“Continuité bureaucratique” du Système au Pentagone et à la CIA

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Hier a été officiellement annoncée la nomination de Leon Panetta, actuel directeur de la CIA, comme successeur “cet été” de Robert Gates à la tête du Pentagone, comme secrétaire à la défense. Le général Petraeus succédera à Panetta à la tête de la CIA. Ces nominations ne sont pas tout à fait une surprise, les deux noms ayant déjà été imprimés dans ce sens avec quelques démentis assez mous qui s’avèrent aujourd’hui de pure circonstance. Il s’agit d’une opération typique “de continuité bureaucratique”, avec un aspect complémentaire de renforcement des intérêts du président en poste actuellement à la Maison Blanche (BHO).

Le très court commentaire de Steve Clemons ce 27 avril 2011 résume assez bien l’observation normalement intelligente, mais d’un intérêt de fond fort réduit, qu’on peut faire sur ces décisions.

Clemons fait un rapide commentaire, en citant le commentateur David Rothkopf, de ForeignPolicy.com, qui fait lui-même un commentaire prudent et dubitatif sur la décision, ce 27 avril 2011, sur le site du même ForeignPolicy.com. Clemons écrit ceci

«Months ago Rothkopf and I met to discuss who might succeed Bob Gates as Secretary of Defense. We made an extensive list on which some of the names were former Senator Chuck Hagel, current Under Secretary of Defense for Policy Michelle Flournoy, CSIS President and Defense Policy Review Board Chairman John Hamre, and General Motors Chairman & CEO Jeffrey Immelt.

»Leon Panetta was top of Rothkopf's list – and I conceded at the time that there was not a better bureaucratic player who could re-engineer the Pentagon, solve still brewing intel sector battles with the CIA and Director of National Intelligence from a DoD perch, and have the capacity to muscle back the power of some tough generals and admirals… […]

» But Leon Panetta will be at the helm – and interestingly, General David Petraeus will succeed him. Watch for Petraeus to focus on modifying the CIA's role in supporting counter-insurgency challenges and drone-heavy terrorist disruption campaigns.»

(Concernant Petraeus, on rajoutera cette autre remarque, très largement présente dans tous les commentaires, comme un des facteurs “officiels-officieux” classiques de la décision, – c’est-à-dire tenter de contrôler Petraeus pour lui interdire d’éventuels projets pour les élections présidentielles de 2012, côté républicain… Il s’agit d’une remarque de Reuters, ce 27 avril 2011 : «Before word of the reshuffle broke, some Washington insiders suggested the White House wanted a high-profile position for Petraeus to ensure he would not be tapped by Republicans to challenge Obama next year.»)

Notre commentaire

Il est vrai que nous avons tenu à séparer “notre commentaire” de la nouvelle initiale que nous présentons, d’une manière techniquement formelle (mise en page), comme nous le faisons encore, parfois et dans ce but, pour bien montrer combien nous jugeons ces décisions d’une importance extrêmement réduite en elles-mêmes. Pourtant, elles sont objectivement très importantes lorsqu’on en accepte, objectivement, les composants. Cette absence d’importance tient aux circonstances contextuelles générales, – en un mot, parce qu’il s’agit typiquement de décisions d’un “somnambule” (BHO, certes), qui n’a plus aucun intérêt ni plus la moindre capacité de s’intéresser à la vérité de la situation sur laquelle il est censé exercer une influence considérable.

D’un côté, une confirmation évidente : en temps normal, de telles décisions sont évidemment importantes en elles-mêmes. (Quoiqu’il faudrait s’attacher un peu plus au fait de savoir de quelle normalité l’on parle…) Le secrétaire à la défense et le directeur de la CIA jouent un rôle fondamental dans ce que nous désignons comme la “communauté d’influence idéologique et de sécurité nationale” du Système… Cette expression, nous l’employons sans autre souci d’identification nationale, puisqu’il faut de plus en plus observer les évènements en amalgamant les USA et les autres pays du bloc BAO, – bloc américaniste-occidentaliste, – en une unité de système débarrassée des habituelles préoccupations de type géopolitique ou politique, très humaines dans le chef des commentateurs attachés à interpréter l’histoire en cours en rapports de force et d’hégémonie entre les différents participants. Le bloc BAO devient de plus en plus une masse informe et somnambulique, où se dégradent jusqu’à disparaître les rapports de servilité, d’obédience, d’alliances contraintes, etc., de ses membres, ceux-ci entrant de plus en plus dans cette définition générale et également informe des “somnambules”. Ces explications qui semblent digressives permettent en fait d’illustrer encore mieux l’absence d’importance de ces “décisions importantes”

L’apparente satisfaction de Clemons, qui n’ajoutera pas à sa gloire, relève du technicien, ou de l’expert-technicien, qui fait son travail et ne tient guère de compte de ce qu’il pense désormais de façon fondamentale du président Obama (voir au 19 mars 2011 : «On note l’appréciation assez peu optimiste de Steve Clemons, pourtant favorable à Obama, décrivant un président sans stratégie, “agissant de façon réactive et nullement de façon stratégique”…»). Techniquement, il a donc raison, mais l’on doit se demander si cette confirmation de son analyse a la moindre importance et le moindre intérêt, si elle ne relève pas d’un balbutiement conforme de la horde somnambulique (sans pour autant ôter un mot de ce qu’on pense de Clemons, avec les nuances nécessaires) ; il a donc raison lorsqu’il propose la prévision que : Panetta sera un formidable “guerrier bureaucratique” au Pentagone et Petraeus accentuera l’orientation de la CIA vers le contreterrorisme et les guerres courantes aujourd’hui, ces drôles de choses plus ou moins de type-G4G (guerre de 4ème génération). Cela écrit, vient la redoutable question : et alors ?

