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13471er avril 2009 — Sans aucun doute, l’Afghanistan est un pays compliqué, surtout pour ses envahisseurs saisonniers. L’on prétend que l’administration Obama a mis sur pied une “stratégie” pour la guerre en Afghanistan, consistant d’abord dans l’augmentation des troupes déployées dans ce pays. D’autre part, les premiers contacts positifs avec l’Iran, notamment concernant l’Afghanistan, viennent d’avoir lieu, et ils sont encore plus que simplement “positifs”, – ils sont prometteurs.
Un texte de Patrick Cockburn, dans CounterPunch du 30 mars 2009, fait un récit des événements depuis l’attaque US d’octobre 2001, pour montrer combien la partie fut cousue de fil blanc avec la participation massive du Pakistan (Mousharraf, ISI, etc.) dans un inévitable et évident double jeu, avec l’incompréhension tout aussi considérable des arcanes de ces interférences de la part des Anglo-Saxons (USA, puis avec UK, les deux principaux pays engagés, – toujours avec ce constat douloureux de voir l’Angleterre perdre son intelligence traditionnelle dès qu’elle se pelotonne au cœur des spécial relationships). Cockburn termine son récit en évoquant le renforcement US en Afghanistan (“surge”, selon le langage accepté depuis GW Bush et l’Irak en 2007), et lui donne une valeur tactique potentielle, si l’événement est utilisé de la sorte, – c’est-à-dire, une stratégie réduite à la tactique.
«One of the main achievements of the surge in Iraq was that it gave the US public the impression that a victory had been won which in turn allowed the Americans to agree to withdraw their forces. President Bush was able to sign a Status of Forces Agreement with the Iraqi government at the end of last year which included a timetable for a US pull-out which Washington had furiously rejected in the past.
»The surge may play a similar role in Afghanistan. One of the main reasons for keeping American and British forces there is because it would be humiliating to withdraw...»
Cette interprétation implique que les USA jouent d’une façon volontaire et délibérée ce jeu, qu’ils recherchent effectivement une voie pour se retirer d’Afghanistan le plus vite possible, une fois la face protégée, sinon sauvée, par l’apparence momentanée d’une sorte d’amélioration de la situation. Il faut se rappeler 2007 et l’Irak, et la façon goulue avec laquelle, finalement, les Américains se précipitèrent sur l’occasion qui leur était donnée d’amorcer leur retrait, de passer la patate chaude au gouvernement irakien.
(Encore existent-ils des réserves de taille, montrant combien la partie en Afghanistan serait serrée, même si cette tactique du “surge” était effectivement utilisée par les USA pour ce qu’elle est dans la présentation qu’en fait Cockburn. Celui-ci précise, à propos de l’Irak: «At the end of last year, the White House was talking about repeating what was deemed to have been the success of the “surge” in Iraq. Some 30,000 extra US troops were sent to Iraq pursuing more aggressive tactics and the Sunni Arab insurgency seemed to wind down soon after. But the real turning point in Iraq was probably the defeat of the Sunni Arabs by the Shia. Nothing of this sort is likely to undermine the Taliban in Afghanistan just as their guerrilla attacks are inflicting more casualties than ever.»)
Un facteur courant important dans l’évolution de la situation afghane, c’est la confirmation de l'évolution des relations entre l’Iran et les USA; il y a notamment l’offre concrète faite par les Iraniens de participer à la lutte contre le trafic des narcotiques en Afghanistan. Des rencontres ont eu lieu entre Américains et Iraniens hier, avec d'autres participants. Le Guardian de ce 1er avril 2009 en fait le rapport optimiste.
«Senior western officials yesterday heralded a new spring in relations with Iran, after the Islamic regime made an historic offer to help US-led efforts in Afghanistan.
»For the first time since Barack Obama came to office, US and Iranian officials met at an international conference in The Hague, with diplomats saying a possible turning point may have been reached between the US and the country it labelled part of the axis of evil seven years ago. Washington's special envoy to Afghanistan and Pakistan, Richard Holbrooke, had an informal meeting with the Iranian delegate, Mohammad Mehdi Akhundzadeh. The US secretary of state, Hillary Clinton, later described the exchange as “unplanned but cordial”, adding that they had agreed to "stay in touch”.
»Mark Malloch Brown, Britain's foreign office minister for Africa, Asia and the United Nations, said Iranian offers of help could mark a new “spring in the Relationship” between the west and Iran. He was responding to Akhundzadeh's public pledge at the conference of Iranian co-operation in counter-narcotics and development efforts in Afghanistan.
»“I did think the Iranian intervention this morning was promising. The issue of counter-narcotics is a worry that we share. We will look for ways to co-operate with them on that,” Clinton said. “This is a promising sign that there will be future co-operation.”
