Contre le “fou de Libye”, avec notre allié al Qaïda…

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Possible partenaire intéressant de la “coalition of the willing” (en français texto), démocratique et anti-Kadhafi, réunie ce jour à Paris, mais partenaire pourtant pas invité : al Qaïda soi-même. Ainsi nous le précise Richard Spencer, du Daily Telegraph, ce 18 mars 2011.

Spencer donne nombre de détails précis et convaincants, qui ne feront sans doute l’objet d’aucune publicité excessive dans nos chancelleries. BHL, qui a momentanément égaré le numéro de téléphone de l’ambassade israélienne, s’interroge quelques secondes sur la signification de cette étrange expression, “al Qaïda”, puis il passe aux petits fours.

Le court texte de Spencer mérite d’être cité de façon substantielle. On remarquera qu’il s’appuie notamment sur un Wiki-cable qui est parvenu spécifiquement au Telegraph . Cela montre l’intérêt durable de la crise WikiLeaks-Cablerange et le choix judicieux qui est fait de la destination des fuites qui se poursuivent. Ce dernier point concerne le Telegraph, qui soutient du bout de la plume l’intervention autorisée par l’ONU, montre une certaine prudence vis-à-vis d’une situation de type imbroglio où les divers partis se trouvent fort souvent dans des positions étranges, les uns et les autres avec des partenaires étranges. Le Telegraph, proche de la fraction neocon qui se méfie du mouvement “révolutionnaire” actuel, à l’image de l’analyse qu’en fait Israël, trouve qu’on fait la part trop belle à l’ivresse de la démocratisation au Moyen-Orient, avec notamment le risque que les islamistes noyautent tel ou tel mouvement de démocratisation à leur avantage. Il faut rappeler que certains régimes arabes, de fort mauvaise réputation certes, comme l’Algérie et la Syrie, ne cachent pas qu’ils livrent des armes à Kadhafi parce que leur conviction est que le mouvement anti-Kadhafi contient effectivement des éléments islamiques dangereux. (BHL, lui, avait montré en février, avec les amis Adler et Glucksmann, une grande réticence face au mouvement général anti-Moubarak, justement à cause de cette hypothèque islamiste. Il avait encore, à cette époque, dans son carnet d’adresse, le numéro de téléphone de l’ambassade d’Israël. Par conséquent, il est probable qu’il le retrouvera.)

»WikiLeaks cables, independent analysts and reporters have all identified supporters of Islamist causes among the opposition to Col Gaddafi's regime, particularly in the towns of Benghazi and Dernah. An al-Qaeda leader of Libyan origin, Abu Yahya al-Libi, released a statement backing the insurrection a week ago, while Yusuf Qaradawi, the Qatar-based, Muslim Brotherhood-linked theologian issued a fatwa authorising Col Gaddafi's military entourage to assassinate him.

»But they also agree that the leading roles in the revolution are played by a similar cross-section of society as that in Egypt next door – liberals, nationalists, those with personal experience of regime brutality and Islamists who subscribe to democratic principles.

»The WikiLeaks cables, initially revealed by The Daily Telegraph and dating from 2008, identified Dernah in particular as a breeding ground for fighters in a number of causes, including Afghanistan and Iraq. ”The unemployed, disfranchised young men of eastern Libya have nothing to lose and are therefore willing to sacrifice themselves for something greater than themselves by engaging in extremism in the name of religion,” the cables quoted a Dernah businessman as saying.

»Col Gaddafi has pinpointed the rebels in Dernah as being led by an al-Qaeda cell that has declared the town an Islamic emirate. The regime also casts blame on hundreds of members of the Libyan Islamist Fighting Group released since the group renounced violence two years ago. Although said by the regime to be affiliated to al-Qaeda, most LIFG members have focused only on promoting sharia law in Libya, rejecting a worldwide “jihad”.

»The man running Dernah's defences, Abdelkarim al-Hasadi, was arrested by US forces in Afghanistan in 2002, but says he does not support a Taliban-like state. The rebels' political leadership there says it is secular.»

Que déduire de ces précisions qui ont, répétons-le, une certaine solidité ? (Bien sûr, il faut préciser qu’il ne s’agit évidemment pas des premiers bruits dans ce sens, concernant al Qaïda en Libye. Mais les précisions sont effectivement importantes, et aussi la publication dans un quotidien comme le Daily Telegraph.) Premièrement, elles ne déparent certainement pas l’impression de flou général et artistique qui entoure le sens politique précis du mouvement “révolutionnaire” qui balaie le Maghreb et le Moyen-Orient depuis décembre 2010. Deuxièmement, cela ne fait pas pour autant de ces indications sur la présence possible ou probable d’islamistes, voire d’éléments d’Al Qaïda, des signes de la nécessité d’une alarme si extrême qu’il faille renverser le jugement général qui conforte nos âmes vertueuses et couvrir d’opprobre ce mouvement anti-Kadhafi. Ce dernier point, essentiellement parce que l’ampleur de la menace et de l’influence représentées par al Qaïda, ou ce qui se pare du nom d’al Qaïda, nous paraît toujours aussi suspecte aujourd’hui qu’hier (en 2001-2002), dans l’importance apocalyptique qu’on lui accorde, en considération de la part considérable de montage des diverses officines américanistes-occidentalistes dans la représentation manipulée de la puissance et de la capacité d’action de ce mouvement.

