Considérations sur un spasme d’une agonie en coma assisté

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Les deux textes que nous avons cités dans notre rubrique Ouverture libre, celui de Francine Kiefer et celui de Andrew Sullivan, fournissent justement, nous l’espérons, une bonne ouverture pour commenter la turbo-décision du président BHO concernant le remplacement de bonnet blanc par blanc bonnet (McChrystal et Petraeus, dans l’ordre alphabétique). Nous commencerons cette réflexion par quelques considérations sur une photo…

@PAYANT Il s’agit de la photo de l’annonce de la décision du Grand Timonier… Quelques hommes martialement alignés sur le perron du Rose Garden de la Maison-Blanche. Côte-à-côte, Joe Biden, le Vice-Président, en général pétulant mais assez sobre pour l’occasion ; Obama devant son micro, le regard visionnaire, le verbe haut et la taille encore plus haute (“il paraît encore plus grand quand il parle au micro que quand il se tait”, aurait dit Henri III) ; Petraeus, tout vouté et la mine plutôt déconfite au point où l’on se demanderait s’il n’allait pas nous faire un deuxième malaise ; Robert Gates, manifestement ailleurs et assurant son minimum syndical. Et le charismatique président Obama nous annonce sa décision visionnaire ; on a l’impression qu’il nous dit : “c’est moi, bien qu’africain-américain, qui commande ici”. OK, on a compris ; et, soudain, l’on comprend également qu’Obama peut être arrogant et cassant, comme certains le décrivent selon sa pente d’un caractère nixonien, mais sans doute en bien plus insupportable que Nixon. Petraeus, lui, n’a plus rien de sa prestance de cinquantenaire-jogger qui en paraîtrait à peine quarante. Manifestement, il lui manque un bon verre d’eau d’une belle et bonne station thermale de la vieille Europe, lui qui craint la déshydratation bien plus que les talibans.

La nomination de Petraeus nous rassure comme elle rassure les alliés de l’OTAN : on ne change pas une stratégie qui perd, ce constat étant en passe de s’imposer comme un des principes suprêmes du système actuellement en coma assisté. Petraeus l’inspirateur et le mentor-complice (pour un temps très court) de McChrystal, Petraeus l’homme qui dirige par osmose et intelligence charismatique la stratégie du bloc américaniste-occidentaliste, est nommé à un poste où il fera encore mieux que McChrystal. On se demande pourquoi il ne l’a pas été, nommé, dès l’origine, en mai 2009, puisqu’il semble assuré aujourd’hui qu’il fera bien mieux l’affaire que McChrystal… Parce que c’eût été le faire déchoir par rapport à son poste de commandant de CinCCom ? (Voir le couplet de Kiefer, aussi émouvant qu’une rédaction réussie d’un lauréat de classe élémentaire 2ème année sur l’“humilité” de Petraeus acceptant une fonction inférieure à celle qu’il occupe à Central Command.) Pourquoi n’avoir pas songé à lui faire cumuler les deux, puisqu’il est l’assurance de la victoire, comme il l’a remportée si brillamment en Irak ? Pourquoi n’avoir pas songé à faire, pour lui, du commandement ISAF un commandement autonome, comme, durant la guerre du Vietnam, le commandant en chef au Vietnam était quasiment autonome du CinCPAC (commandant en chef du Pacifique) dans la zone duquel se trouvait le Vietnam ?

(D’ailleurs et justement, rien jusqu’ici sur le fait : Petraeus ne reste-t-il pas CinCCENT à Central Command, ajoutant simplement le commandement direct de l’ISAF en Afghanistan ? Ou bien, va-t-il être remplacé à Central Command, ce qui le placerait sous les ordres d’un officier occupant le commandement qu’il occupait précédemment, alors que lui-même aurait été ainsi nommé glorieusement par une “promotion” à un poste subalterne. Si c’était la solution vaudevillesque choisie, on imagine la merveilleuse entente et la superbe coordination de deux généraux placés dans ces conditions, pour savoir qui commande qui et où se trouve l’autorité de quoi et sur quoi.)

