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68019 décembre 2009 — Le sommet de Copenhague s’est terminé à l’image de l’état du monde, qu’il s’agisse de la politique des hommes dans le monde ou de l’environnement du monde que l’“idéal de puissance” qui conduit notre système a créé. C’est la querelle politique qui a dominé la fin de la conférence mais elle n’a fait que refléter le chaos du monde plongé dans une crise sans précédent.
Si l’on veut hiérarchiser les événements, on observera que le principal d’entre eux fut une sorte de tentative de “coup d’Etat mondial” opéré par le président Barack Obama pour imposer au reste du monde le leadership non seulement déclinant des USA, mais aujourd’hui absolument vide de sens. On trouve dans le rapport de WSWS.org du 19 décembre 2009 trois paragraphes qui, cités dans le désordre par rapport au texte, résument cette tentative et son échec. On y trouve notamment l’épisode d’Obama s’imposant dans une réunion privée de trois pays du BRIC (Brésil, Inde et Chine), puis, avec l’arrivée de l’Afrique du Sud, forçant à un texte pour l’imposer au reste en proclamant que ce chiffon de papier sans substance constituait “a meaningful and unprecedented breakthrough”.
• Le “coup d’Etat”… «A final incident reportedly took place Friday evening, when Chinese, Indian and Brazilian leaders were in a private meeting and Obama barged in, declaring that he didn’t want them negotiating in secret. The South African representative also joined these talks, which led to the agreement on a draft “accord” to be submitted to the whole conference for ratification.»
• Les enseignements d’un “coup d’Etat” d’opérette tragique et dérisoire, tentant de ressusciter un temps révolu de l’hégémonie US… «The hectic meetings and maneuvers of the conference’s final day demonstrated two incontrovertible facts of 21st century world politics: the intensifying struggle among all the world’s capitalist states, whose conflicting economic interests make any unified response to the threat of global warming impossible; and the declining power of American imperialism in particular, which was unable to impose its will at Copenhagen.»
• Les conditions effectivement extraordinaires du “coup d’Etat” prétendant réduire le reste à la volonté de Washington, et démontrant simplement la complète vanité de cette tentative… «Extraordinarily, not a single European country or the European Union itself was represented in the private talks, although Denmark, the host country, is an EU member, and EU officials played a prominent role in the public functions of the conference. Given the enormous role of the EU countries in world economic activity, and the emission of greenhouse gases, their exclusion demonstrates that the agreement Obama hailed is virtually meaningless.»
D’une façon générale, l’intervention d’Obama (son discours, ses déclarations, ses initiatives) a été fort peu appréciée. Officiellement, on dit qu’elle a frustré les autres pays, officieusement on peut parler pour certains (la Chine, certains pays européens) de “fureur”. L’homme était attendu sur la réputation de magicien postmoderniste et multiculturel que le système de communication officiel du reste du monde a bâtie autour de lui à l’occasion de son élection; il s’y est montré comme un politicien brutal, surtout soucieux de ménager la susceptibilité du Congrès et des groupes de pression aux USA.
Le Guardian du 19 décembre 2009 observe: «Barack Obama emerged from the chaotic final hours of the Copenhagen summit last night having salvaged an agreement for action on global warming – and his own reputation as a politician who can bridge the most challenging of political divides.» Après son intervention qui ressembla surtout à une leçon assénée par un professeur à des élèves turbulents: «But in the absence of any evidence of that commitment the words rang hollow and there was a palpable sense of disappointment in the audience. [Obama] warned African and island countries that the alternative – of no agreement – was worse. Obama's lacklustre speech proved a frustration to a summit that had been looking to him to use his stature on the world stage, and his following among African leaders, to reach an ambitious deal.»
@PAYANT Parlant de “chaos”, on veut signifier qu’aucune réelle ligne de force ne peut être dégagée de la réunion. On signifie également que les polémiques diverses – celle sur la réalité de la question des émissions de CO2, celle sur les efforts à faire selon les régions et les degrés de développement, etc. – se sont trouvées intégrées en un désordre général qui est l’exact reflet de l’état du monde. Les contradictions sont à mesure, entre la lutte contre le saccage extraordinaire de l’environnement du monde par un système en crise, et la recherche d’une solution absurde à cette crise du système, en rétablissant et en accélérant le fonctionnement du même système, donc du saccage du monde.
Il y a eu effectivement à Copenhague un événement remarquable et intéressant. Lorsque, se laissant emporter par sa fougue trotskiste, WSWS.org parle de «the intensifying struggle among all the world’s capitalist state» (souligné par nous), il établit un distingo qui n’a plus aucune raison d’être. Comme nous le remarquions le 18 décembre 2009 dans la rubrique Bloc-Notes, il n’y a pas autre chose aujourd’hui qu’un système général et global, qu’on peut effectivement qualifier de “capitaliste” si l’on veut donner un semblant d’ordre à la chose. Raisonner à cet égard en fonction de conceptions d’affrontement entre le capitalisme et quelque chose d’autre (quoi? Le socialisme? Le trotskisme?) n’a plus guère de sens et, surtout, conduit à des réflexions faussées qui conduisent elles-mêmes à des conclusions involontairement faussaires. Même l’absence des Européens de la “réunion à 5” organisée impromptue par Obama n’a aucune signification politique, y compris pour ceux qui y verraient une fois de plus un “déclin” de l’influence de l’Europe. D’ailleurs, lors de cette “réunion à 5”, certains dirigeants importants avaient déjà quitté la conférence, ce qui mesure encore plus l’absence complète de signification politique cohérente de cette réunion autant que de la conférence.