Troisièmement, d’une façon plus générale, nous nous en tenons plus que jamais au jugement que l’essentiel dans ce mouvement que nous qualifions de “chaîne crisique” est dans sa capacité de déstructuration de l’ordre existant dans la zone, qui est l’enfant incontestable du Système. Qu’une composante d’al Qaïda participe éventuellement à la chose, qu’al Qaïda soit un montage plus ou moins considérable, nous importent peu pourvu que la chose (le mouvement de déstructuration) ait lieu. Que des dirigeants politiques américanistes-occidentalistes, qui ne peuvent avoir d’autres conceptions que celle de la défense du Système, notamment contre des forces comme celle d’al Qaïda présentées pour l’occasion comme gigantesques, se trouvent du côté d’un mouvement où se trouveraient des gens d’al Qaïda, et mouvement objectivement déstructurant de l’ordre existant du Système (notamment par l’effet principal des pressions et attaques contre Kadhafi, dans la perception général qu’on a de la chaîne crisique), – cette contradiction à plusieurs volets, ou “chaîne de contradictions” après tout, n’a rien pour nous surprendre ni pour nous alarmer tant la confusion et le désordre sont les caractères essentiels des jugements des héros (nos dirigeants politiques) de cette aventure.

Quatrièmement, et c’est le dernier point qui reprend la phrase précédente en nous fournissant ainsi un remarquable enchaînement. La poussée de la “coalition of the willing”, le vote contre l’ONU, l’attaque en cours de préparation contre Kadhafi, ne répondent à aucun plan préconçu, à aucune vision construite, à aucune machination élaborée contre un homme “qui en sait trop”. (Tout dirigeant dans les réseaux du Système aujourd’hui “en sait trop” sur tout le monde, comme tout le monde “en sait trop” sur lui-même ; tout cela donnant des opportunités de scandales qui ne valent guère puisque ces scandales sont entachés de cette complicité générale où tout le monde a intérêt à dissimuler, ou dans tous les cas discréditer, y compris par des mauvaises réputations sur l’état de l’équilibre mental d’éventuels “donneurs”, ce que chacun peut avoir à dire sur le compte de chacun)… Plus platement, la poussée de la “coalition of the willing” répond par conséquent à des impulsions de communication où la part de perroquets maquillés comme BHL n’est pas sans importance, avec des intérêts divers et particuliers en supplément (la position pré-électorale de Sarko qu’il faut redresser). La seule vertu essentielle qu’on puisse trouver aux durs de la coalition est justement dans cet aveuglement vis-à-vis des conditions réelles de la crise, laquelle crise répond à des courants beaucoup plus hauts que la simple pensée qu’on doit tout de même qualifier d’“humaine” de dirigeants politiques dont le jugement politique est réduit aux avatars quotidiens de ce qu’on nomme l’“écume des jours”. L’essentiel est alors que la logique de ces courants est de type déstructurant et s’exerce contre l’ordre du Système.

Pour le reste et en fonction de tout ce qui précède, l’hypothèse d’une chute de Kadhafi implique l’hypothèse secondaire que la situation qui s’installerait en Libye restituerait un certain désordre dont les affirmations sur la présence d’al Qaïda sont un signe avant-coureur (et auquel les désaccords inévitables entre les amis de la “coalition of the willing” ne manqueraient pas de contribuer) ; là aussi, rien à redire, puisque ce “certain désordre” poursuit le travail de déstructuration qui nous intéresse, le contraire étant l’établissement d’un ordre se référant à l’ordre américaniste-occidentaliste qui servirait, sous une autre forme, les intérêts du Système. Plus que jamais, notre intérêt est pour le rythme et la dynamique de la chaîne crisique avec leur caractère déstructurant, nullement pour le sens qu’on voudrait lui trouver, qui aboutirait dans les circonstances présentes qui sont toujours contraintes, à une restauration d’une façon ou l’autre de l’ordre du Système.

En un mot de conclusion, nous préciserons que nos observations ne concernent certainement pas, stricto sensu, les conditions de la perspective d’une “guerre”, dont l’ampleur reste à voir et qui est de toutes les façons déjà en cours, la “coalition of the willing” ne faisant qu’y intervenir éventuellement et ne la déclenchant nullement. Il nous importe avant tout d’élargir le champ de nos propos, et nos observations concernent donc plutôt, dans notre chef et selon notre opinion dans tous les cas, la multiplication des points de désordre (un “certain désordre”) rendant toujours plus difficile de restaurer par le fer et par le feu (par la guerre, justement) un ordre favorable au Système sous une autre forme et avec les dissimulations qui font l’affaire (la “démocratisation” arrangée à la sauce-Système en étant une). Les hypothèses sérieuses sur la présence chez les anti-Kadhafi, parmi d’autres éléments qu’on dit beaucoup plus fréquentables, d’al Qaïda ou d’éléments islamistes qui en sont proches au moins pour les conceptions, constituent un facteur de plus pour rendre difficile sinon impossible cette restauration. Il n’est pas nécessaire pour autant de céder à la panique grotesque d’attribuer à l’hypothétique Al Qaïda, selon l’image qu’on en fait, une puissance démoniaque à la mesure des obsessions apocalyptiques que suscitent chez nos dirigeants l’influence du Système. Tout juste peut-on apprécier à leur mesure les paradoxes et les contradictions assez ironiques, et dans tous les cas révélateurs, qui marquent les regroupements et les “alliances” ad hoc de ce désordre considérable où se débat cette civilisation encapsulée dans son Système.


Mis en ligne le 19 mars 2011 à 11H11

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