunions évoluent divers problèmes importants, sinon centraux, qui concernent la sécurité européenne, qui ont été fortement réactivés par les diverses crises en cours, notamment après le paroxysme de l’été (crise géorgienne, crise du système anti-missile BMDE) et les évolutions qui ont suivi cet automne.
C’est surtout autour de la réunion de l’OTAN qu’on a pu apprécier l’évolution des choses, essentiellement au niveau de l’information et de la désinformation, ou, mieux encore, de l’existence parallèle de mondes différent prétendant dispenser leurs informations. C’est effectivement à ce niveau de l’information que les derniers événements sont intéressants, – charge à nous, au-delà, d’en tirer des conclusions sur l’orientation des événements eux-mêmes.
• Sur la question de l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine, l’orientation “MAP” n’a pas été retenue. Par contre, l’orientation d’échanges renforcés entre les deux pays et l’OTAN a été annoncée. D’une façon apparemment “neutre” et s’en tenant à la lettre sollicitée des choses, cette évolution a été présentée comme un “compromis” entre les partisans (essentiellement les USA) et les adversaires de l’adhésion. Mais il s’agit bien sûr d’un revers des partisans de l'adhésion, le bon sens ne laisse pas de doute à ce propos et c’est dans ce sens qu’on retiendra ces réunions de décembre. La presse britannique, la plus réaliste et la plus ouverte à ce propos, expose clairement une analyse dans ce sens. A titre d’exemple, citons The Independent du 3 décembre, parlant clairement d’un «Setback for Georgia after Nato rejection»: «Georgia's hopes of joining Nato were dealt a blow last night, when Western European countries blocked a bid to offer it a path to membership.» Le quotidien londonien va jusqu’à donner une précision touchante sur les petits Géorgiens, qui reçoivent le prénom de “Map” (et sans doute de “Nato” également?), et que voilà fort déçus de porter désormais le nom d’une espérance déçue:
«The measures are a major disappointment for Tbilisi. “It will be hard to explain this to our people back home,” Georgia's Foreign Minister, Ekaterine Tkeshelashvili, said. The Prime Minister, Grigol Mgaloblishvili, added: “MAP has taken on such huge symbolism in Georgia that I have even met people who have named their children Map. But of course, we do realise that what matters most is that we are on a steady road to membership.”»
• Dans l’affaire du système anti-missiles US BMDE, les ministres ont réaffirmé une position déjà affirmée en avril dernier au sommet de Bucarest. Selon des sources à l’OTAN, la discussion sur le BMDE est passée pratiquement inaperçue, – si l’on peut même parler de “discussion”. Manifestement, la chose a été vue comme une simple formalité, figurant dans le communiqué comme un paragraphe standard (chercher entre le n°30 et le n°40). Le problème est que, depuis avril, il y a eu des prolongements importants dans cette affaire. Cela permet à Associated Press de publier cette dépêche du 3 décembre, présentant cette position sur le BMDE comme un fait important de la réunion, et plaçant la chose en situation, ou selon une situation arrangeante, de façon à ce qu’elle apparaisse effectivement comme importante, – éventuellement, même, comme s’il s’agissait d’une première décision dans ce sens (quitte à nuancer implicitement dans le texte, lorsqu’il est fait allusion aux décisions de Bucarest):
«NATO foreign ministers on Wednesday affirmed their support for U.S. plans to install anti-missile defenses in Europe despite Russia's strong opposition. The ministers said the planned U.S. defenses in Poland and the Czech Republic will make a “substantial contribution” to protecting allies from the threat of long-range ballistic missiles. […]
»All 26 NATO allies signed the statement backing the deployment of interceptor missiles in Poland and an advanced radar station in the Czech Republic.
»Doubts about allied support for the plan were raised last month when French President Nicolas Sarkozy said the missile defenses would “bring nothing to security ... it would complicate things, and would make them move backward.” Sarkozy's statement at a meeting in France with Russian President Dmitry Medvedev appeared to contradict his early support for the missile plans at a NATO summit in April. But in Washington a few days later, the French leader changed tack again, saying that the anti-missile shield could “complément” Western defenses against a threat from Iran.»
