Contre la perspective France-Russie (Mistral): pourquoi pas la Russie dans l’OTAN?

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Aussitôt après avoir consacré plusieurs textes aux perspectives de la vente possible du porte-hélicoptères français Mistral à la France, notamment le 2 octobre 2009, nous enchaînons sur un texte de Tony Halpin (écrit de Moscou), qui remonte au 28 septembre 2009 pour le Times, et qui rencontre on dirait de façon prémonitoire (est-ce bien sûr?) celui que le même Halpin écrit quatre jours plus tard (à propos du Mistral) pour le même Times et que nous avons commenté ce même 3 octobre 2009. Cette fois Halpin envisageait avec une faveur empressée (qui fit réagir nombre de ses lecteurs dans un sens stupéfait et scandalisé) l’intégration de la Russie dans l’OTAN. Il le fait, d’abord, en mentionnant un point historique qu’il présente faussement comme quelque chose de “secret”, que Vladimir Poutine aurait “dévoilé” en 2002, alors que la chose est largement publique et largement expliquée dans les archives de l’OTAN et dans le livre de 1956 de Lord Ismay, premier secrétaire général de l’OTAN (L’OTAN, les cinq premières années). Il s’agit de la première demande d’adhésion de la Russie, alors URSS à l’OTAN en 1954, que nous avons rappelée avec forces détails des citations d’Ismay, le 19 septembre 2009.

Halpin écrit: «When Vladimir Putin held his first summit with President George W. Bush in 2001 in Slovenia, he disclosed that the Soviet Union had secretly approached Nato about membership talks in 1954. Asked whether Russia could join, he responded: “Why not?”»

Cela intervient dans le texte de Halpin – et ce rappel autant que l’erreur historique ne sont pas indifférents en eux-mêmes – pour renforcer la thèse qu’avance le même Halpin: maintenant, la prochaine étape du rapprochement occidental de la Russie en cours est l’intégration de la Russie OTAN. Par “rapprochement occidental de la Russie”, Halpin parle de la politique US et de la nouvelle attitude de l’OTAN dans ce sens, mais certainement pas de la politique française qui prend une allure stratégique fondamentale avec l’affaire du Mistral. Au contraire, il argumente implicitement, et de cette même façon prémonitoire du point de vue chronologique, mais opportunément du point de ce de ce qu’il sait déjà de l’affaire Mistral, contre la politique française mise en évidence par cette affaire. Il nous en dit long et plus en détails sur ce que va être la politique des otaniens et des transatlantiques classiques vis-à-vis de – contre cette politique française.

«Now that the United States and Russia have kissed and made up over missile defence in Eastern Europe, there’s a logical next step to averting a new Cold War. Russia should join Nato.

»Most of the irritants that have inflamed relations with the West in recent years have concerned Russian perceptions of threat from Nato “encroachment” towards its borders. This would be redundant if it was also seeking membership.

»Nato does not even have to say “yes” right away for the terms of the relationship to improve. The process of engagement would act as a powerful stimulus for Moscow to rethink its antagonism towards the Baltic States, Ukraine, Georgia and, most recently, Poland, since winning them over would be central to any successful application.

»It would be a test for Nato too. The alliance’s borders would circle the northern hemisphere with Russia inside the tent, completing its transformation from a body focused principally on European security into one demonstrably engaged, as it is in Afghanistan, in securing global stability.»

On citera également, pour alimenter notre commentaire ci-dessous, deux autres extraits du texte d’Halpin. L’un concerne le sort des forces armées russe dans l’hypothèse évoquée, qui confirme cette volonté d’intégration-emprisonnement dans l’OTAN («Russia has embarked on wholesale restructuring of its armed forces to bring them into line with modern, ie Nato, standards. How much easier to do that with Nato help in preparation for integration into the alliance?»). Elle concerne également le projet paneuropéen de Medvedev, ainsi interprété en partition OTAN («President Medvedev has sought to resolve the tensions by proposing a new pan-European security structure. But most Nato states are not interested in re-inventing the wheel, partly out of suspicion at Moscow’s motives.»)

@PAYANT On comprend la stupéfaction et l’irritation des lecteurs d’Halpin, qui ne sont pas au courant de l’affaire Mistral France-Russie, ou pas informés de son importance, alors que ce texte est publié. Pour eux, c’est introduire “l’ennemi dans la place”; ils ignorent alors que nous n’en sommes plus là. De ce point de vue, nous sommes persuadés que ce texte est publié, notamment et principalement, en fonction de cette affaire Mistral pour entamer la tentative d’interférence et de blocage de cette politique française. Cela implique qu’Halpin est déjà au courant de cette affaire (ce qui est l’évidence même puisqu’elle est déjà annoncée dans son esquisse et que les bruits courent déjà le 28 septembre sur son évolution positive); cela implique qu’il est, par ses contacts, informé de l’importance qu’on lui attache et des mesures urgentes qu’il fait prendre pour tenter de la bloquer ou, au mieux, de la “neutraliser” (si la Russie entre dans l’OTAN, plus personne ne trouverait à redire à la vente du Mistral à la Russie). Qu’Halpin écrive ce texte de Moscou, où l’on parle beaucoup de l’affaire Mistral et de sa signification politique, aussi bien dans les milieux occidentaux diplomatiques et d’influence, que dans les milieux russes où certains critiquent cette achat du Mistral, a aussi son importance.