C’est aujourd’hui un seul système qui se bat contre les propres catastrophes qu’il engendre, avec, en son sein, différents degrés d’insatisfactions (plutôt que de parler de “différents degrés de satisfaction”) et de difficultés économiques et environnementales. Nous n’assistons pas à des affrontements d’Etats, de groupes d’Etats ou de conceptions, mais à une guerre civile mondiale qui se déroule entre les différents pouvoirs, les différents intérêts, les différentes perceptions, les différents canaux de communication. Comme nous l’écrivions le 15 décembre 2009: «Nous ne sommes pas dans une “période pré-révolutionnaire”, nous sommes au cœur de la Révolution, en pleine révolution, en cours, sous nos yeux, en général paresseux ou fermés – une révolution absolument déchaînée.»
BHO ne s’est pas révélé “tel qu’il est en réalité”, il s’est montré tel qu’il est obligé d’être désormais, en fonction de la situation où il a lui-même accepté d’être mis. Son intérêt central n’était pas principalement de réaffirmer le leadership du monde que les USA n’ont plus, d’ailleurs que personne ne supporte plus ni n’accepte, mais de manœuvrer de façon à ne pas trop exciter les forces et centre de pouvoir à Washington, au Congrès, dans les bureaucraties washingtoniennes, etc. BHO est désormais un président assiégé dans sa propre capitale et tout ce qu’il fait hors les murs l’est en fonction de ce siège où il est enfermé.
Il n’y a donc plus de leadership US mais des manières brutales, violentes, la réputation de la moindre absence de retenue dans la brutalité et dans la violence des USA, pour tenter encore d’occuper épisodiquement une place qui est ainsi totalement usurpée — et, bien entendu, totalement inopérante («…the declining power of American imperialism in particular, which was unable to impose its will»). Certains ne se cachent même plus pour démontrer cette situation; lorsque le président chinois envoie son Premier ministre à une réunion “convoquée” par Obama; lorsque le Russe Medvedev est déjà en avion vers Moscou et le Japonais Hatoyama sur la route (enneigée) de l’aéroport de Copenhague pour prendre son avion vers Tokyo, alors que la “conférence” à 5 “kidnappée” par Obama n’est pas encore terminée, et la conférence encore moins.
(Très important, ceci: ces gens ont même raté leur “photos de famille” post-sommet immortalisant pour les circuits-Pravda la bonne marche du monde, du système, de ses dirigeants et de tout le saint-frusquin. L’absence de cet événement considérable marque, encore plus que le reste peut-être dans sa dérision proche de l’absolu, la pente d’effondrement que le système est en train de suivre.)
Le leadership US est mort et il est à l’image – selon l’image justement qu’il projette de lui – du système qu’il a si puissamment aidé à mettre en place: au « stade schizophrénique d’une situation parallèle extraordinaire de puissance absolue et d’impuissance absolue». Il ne peut donc y avoir ni succession ni pouvoir partagé ou autre fine formule du genre (G2, G1 et demi ou ce qu’il vous plaira – “G zéro” même, pourquoi pas?). Il ne peut y avoir que le désordre et le chaos grandissants, sous la baguette désormais expérimentée dans ces matières des USA. L’issue n’est pas la succession, voire même la succession brutale par un autre que les USA, mais la rupture – à la fois celle des USA et celle du système lui-même. Ce n’est ni une espérance ni une crainte, ni même une prévision savante, c’est une fatalité avec laquelle il va falloir faire.
Par ailleurs, puisque tout cela s’est passé à Copenhague autour de la question de la crise environnementale, tout cela s’est donc passé sur le fond écrasant et désormais bruyant de la crise de l’antagonisme mortel entre le système de l’“idéal de la puissance” et l’équilibre du monde. C’est bien là l’enjeu, et pas du tout, vraiment pas du tout, la question de la responsabilité de l’émission de CO2 et tout ce qui va avec, toutes ces polémiques des pour et contre qui n’ont comme effets que d’attirer irrésistiblement vers le bas la mesure de la profondeur et de l’amplitude d’une crise absolument et doublement eschatologique. (Les crises du système devenu incontrôlable et du saccage du monde à cause de l’action du système sont également eschatologiques.) Cette contradiction entre le système et le monde marquée à la fois par la crise du système et la destruction de l’environnement du monde grandit d’autant la crise de l’américanisme, puisque, évidemment, la contradiction elle-même résume la crise de l’américanisme.
Ce qu’a montré Copenhague, outre le chaos du monde et la perdition du leadership US dans sa caricature de lui-même, c’est la convergence extrêmement rapide de la grande crise du système et de la grande crise environnementale. La question centrale, déjà évoquée plus haut, est donc plus que jamais posée, et elle hurle à nos oreilles: comment un système pourrait-il résoudre la crise du monde où il s’est installé et qu’il a prétendu annexer, sinon modeler à son image, alors que son propre fonctionnement est la cause directe de cette crise du monde? Ce ne sont pas des manipulations de calculettes sur le poids et l’effet des émissions de CO2 qui changeront grand’chose à cet énoncé absolument tragique.
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