• Le “All 26 NATO allies” s’adresse évidemment à la France, suivi du développement sur la position française sur le BMDE, avec le rappel que la France avait déjà signé en avril à Bucarest un texte de soutien, que la France a semblé désavouer lorsque Sarkozy a présenté une nouvelle position à Nice le 14 novembre, nouvelle position que Sarkozy a semblé désavouer (mais le jugement implicite est un peu fort) le 15 novembre à Washington, et puis les Français semblent à nouveau re-confirmer à Bruxelles le 3 décembre leur position d’avril de Bucarest. Encore Paul Ames, de AP, rate-t-il l’essentiel, ou dans tous les cas le plus récent, qui est que le ministre français de la défense Hervé Morin, deux jours plus tôt à Bruxelles, devant le Parlement européen, avait exprimé au travers de graves questions non résolues, y compris la validité de la “menace”, la question de la décision d’emploi, etc., toute la méfiance que lui inspire, et qu’inspire à la France pourrait-on être conduit à conclure, le système BMDE. Où est, dans ce cas, la “substantial contribution” du BMDE à la sécurité européenne?
• Sans doute le fleuron revient-il à des déclarations faites par le secrétaire général de l’OTAN, concernant la proposition Medvedev sur une nouvelle “architecture de la sécurité” en Europe. Le secrétaire général de l’OTAN remarque sur un ton condescendant que les 26 pays de l’OTAN sont très heureux avec l’architecture existante et s’ils accueillent avec sympathie, aujourd’hui et désormais, tout ce qui vient des Russes, ils voient mal l’utilité d’une conférence pour cette étrange “nouvelle architecture”. Vingt-quatre heures plus tard (aujourd’hui) s’ouvre à Helsinki la conférence annuelle de l’OSCE, à l’agenda de laquelle il y a notamment la proposition de Sarkozy pour une conférence sur une nouvelle “architecture de la sécurité” en Europe; Sarkozy, c’est semble-t-il la France, qui est semble-t-il un des 26 membres de l’OTAN, dont les 26 membres n’ont rien à faire d’une nouvelle “architecture de la sécurité” en Europe selon le secrétaire général de l’OTAN, et ainsi de suite. La chose est joliment mise en valeur par le simple enchaînement des choses, dans cette dépêche AFP du 3 décembre:
«The alliance is also concerned that proposals by Russian President Dmitry Medvedev for a new security pact in Europe are aimed at doing away with NATO, which Moscow fears is closing in on its borders. Russia has called for a new, legally binding security pact to replace what it says are outdated arms control treaties from the Cold War and to help avoid crises such as the brief war in Georgia.
»At an EU-Russia summit in France last month, French President Nicolas Sarkozy called for a security summit with Russia under the auspices of the Organisation for Security and Cooperation in Europe (OSCE). The proposals are on the agenda of OSCE talks in Helsinki starting Thursday.
»But [NATO’s Secretary General] Scheffer said NATO's 26 nations were satisfied with Europe's security structures and that he could not imagine them agreeing to anything that would undermine institutions including the European Union, OSCE and NATO. “We are quite happy with the security structure as it exists in Europe,” said Scheffer, at a press conference with Georgian Foreign Minister Eka Tkeshelashvili.»
il est vrai qu’aujourd’hui, en Europe, se croisent et se mélangent des situations bien contrastées, avec les commentaires officiels et les informations déformées à mesure; entre les roucoulades furieuses des Géorgiens déçus que le prénom “Tar” n’ait pas convaincu leurs parrains occidentaux, l’immobilisme plein de mouvements et presque hystérique de l’OTAN, l’absence américaine avec un President-elect dont l’activisme forcené ne concerne que la crise US, l’activisme forcené avec les diverses propositions et déclarations qui vont avec des Russes et des Français, – avec tout cela, la “relativité” parfois grotesque et souvent amusante de l’information reflète après tout le dérangement des choses et l’imprécision des lieux. L’OTAN est plus que jamais le domaine du langage convenu et du double langage du conformisme. Il semble parfois qu’on signe le communiqué d’usage, qui ne semble être qu’un “copié-collé” du précédent, sans se donner la peine de vraiment le lire. Le jeu des autorités otaniennes est de faire prendre ces convenances entre alliés pour la réalité de la politique. Les événements sont si pressants qu’on en arrive à d’amusantes contradictions, comme celle du secrétaire général parlant au nom des 26 pour sembler ridiculiser, à l'ombre vertueuse de l’ordre otanien et idyllique, une proposition dont l’un des 26 est le parrain empressé.