Bien entendu, l’imbroglio n’est pas seulement en Afghanistan, il est aussi et surtout dans le Washington d’Obama. C’est le constat qu’autorisent diverses interprétations des dernières décisions US d’une nouvelle “stratégie” en Afghanistan (mais incluant massivement le Pakistan), – ou bien, pour certains, d’une stratégie pour la première fois énoncée d’une façon cohérente pour l’Afghanistan-Pakistan, ou “AfPak” dans le jargon obamien. (Selon Cockburn, après avoir rappelé l’implication massive du Pakistan dans cette affaire, dès l’origine, parce que le Pakistan veut conserver des Talibans actifs pour disposer d’un allié contre l’Inde: «It is astonishing that only now the US is finally producing a policy for Afghanistan which is in keeping with the real nature of the imbroglio into which Mr Bush plunged in 2001 and floundered for seven years afterwards.»)
Le cœur de l’éventuel imbroglio afghan des décisions washingtoniennes, et de l’éventuelle interrogation à ce propos, se trouve mis en évidence par William S. Lind, à partir d’un texte du Washington Times sur les batailles intérieures dans l’administration Obama, ayant abouti à la décision de la nouvelle “stratégie”. Lind a une approche résolument pessimiste, le 31 mars 2009 sur Antiwar.com.
«With the usual fanfare, the Obama administration has proclaimed a new strategy for the war in Afghanistan. On the surface, it does not amount to much. But if a story by Bill Gertz in the March 26 Washington Times is correct, there is more to it than meets the eye. Gertz reported:
»“The Obama administration has conducted a vigorous internal debate over its new strategy for Afghanistan” […] “According to two U.S. government sources close to the issue, senior policymakers were divided over how comprehensive to make the strategy. […]
»
»“The other side of the debate was led by Richard C. Holbrooke, the special envoy for the region, who along with U.S. Central Command leader Gen. David H. Petraeus and Secretary of State Hillary Rodham Clinton fought for a major nation-building effort. The Holbrooke-Petraeus-Clinton faction, according to the sources, prevailed. The result is expected to be a major, long-term military and civilian program to reinvent Afghanistan from one of the most backward, least developed nations to a relatively prosperous democratic state.”
»I have not seen similar stories in other papers, so it is possible Gertz is not correct. But if he is, the Obama administration has just made the Afghan war its own, and lost it. Ironically, the reported decision duplicates the Bush administration’s error in Iraq, another lost war (the next phase in Iraq’s Sunni-Shi’ite civil war is now ramping up). The error, one that no tactical or operational successes can overcome, is setting unattainable strategic objectives.
»Short of divine intervention, nothing can turn Afghanistan into a modern, prosperous, democratic state…»
Lind attaque violemment cette orientation de l’administration Obama, si elle se confirme. Pour lui, elle constitue un renouvellement de l’approche classique des “liberal hawks”, ceux qui furent derrière l’intervention au Kosovo de 1999, dont, justement, Hillary Clinton et Richard Holbrooke étaient de farouches partisans. Il s’agit de la même approche idéaliste, ou plutôt utopique, qui caractérise d’ailleurs aussi bien les néo-conservateurs du temps de GW Bush. «Here we see how little “change” the Obama administration really represents. The differences between the neo-liberals and the neocons are few. Both are militant believers in Brave New World, a globalist future in which everyone on earth becomes modern. In the view of these ideologues, the fact that billions of people are willing to fight to the death against modernity is, like the river Pregel, an unimportant military obstacle. We just need to buy more Predators.»
Dans cette hypothèse, pour Lind les décisions de l’administration Obama impliquent effectivement un engagement renouvelé qui va conduire à un renchérissement catastrophique de la guerre. «It appears Afghanistan will be the graveyard of yet another empire.»
Le contraste jusqu’à l’antagonisme entre certaines des nouvelles exposées ci-dessus est particulièrement significatif. C’est le cas entre l’analyse exposée par Lind à partir d’informations qui répondent sans aucun doute à des tendances réelles exprimées au sein de l’administration, et les progrès évidents enregistrés dans les relations avec l’Iran, progrès qui s’appuient et appuient une intention générale d’en finir le plus vite possible avec le conflit afghan avec une stratégie extrêmement nuancée. Ce contraste, c’est-à-dire cette contradiction, répond non pas tant à des conflits d’analyses qu’à une réalité effectivement contrastée jusqu’à la contradiction. Bien entendu, cette contradiction affecte essentiellement, sinon exclusivement les USA.