L’intégration de la Russie dans l’OTAN, selon la logique qui la promeut dans ce cas, n’est pas une logique d’ouverture, disons une logique qui impliquerait que l’OTAN devienne un organisme de sécurité paneuropéen selon l’idée de la proposition Medvedev, mais au contraire une logique d’enfermement au profit de l’OTAN. Elle est présentée uniquement en termes de neutralisation de la puissance russe, donc du blocage de sa politique d’indépendance à la réduction de sa politique d’influence. (La Russie dans l’OTAN, argumente Halpin, ne pourra plus poursuivre ses “desseins expansionnistes”, contre la Géorgie, l’Ukraine, etc. – deux pays dont l’intégration dans l’OTAN ne rencontrerait alors plus d’obstacles, mais deviendrait au contraire naturelle. C’est décrire en termes militants et faussaire le vrai projet de réduction de la politique d’indépendance russe.) Dans ce cas, la Russie intégrée dans l’OTAN, c’est la Russie “neutralisée” par l’OTAN, au bénéfice de l’OTAN. Voilà dans tous les cas la logique otanienne et atlantiste à l’œuvre, dont le but est anti-russe par définition, faite pour réduire l’influence de la Russie et organiser une sécurité paneuropéenne centrée autour de l’OTAN. L’idée de “neutralisation” nouveau style vaut même pour l’Europe.

Ainsi avons-nous une description de la riposte qui se prépare aux dernières évolutions favorables (politique US de rapprochement avec la Russie, ouverture de Rasmussen à la Russie), consistant à prendre en compte ces évolutions favorables et à les phagocyter au bénéfice des otaniens et des atlantistes. Mais plus que tout – et la chronologie de la publication de l’article en fonction de ce que sait Hastin renforcent l’interprétation – c’est la politique française avec le Mistral qui est visée. On mesure a contrario l’importance de cette politique, par le grand cas qu’en font ses adversaires.

Plus que tout, la proposition revient à phagocyter la politique d’indépendance française qui se manifeste, en l’incluant de facto dans l’acte général d’intégration de la Russie dans l’OTAN et de phagocytage des nouvelles politiques à l’œuvre. Bien évidemment, il n’est absolument pas évident que les dirigeants français, s’ils lisent ce texte et l’interprètent comme il doit l’être – ce qui serait étonnant – prennent conscience de l’ambition de la manœuvre. Cela n’a qu’une importance mineure.

Même avec la transaction possible du Mistral, ces dirigeants français ne mesurent pas toutes les implications politiques de cette initiative. On a déjà dit qu’à cet égard, les actuels dirigeants politiques français agissent avec une très faible conscience, ou pas de conscience du tout, de la puissante dynamique de la politique naturelle française à l’œuvre. Cela n’a aucune importance et c’est même préférable; s’ils en avaient une réelle conscience, ils s’en effraieraient en découvrant combien cette dynamique est profondément déstabilisante et même déstructurante des schémas otaniens et transatlantiques classiques, y compris de la dérisoire et artificielle politique française de rapprochement avec l’OTAN. La dynamique de la politique naturelle de la France (le rapprochement avec la Russie) les dépasse dans sa signification et ils la servent avec des conceptions faibles et accessoires; l’important est qu’ils la servent, et ils la serviront d’autant mieux qu’ils en ignorent la puissance déstabilisante et déstructurante. Ils sont, inconsciemment et “à l’insu de leur plein gré”, des pions de cette dynamique puissante, des “pions maistriens” si l’on veut.

L’article d’Harpin a la vertu de mettre les choses encore plus au net. Elle a l’avantage de nous montrer combien le parti otanien et atlantiste, pour voir dans l’entrée de la Russie de l’OTAN (“ce que tu ne peux étouffer, tu l’embrasses”) une mesure avantageuse à leur parti, est sur la défensive, sinon en déroute avec les derniers prolongements des relations avec la Russie. (D’ailleurs et en effet, même avec la Russie dans l’OTAN, qui sait si ce n’est pas l’OTAN qui, au contraire, ne serait pas phagocytée, notamment avec les axes puissants – franco-russe, par exemple – qui se formeraient en son sein de l’OTAN, contre le parti otanien et atlantiste?)

Il y a aujourd’hui à l’œuvre un très fort courant de déstabilisation et de déstructuration du parti atlantiste. C’est une situation très intéressante, qui découle des chocs successifs qu’a subis ce parti, notamment depuis la crise géorgienne et la crise financière. Même les USA, avec leur tendance au repli, sont loin d’être acquis au soutien de ce parti. Dans ce cadre, le rôle de la France, en dépit des Français, est primordial et déjà à l’œuvre – notamment par l’intermédiaire du Mistral. On peut mesurer une fois de plus, à cette occasion, la force et la puissance du “poids des armes” dans les grands courants de recomposition en cours, notamment et paradoxalement, contre le complexe militaro-industriel US lui-même (qui ne suffit plus désormais à influencer complètement la politique US et a sa propre politique), qui, bien entendu, soutient à fond le parti otanien et atlantiste dans ce cas.


Mis en ligne le 3 octobre 2009 à 07H22