L’OTAN est effectivement au centre du jeu, parce que c’est sa place et qu’elle ne sert plus à rien, s’agitant un peu désespérément pour faires savoir qu’elle existe vraiment, et pour croire elle-même qu’elle existe toujours. La Commission européenne est actuellement l’objet de sollicitations diverses en provenance de correspondants otaniens tout aussi divers, au niveau des relations bureaucratiques courantes, pour suggérer toutes les collaborations possibles dans le but évident que l’OTAN phagocyte des activités non-militaires qui lui donneraient une raison d’exister autre qu’une culottée monumentale en Afghanistan ou un agrandissement raté en collaboration avec l’ineffable Saakachvili. La consigne, à la Commission, est d’écarter de toute force ces sollicitations qui empiètent sur son territoire; au moins la Commission a-t-elle ainsi, elle, le sentiment d’exister et de compter.
C’est une situation typique de l’ère postmoderne, quand des forces importantes de changement, déclenchées par des crises irrésistibles, se manifestent alors qu’on suppose que la consigne officielle est de repousser de toutes ses forces quelque changement que ce soit. Le résultat est cacophonique et contradictoire. Il s’agit alors, pour tenter de saisir la réalité de la situation, de séparer l’essentiel de l’accessoire; cela n’est finalement pas impossible, même si la difficulté est réelle, dans la mesure où l’accessoire, pour ne pas être éliminé, entend poser des gestes essentiels qui, à un moment ou l’autre, se heurtant à des refus polis mais fermes qui fixent les choses, apparaissent alors pour ce qu’ils sont, – c’est-à-dire accessoires. Ainsi en a-t-il été de l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine. Les partisans de l’élargissement auraient pu s’épargner cette piteuse mise en évidence de l’aspect bien accessoire de leurs propositions, en ne pressant pas les autres, en avril dernier à Bucarest, pour qu’on revienne sur la question en décembre. Ils le firent pourtant, sous l’impulsion des Américains de Bush, parce que les Américains de Bush, comme d’habitude, ne doutaient pas de l’emporter. Ils avaient oublié qu’ils ne seraient plus très influents à cette époque, puisqu’en fin de mandat, et qu’en attendant Saakachvili se serait employé à cochonner son dossier en lançant une attaque qu’il annonçait à ses parrains washingtoniens depuis longtemps, et qu’il n’avait plus l’opportunité de lancer qu’avant les élections US, donc avant ce sommet de décembre.
Les autres affaires sont de la même eau. En cherchant à chaque occasion à faire réaffirmer sous l’emprise du conformisme de l’unanimité otanienne des positions qui contredisent totalement les politiques de certains des membres de ladite Organisation, le parti des immobilistes finit par provoquer des tensions trop importantes entre ce conformisme et la réalité. Ainsi pousse-t-il, non pas à la faute, mais à des prises de position qui constituent des attaques déstructurantes contre le système conformiste qui pèse sur l’Europe. Ainsi provoque-t-on des incidents qui peuvent engendrer des ruptures.
Ces constats renforcent la perception d’une situation où la difficulté est moins de disposer d’informations à son propos, que de distinguer dans la masse d’informations disponibles lesquelles sont essentielles et lesquelles sont accessoires. Il n’y a aucun crédit particulier à accorder aux sources officielles, y compris les plus hautes, tant ces sources ont pris l’habitude de considérer l’information comme une partie de leur politique ou, plus généralement, d’ignorer elles-mêmes quelles sont les informations essentielles et les informations accessoires. Il y a même tout lieu de considérer les sources officielles comme les moins crédibles, les moins éclairées, les moins intéressantes parmi les sources disponibles, sinon pour nous informer sur les faiblesses et les erreurs de ceux qui les utilisent. Les organismes les plus puissants sont aujourd’hui prisonniers de leur pesanteur et de leur conformisme et s’aventurent dans des interprétations ou des appréciations totalement dénuées de fondement, et qui pâlissent de ridicule par rapport aux évaluations et analyses de réseaux privés qui ont la vertu essentielle de l’indépendance. La fonction de l’information est aujourd’hui bien plus difficile qu’elle n’a jamais été mais aussi bien plus libérée qu’elle n’a jamais été; pour autant, cela ne signifie pas que l’information soit libre (dénuée de pressions et de pesanteurs), ni juste d’elle-même par conséquent, mais qu’elle est assez multiple et assez complexe pour être libérée, quand elle est bien conduite, de ses pressions et de ses pesanteurs. Il suffit de le savoir et d’agir en conséquence.
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