La contradiction est si vive à propos de l’Afghanistan parce que l’Afghanistan est le point central de contact entre deux réalités américanistes:
• La première est la tendance évidente de la politique extérieure expansionniste et belliciste des USA, exprimée diversement sous Clinton (Bill) et sous GW Bush, mais finalement très unitaire, caractérisée si l’on veut par l’appellation de “néo-wilsonisme”. A cet égard, Lind a raison: «The differences between the neo-liberals and the neocons are few.» (On sait bien que les néo-conservateurs viennent de la gauche, sinon du trotskisme pour certains, par conséquent d’un courant général qui a également donné chez les démocrates, dans une autre branche, les “liberal hawks” du Kosovo-1999.) Cette tendance existe toujours et, effectivement, Hillary Clinton et Holbrooke en sont les représentants (comme l’est un Kouchner en France). Il est normal qu’elle s’exprime surtout pour l’Afghanistan; ce pays et le conflit qu’il abrite sont l’archétype pour la gauche libérale (aussi bien en Europe, d’ailleurs) d’un modèle à “démocratiser”, y compris par les missiles guidés et les véhicules sans pilotes Predator, selon les moyens occidentalistes bien connus pour faire entrer la civilisation et la modernité dans les cranes réticents. On connaît le succès à couper le souffle de la formule (Kosovo, Irak, etc.) mais on sait aussi que ces gens-là, ces “liberal hawks”, qui s’instruisent dans les salons et dans les think tanks chics de leurs capitales respectives mais occidentales, éprouvent le plus grand mépris pour l’expérience et la plus grande indifférence pour la réalité. Le pronostic de Lind serait complètement fondé s’il n’y avait la seconde réalité américaniste.
• La “seconde réalité américaniste”, c’est ce que nous nommons la “contraction” de la politique extérieure US, que nous avions d’ailleurs déjà évoquée à propos de l’Afghanistan. Comme l’on sait, il s’agit des conséquences formidables de la crise sur tous les attributs et les caractères de la puissance US, avec une inévitable contraction en train de se faire de la politique extérieure US, l’abandon de ses ambitions par réduction accélérée des moyens, par effondrement de l’influence, par mise en cause universelle du modèle américaniste passant du domaine financier et économique à tous les autres domaines. Les USA sont dans une crise profonde, qui n’est pas conjoncturelle mais structurelle et fondamentale, une crise de type systémique général essaimant d’un domaine à l’autre. D’une certaine façon même si d’une façon moins bruyante, la politique extérieure US est autant en crise que la structure financière américaniste, parce que ses moyens (crise de l’influence et du leadership, crise du Pentagone et de l’outil militaire) sont en réduction accélérée. Cette crise ne se traduit pas par un repli volontaire, qui serait une “autre politique” impossible à accepter par un establishment aveuglé par l’arrogance, qui supposerait une stratégie nouvelle, plus modeste, plus coopérative, qui impliquerait l’abdication du statut d’“hyperpuissance” et de “nation indispensable” (dixit Albright); la crise se traduit par cette dynamique de “contraction”, qui est une version très soft et beaucoup plus contrôlée de l’effondrement de la structure financière. C’est cette deuxième tendance de la “contraction” qui conduit à l’accommodement avec l’Iran, à la normalisation avec la Russie, au retrait probable du projet des anti-missiles BMDE, etc.
Bien entendu, la puissance respective des deux tendances, l’une en fin de course, l’autre en pleine expansion, guide notre choix spéculatif. Nous pensons que le mouvement de contraction, c’est-à-dire, pour le sujet traité ici, la recherche d’un arrangement (mais sans perdre la face) en Afghanistan, notamment avec un rapprochement avec l’Iran, domine largement l’autre. Mais il existe des automatismes et des accidents, et il existe la ténacité de ces pensées sophistiques dans un establishment qui accepterait éventuellement toutes les “contractions”, – bien forcé, après tout, par la dure réalité de la crise, – mais qui n’acceptera jamais celle de son arrogance et de ses illusions. De ce point de vue, Lind n’a pas complètement tort, non plus que le parti anti-guerre aux USA qui continue à soupçonner Obama d’une orientation qui finira par engager les USA dans un “nouveau Vietnam”, en Afghanistan.
Le dernier point est que, du côté des “automatismes et des accidents” qui peuvent conduire à une aggravation du conflit malgré tout, il existe aussi ceux qui iraient dans l’autre sens, dans celui de l’accélération de la crise, forçant finalement à accélérer la contraction. Il se pourrait même qu’une aggravation du conflit dans les circonstances décrites par Lind conduise à l’un de ces automatismes ou accidents de crise, qui accélère la contraction et force tout de même à l’abandon de la guerre dans des circonstances bien plus dommageables. On voit qu'il s'agit de spéculations autour de faits accidentels, alors que la dynamique de contraction est au contraire un fait structurel. Tous comptes faits et toutes choses considérées, l’hypothèse-Lind nous paraît la moins probable parce que la dynamique de la contraction est aujourd’hui d'une si grande puissante et d'une si grande logique événementielle, à mesure évidente de la puissance et de la logique d'enchaînement de la crise.