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28 mars 2007 — D’un certain point de vue, comment aurait-on voulu que les élites européennes ne remettent pas la Constitution sur le métier ? Elles n’ont rien d’autre à offrir. C’est ce qu’a fait Merkel le 25 mars, avec une certaine grâce teutonne (l’agilité dans la lourdeur), avec moult concessions diverses, délayages, etc.
Quoique… Constitution ou pas ? Tout est là.
Un texte de EUObserver du 25 mars expose le processus suivi par la chancelière allemande.
«[T]he German chancellor confirmed that Berlin wants to break the EU's institutional deadlock, sparked by “no” votes against European constitution in France and the Netherlands in 2005. as quickly as possible.
»She said a key EU leaders summit in June should concentrate on how it can be ensured that a revised version of the EU constitution will be ratified in time for the 2009 European elections.
»“It's not just about running up a document saying at some stage we will ratify it,” she said. “There were two failed referendums and we have to draw lessons from that.”
»“The real issue will be implementation. It is not good enough to have 27 signatories on a paper that cannot be implemented,” the chancellor stated. “The June [summit] cannot completely solve this issue, but it can demonstrate that we have the will to achieve something before the European elections.”
»The German EU presidency favours a fast-track procedure which would see the Portuguese presidency in the second half of this year open and close a so-called Intergovernmental Conference (IGC) which would renegotiate the constitution. An early agreement would leave enough time for the ratification of the revised constitution before mid-2009.»
Outre le récit qu’il nous offre, l’intérêt de ce texte est, également et peut-être surtout, dans une statistique qui plonge au cœur du problème soulevé par Merkel. On trouve dix fois le terme “constitution” pour désigner le texte qui serait terminé pour 2009 et une fois le terme “traité”. Or, Merkel n’a pas prononcé une fois le mot “constitution”. L’expression employée par elle, et d’ailleurs favorite des Allemands, est la suivante : “asseoir l’Union européenne sur des bases communes rénovées”.
• Discours de Merkel à Berlin, le 25 mars : «Il est donc important et nécessaire qu’aujourd’hui, à Berlin, cinquante ans après la signature des Traités de Rome, nous partagions l’objectif d’asseoir l’Union européenne sur des bases communes rénovées d’ici les élections au Parlement européen de 2009.»
• Déclaration (signée par les 27 pays) du 50ème anniversaire de la CEE/UE, à Berlin le 25 mars : «Grâce à l'unification européenne, le rêve des générations précédentes est devenu réalité. Notre histoire nous commande de préserver cette chance pour les générations futures. Il nous faut pour cela toujours adapter la construction politique de l'Europe aux réalités nouvelles. C'est pour cette raison qu'aujourd'hui, cinquante ans après la signature des traités de Rome, nous partageons l'objectif d'asseoir l'Union européenne sur des bases communes rénovées d'ici les élections au Parlement européen de 2009.»
Dans son discours, qui ne manquait pas d’une certaine bonhomie, Merkel a exalté la notion de traité, par la force des choses puisqu’elle faisait l’apologie du traité de Rome, — notamment dans ce passage (il nous semble que cet «homme politique pas tout à fait inconnu» est bien le Général lui-même, ce qui ne manque pas d’ironie coquine) :
«J’ai lu qu’un membre d’une délégation participant aux négociations [du traité de Rome], un Britannique je crois, disait à l’époque que le traité n’avait aucune chance d’être signé, que s’il était signé, il ne serait pas ratifié et que s’il était ratifié, il ne serait jamais appliqué. Je ne sais pas, Mesdames et Messieurs, ce que ce négociateur dirait des festivités d’aujourd’hui.
»Il n’était d’ailleurs pas le seul à être sceptique. Un homme politique pas tout à fait inconnu aurait dit lui — je cite: “Les traités, voyez-vous, sont comme les jeunes filles et les roses: ça dure ce que ça dure!” Mesdames et Messieurs, on peut dire aujourd’hui que le rosier a nettement poussé depuis 1957, et c’est une jeune fille plus toute jeune, j’en conviens, qui est cosignataire de la ‘Déclaration de Berlin’…»
Ce que nous voulons exprimer en mettant en regard cet article de EUObserver avec les mots précisément dits par Merkel, c’est qu’il n’est officiellement nulle part question de Constitution alors que tout le monde ne pense qu’à cela. Pendant ce temps, Merkel nous dit, dans son discours, qu’après tout un traité vaut bien une messe (c’est-à-dire une constitution) et, par conséquent, peut faire aussi bien l’affaire qu’une constitution. «Merkel marche sur des œufs avec cette affaire à cause de la force des enjeux et de l’effet sans fin du “non” de 2005, nous explique une source européenne. Ce qu’elle dit, les mots choisis avec soin et répétés exactement à l’identique, signifient que la porte est complètement ouverte, et qu’on ne sait pas vers où l’on va, — constitution ou traité.»