La décision d’Obama de remplacer McChrystal par Petraeus est largement applaudie part la presse-Pravda, qui cherchait désespérément depuis quelques mois à se mettre sous la dent un motif d’exaltation à propos du président. Elle est applaudie d’abord parce que c’est une décision, et donc cela signifie que ce président décide. Elle est applaudie ensuite parce que voilà réaffirmé, dans cet opéra-bouffe, le sacro-saint principe de la prééminence du pouvoir civil sur les militaire, et qu’ainsi on peut encore croire à l’existence de la vertu de la Grande République ; en effet, la chose est d’autant plus convaincante que ce principe n’a jamais été remis en cause par quelque militaire que ce soit, et certainement pas par McChrystal, l’interview de McChrystal étant plus un signe de désordre qu’un acte d’insubordination. Quant à concevoir que ce changement va changer quelque chose en Afghanistan, – drôle d’idée… McChrystal est liquidé parce qu’il est considéré comme brutal, peu diplomate, ce qui est peut-être vrai mais qui n’empêche pas qu’il ait été le seul Américain en Afghanistan à s’entendre avec Karzaï. Petraeus, lui, s’entend bien avec le Congrès et avec les diverses forces à Washington. Par conséquent, on espère qu’avec Petraeus, la situation s’améliorera à Washington, ce qui est plus important qu’une amélioration en Afghanistan.

A quelles autres remarques pourrait-on s’aventurer, comme premières réactions à ce coup de théâtre qui a consisté à un jeu amusant de chaises musicales avec expulsion de l’un ou de l’autre, et les uns et les autres faisant quelques petits tours de plus ?

• BHO n’a rien pris en mains. Il s’est complètement déchargé sur les militaires de la direction de la guerre en Afghanistan. Petraeus a accepté le marché de sa nomination à condition d’éventuellement obtenir des renforts supplémentaires et une prolongation du délai de juillet 2011 pour le début du retrait (il avait déjà énoncé ces hypothèses une semaine avant “l’affaire McChrystal”). On peut donc être assuré qu’il existe désormais une chance sérieuse que la guerre soit perdue en Afghanistan, et cela assez rapidement, et pour l’OTAN comprise puisqu’elle s’est mouillée jusqu’au cou en insistant sur le fait que la “stratégie McChrystal” marche. Désormais, son “ami” McChrystal parti, Karzaï jouera à fond les talibans contre l’Ouest, accélérant la possibilité de la défaite.

• BHO s’est discrédité sur le fond des choses malgré le chœur des vierges folles d’admiration humide. Il a raté l’occasion de revoir de fond en comble l’orientation de la guerre, par pure arrogance, par pure vanité, parce qu’il n’a pas supporté l’indiscipline de son général. Cette même vanité appuyée sur l’apparence de la raison l’entraîne à pérenniser une stratégie dont tous les événements, depuis l’automne dernier, montrent qu’elle est un complet fiasco. “On ne change pas une stratégie qui perd”…

• Le limogeage de McChrystal n’a rien à voir avec celui de MacArthur (l’analogie si souvent évoquée). McChrystal est parti parce qu’il disait (à tort ou à raison, en espérant qu’on l’écoute enfin ou au contraire en espérant qu’on ne l’écoute pas, – théorie du “suicide professionnel”) qu’il n’avait pas derrière lui la cohésion qu’il lui fallait pour l’emporter. MacArthur avait été démis de ses fonctions parce qu’il exigeait un changement complet de stratégie en demandant, rien que cela, qu’on déclenche une attaque nucléaire contre la Chine. On peut apprécier la différence, et surtout apprécier qu’en aucun cas on ne trouve la marque d’un “coup d’Etat” des militaires…

• Ce qui conduit à conclure sur l’aventure personnelle de McChrystal… Au fond, McChrystal a réussi sa sortie. Il s’en va comme un homme indiscipliné, un maverick par rapport à une hiérarchie ossifiée et un système en pleine déroute, ce qui finira par faire de lui un héros ; et il s’en va parce que sa stratégie est perdante et qu’il le savait, mais alors que tous ses bourreaux et autres lyncheurs affirment en chœur que sa stratégie marche (puisqu’on la poursuit, puisqu’“on ne change pas une stratégie qui perd”).


Mis en ligne le 24 juin 2010 à 10H13