Coup d’État entre vous & moi

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Coup d’État entre vous & moi

La situation aux USA est, quoi qu’il en coûte aux bonnes âmes qui y voient des signes d’allégresse de la libération des peuples et de l’antiracisme, égale dans l’esprit, à la fois en aspect bouffe et en dimension tragique (tragédie-bouffe), ce que fut et ce qu’est toujours ce que nous nommons “D.C.-la-folle” depuis l’élection de Trump. Aucun des acteurs connus ou anonymes ne laisse le moindre espoir que les choses puissent retrouver un semblant de mesure et de structuration, aucun programme n’est présenté qui laisse à penser qu’il pourrait y avoir un “après” appréhendé par ceux qui aurait créé un événement tel qu’on en attendrait effectivement et impérativement “après”. On dira ainsi que l’événement est marqué par une irresponsabilité totale de la part de tous les participants, ce qui implique une impréparation structurelle totale même si des acteurs ou des groupes ont rassemblé plusieurs catégories de poudres pour mettre “le feu aux poudres”.

(On dira bien entendu que l’événement à l’origine, selon la version la plus généralement reprise, – la mort de George Floyd, tué par l’officier de police de Minneapolis Derek Chauvin, – était complètement inattendu. Par contre, et c’est ce qui nous importe, l’idée du renversement de Trump, d’un coup de force contre Trump, l’idée de ce qu’on nomme une “color revolution” aux USA flotte dans les airs depuis pratiquement l’élection de Trump.)

Même notre source favorite et paradoxale pour certaines affaires, le site trotskiste WSWS.org, se laisse emporter comme un torrent par le lyrisme furieux, incorruptible et révolutionnaire propre au grand Léon de cette tribu. Le texte qu’il présente est dénué de toute mesure, de tout réalisme, et il épouse les narrative les plus extrêmes sinon les plus hollywoodiennes, – un comble, pour ce site.

Pour WSWS.org, c’est un coup d’État “en douce”, soft (à peine, d'ailleurs), qui vient de se dérouler, dans le chef du président Trump et des militaires, essentiellement du fait des prises de position de Trump durant le week-end. Un extrait du texte prenant la forme d’une déclaration solennelle du Parti de l'Égalité Socialiste (trotskiste) nous expose l’interprétation trotskiste des événements et nous donne une idée du ton. Le texte a été publié hier (en anglais), aujourd’hui  en français ; c’est bien sûr la version française que nous sollicitons, le fond et la forme du texte restant complètement valables et fondamentales aux yeux de ses auteurs qui expriment la vision “gauchiste” à prétention antiSystème de la situation sous le titre de « Coup d’État à Washington : Trump déclare la guerre à la Constitution ».

« Dans un acte sans précédent dans l’histoire américaine, Donald Trump a répudié la Constitution et tente d’instaurer une dictature présidentielle, soutenue par l’armée, la police et les milices fascistes d’extrême droite qui agissent sous son commandement. Le Parti de l’égalité socialiste appelle la classe ouvrière et tous ceux qui sont engagés dans la défense des droits démocratiques à s’opposer à cet acte criminel.
» S’exprimant à la télévision nationale, Trump a proclamé “Je suis votre président de l’ordre public… Notre nation a été prise d’assaut par des anarchistes professionnels, des pyromanes, des pillards, des criminels, Antifa et d’autres”.
» Trump a tenu sa diatribe fasciste seulement quelques minutes après avoir ordonné à une police militaire massivement armée de lancer une attaque violente contre des citoyens participant à une assemblée légale et pacifique devant la Maison Blanche pour protester contre le meurtre de George Floyd du fait de la police.
» Cette attaque lâche et virulente de forces militaires contre des citoyens non armés exerçant leurs droits au titre du premier amendement à Washington DC restera dans la mémoire, marquée par l’infamie, comme le début d’un coup d’État d’un gouvernement criminel.
» “Ce ne sont pas là des actes de protestation pacifique”, a-t-il ajouté, “Ce sont des actes de terreur intérieure”.
» Trump se met dans une grande fureur contre la plus importante manifestation d’unité multiraciale et multiethnique de travailleurs et de jeunes contre la violence policière raciste de l’histoire des États-Unis.
» Il a déclaré qu’il allait déployer l’armée, en violation de la Constitution, pour réprimer les manifestations. En parlant d’une conférence téléphonique avec les gouverneurs tenue plus tôt dans la journée, il a déclaré qu’“un certain nombre d’États et de collectivités locales n’ont pas pris les mesures nécessaires”, et qu’il avait “fortement recommandé” qu’ils “déploient la Garde nationale en nombre suffisant pour que nous dominions la rue”.
» Il a ensuite lancé cette menace criminelle : “Si une ville ou un État refuse de prendre les mesures nécessaires pour défendre la vie et la propriété de ses habitants, alors je déploierai l’armée américaine et je résoudrai rapidement le problème pour eux”.
» Trump a annoncé qu’il utilisait la capitale du pays comme base pour un déploiement militaire national : “Je prends également des mesures rapides et décisives pour protéger notre grande capitale, Washington D.C. Au moment où nous parlons, j’envoie des milliers et des milliers de soldats lourdement armés, du personnel militaire et des forces de l’ordre faire cesser les émeutes”.
» Il a déclaré que les manifestants “seront arrêtés, détenus et poursuivis avec toute la rigueur de la loi. Je veux que les organisateurs de cette terreur soient informés qu’ils risquent des sanctions pénales sévères et de longues peines de prison. Cela inclut Antifa et d’autres qui sont les principaux instigateurs de cette violence. La loi et l’ordre sont ce qu’ils sont. Une loi, nous avons une belle loi”.
» Ce sont là les menaces d’un futur dictateur militaire de pacotille. Trump n’a fourni aucune base légale ou constitutionnelle pour ses actions sans précédent. Son invocation de la loi sur l’insurrection de 1807 est historiquement frauduleuse et juridiquement nulle. Cette loi ne lui permet pas de déployer l’armée dans le cas où les gouverneurs des États refusent de demander une intervention...
» Lors de son entretien précédent avec les gouverneurs, Trump leur avait demandé de réprimer violemment les manifestations contre la violence policière. “C’est un mouvement, et si vous ne le réprimez pas, il va s’aggraver de plus en plus. Vous devez dominer, et si vous ne dominez pas, vous perdez votre temps. Ils vous passeront sur le corps, et vous aurez l’air d’une bande d’imbéciles”.
» Trump a qualifié les gouverneurs de “faibles” pour n’avoir pas réussi à mobiliser des dizaines de milliers de gardes nationaux contre les manifestants, disant qu’ils devaient “les éliminer[les manifestants]. »