La différence est essentielle. Une constitution est un acte de substance qui entend marquer et modifier le temps historique à son image, un traité un acte temporel qui suit la fortune des temps historiques. Dans l’esprit de la chose, une constitution devrait passer par le suffrage populaire, un traité pas nécessairement. (Même si on l’a fait pour Maastricht, en France notamment ; mais cette consultation populaire de 1992 avec un “oui” maigrelet [51,05% des 69% de votants] était bien la marque de l’inquiétude des hommes politiques et, d’une certaine façon, préfigurait et annonçait le “non” de 2005.)
L’initiative allemande est-elle un complot des fédéralistes pour forcer la décision contre la volonté des peuples, comme l’en accusent les adversaires de l’intégration? Bien qu’il y ait toujours un complot en marche quelque part, cette interprétation n’est nullement décisive. Notre source européenne observe : «L’absence de mention du terme “constitution” dans les déclarations allemandes représente bel et bien une victoire des “non” populaires, essentiellement du “non” français.»
De ce point de vue, notre appréciation est que la démarche allemande est prudente et ne fixe en aucune façon le destin européen. D’une certaine façon, elle relance le jeu en en élargissant les règles. Bien sûr, les Allemands offrent un calendrier très serré mais on peut être sûr que, d’ici 2009, l’Histoire va nous offrir quelques surprises de bonne taille. Avec toutes les crises en route, — à commencer par celle des anti-missiles, certes, qui met à jour des antagonismes redoutables, y compris au sein de l’UE, — il est difficile de penser que la démarche des rédacteurs du nouveau texte ne sera pas semée d’embûches.
Les divers intégrationnistes (institutionnels et le reste) sont coincés entre deux nécessités, qui renvoient au discours courant plus qu’au réalisme politique :
• Pour donner à leur projet-2009 toute l’ampleur qu’il faudrait pour en faire un instrument de rupture intégrationniste, il faut qu’ils lui donnent l’allure solennelle et décisive d’une “constitution” (même s’il ne s’agit que d’un traité…), et alors ils risquent de faire renaître contestation et mobilisation, — non, ils feront sûrement renaître contestation et mobilisation. A cet égard, la situation (la popularité de l’Europe et des institutions dans les pays européens) ne s’est guère arrangée depuis 2005.
• Faire évoluer le projet-2009 comme un projet de traité à l’image de ceux qui ont précédé est tactiquement habile parce qu’il écarte l’effet dramatique de l’idée d’une “constitution”. Dans le même temps, l’effet de rupture est inexistant.
Au bout du compte, dit-on, tout doit être prêt pour les élections européennes de 2009, si possible sans consultations populaires type-référendum catastrophique de 2005. Dans ce cas, si, effectivement, les intégrationnistes réussissent à faire naître un texte de rupture (premier cas) auquel on refuse la sanction populaire, nous risquons de voir les élections européennes transformées en une sorte de référendum, du moins dans certains pays. On assiste d’ores et déjà à des regroupements parlementaires de partisans du “non”. Pour une fois, les élections européennes serviraient-elles à quelque chose? On devrait y penser.
Décidément, la partie n’est pas jouée. Le “non” de mai 2005 apparaît désormais pour ce qu’il est : un refus, un but refusé pour hors-jeu, une remise en jeu de la balle. Les élites européennes préparent à leur tour leur propre riposte. L’état d’esprit, après l’ébranlement de mai 2005 mais aussi après l’ébranlement d’événements extérieurs, y est beaucoup moins affirmé, beaucoup moins “européen” qu’en 2002-2004, lorsque fut débattu et élaboré le projet initial de constitution (la Convention). Par exemple, Allemands et Polonais sont-ils d’accord sur la classification implicite mais très forte des principales alliances européennes que nous a proposée la chancelière allemande dans son discours du 25 mars? Peut-on proposer une politique étrangère commune précise et ambitieuse sur de telles bases?
Ces conditions imprécises expliquent l’appréciation imprécise qu’on doit avoir de l’évolution des choses. Des initiatives inattendues sont possibles. L’idée d’un “noyau dur” est toujours à l’affût. Le jeu est relancé mais le champ est diablement ouvert.
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