… “Et alors ?”, c’est-à dire qu’est)-ce que cela changera, sinon en pire selon le point de bue objectif de la situation actuelle. (Sans oublier que si notre réponse est négative, ce qui est le cas bien sûr, l’aggravation subséquent de la situation qu’entraîneront ces nominations contribue un apport intéressant et structurant au processus de dégradation accélérer et déstructurante du Système.) On peut sérier cette question selon les deux nominations et leurs conséquences probables.

• Effectivement, Panetta, tout fait en rondeurs matoises, arrangeur-né et stabilisateur des situations perverses de la bureaucratie avec le résultat d’institutionnaliser les perversions de ces situations, Panetta avec un petit air de mafioso adapté aux mœurs bureaucratiques du Système et à la flore de Washington, sera certainement un prodigieux secrétaire à la défense-bureaucrate, comme le Système les aime. Il saura trouver arrangements, compromis, remise en ordre de certains conflits entre factions tout en préservant les intérêts et la puissance de ces fractions, donc il aménagera d’une façon plus équilibrée la situation qui est celle d’une évolution prodigieusement rapide vers un état entropique de paralysie, de gaspillage, de corruption et d’inefficacité. Il rendra le Pentagone pire qu’il est en le stabilisant dans tous ses vices, ses blocages, ses impuissances et ainsi de suite. Il rendra présentable le spectacle de ce monstre préparant sa chute finale ou son effondrement. De ce point de vue, il représente une dégradation manifeste par rapport à son prédécesseur Gates, à qui les circonstances avaient donné l’occasion de marquer quelques velléités de tenter, sans succès bien entendu, de réformer peut-être radicalement l’évolution du Pentagone.

• Petraeus, plein d’assurances techniciennes (rien de l’héroïsme glorieux, certes, mais plutôt “guerrier technologique-bureaucratique”), l’allure faussement modeste et glacialement efficace, spécialiste du maniement du système de la communication, est une belle intelligence technicienne et complètement formatée. Il est concentré sur certains apriorismes qui forment la paradoxale essence sans conséquence de sa pensée. Il va donc organiser à la CIA l’incurvation maximale d’un tournant vers les questions marginales et gonflées par les besoins de la politique symbolique et virtualiste, du contreterrorisme et autres fariboles qui font la fortune de ses auditions au Congrès et de sa publicité. Il constituera donc un facteur d’aggravation des tares courantes de la CIA exacerbées par les événements. Il rendra encore plus aveugles les “mal voyants” qui n’ont rien vu venir de la chaîne crisique du Moyen-Orient. Avec lui, la CIA ira de pire en pire, mais avec une indifférence glacée, une certitude affichée d’être dans le vrai alors qu’on se trouve dans le courtant absolument contraire.

Au travers de ces deux nominations comme on les conçoit, on offre la conclusion que toute cette affaire va promouvoir la position de BHO au sein du Système. Décidément, cet homme nous offre une déception colossale, sinon un dégoût d’une force aussi grande, à mesure des espérances suscitées à son arrivée. Son attitude est celle d’un postmoderniste par opportuniste et par découragement de faiblesse, – le somnambule en question, dans le rôle d’un Ponce Pilate également postmoderniste. Il s’en lave les deux mains, l’une des deux étant celle d’une allégeance intéressée et psychologiquement corrompue au Système, l’autre étant celle, plus insistante, de ses intérêts électoraux. (Sans aucun doute, 50% des raisons de son choix en faveur de Petraeus ont à voir avec le souci d’éliminer un adversaire potentielle aux présidentielles. Cela n’empêchera, s’il le juge bon, que Petraeus fasse ce qu’il faut pour provoquer un incident en temps utile, justifiant son départ et sa libération pour une candidature qui auraient été préalablement négociée avec les républicains. Le somnambule, une fois qu’on a accepté cet état pour définir ses jugements et ces décisions, ne nous déçoit pas.

D’une façon plus générale, les nominations entrent dans le cadre bien identifié du processus de dégradation et d’effondrement du Système. Pour cela, ils sont bienvenus. Sans que les deux “nominés” aient la moindre chose à se reprocher, et pour cela près tout, leur nomination s’installera comme un facteur de plus dans la dynamique générale d’effondrement du Système. Ils tiennent donc bien leur rôle, si l’on accepte cette sorte d’analyse, dans une politique de gestion du fonctionnement du Système suivie sans s’interroger éventuellement sur ses conséquences, et précisément ses conséquences catastrophiques. Il s’agit d’une étape de plus dans la politique de “continuité bureaucratique”, comme on pourrait aujourd’hui la politique de Washington dans son inféodation complète au Système.


Mis en ligne le 28 avril 2011 à 11H06