Aujourd’hui, le même site qui représente si bien dans ce cas l’extrémisme gauchiste habillé élégamment d’un simulacre d’antiSystème qu’il dénonce très souvent et avec justesse chez d’autres, attaque férocement les démocrates pour leur quasi-alignement sur Trump, simplement en ne dénonçant pas le “coup d’État en douce” du président tel qu’il est décrit ci-dessus. Effectivement, les démocrates, qui font partie du Système comme les autres, ont choisi une ligne de conduite évidemment moyenne, dénonçant la violence d’un côté et de l’autre, et s’élevant contre les actes de destruction illégaux (pillages, incendies, etc.) autant que contre les brutalités policières. A toutes les exigences des “protestataires”, y compris et surtout les Africains-Américains, les démocrates répondent, comme le fait Hillary Clinton à leur intention, par cette objurgation : “Votez !” (pour les démocrates, pour moi, contre Trump). Dans d’autres temps, la foule répondait en scandant « Élections, piège à cons », et l’on n’a pas fait beaucoup de progrès depuis. Les démocrates, qui sont corrompus et impotents jusqu’à la moelle, sont parfaitement dans leur rôle de tenter à tout prix de ne pas se couper de l’option “la loi et l’ordre” tout en conservant leur électorat progressiste, face à Trump qui joue son jeu comme il se doit et sans surprise, en suivant à ciel ouvert et à gorge déployée bien entendu la même option de “la loi et l’ordre” très populaire dans son électorat (et plus largement chez une solide majorité des citoyens américains,  qui sont 58%  à souhaiter l’intervention des militaires, contre 30% qui y sont défavorables).

Il n’y a dans tout cela rien de nouveau, rien d’édifiant, rien qui nécessite un commentaire particulier. Non plus que les nombreux signes et actes divers indiquant qu’il  existe évidemment des groupes activistes clandestins à l’œuvre pour exploiter selon leurs desseins le mouvement général qui a embrasé les États-Unis. 

Le texte insiste sur l’“héroïsme” des manifestants (désignés “protestataires“ en langage-PC, sans aucune discrimination, – ce qui est [l’absence de discrimination] une indication précieuse. Faudra-t-il considérer comme “héroïque” l’acte commis contre l’officier de police à la retraite (77 ans), le capitaine  David Dorn, Africain-Américain comme l’on dit, qui avait rempilé pour intervenir et tenter de calmer les affrontements à Saint-Louis, et qui a été abattu par un “protestataire” occupé à piller un magasin ? CNN et d’autres du même tonneau n’ont pas jugé utile de s’attarder trop longuement à cette affaire, si caractéristique de ce genre d’événements qui constitue une sorte de “fabrique de la majorité morale et progressiste”, comme on dit et fait “fabrique du consentement”..

 L’exaltation révolutionnaire, antiraciste et prétendument (quant à l’effet indirect) anticapitaliste, n’est pas toujours bonne conseillère parce qu’elle se transmue nécessairement, par les simulacres qu’elle doit élaborer pour demeurer dans sa logique, en un  affectivisme  dont la fausseté, la grossièreté, l’illusionnisme deviennent très, très vite, complètement insupportables, jusqu’à la nausée un peu comme certains passage du texte cité, par rapport aux faits et aux actes que ces simulacres prétendent représenter. 

C’est-à-dire qu’il nous paraît extrêmement difficile de prendre une position nette dans cette observation de ce flux d’événements extraordinaire, de leur trouver un sens politique et “rationnel” qui permette un jugement assuré séparant le bon grain de l’ivraie, – sinon à tout sacrifier à cette  raison-subvertie [pléonasme ?] s’ébrouant dans le simulacre et objet de la vindicte rafraîchissante d’un Pascal (« Que j’aime à voir cette superbe raison humiliée et suppliante »). Il est encore plus surprenant d’observer des démarches selon lesquelles, sans dire le sens qu’on peut donner à ces événements, des commentateurs estiment qu’il y a certainement un sens dans ces événements. Le non-sens habite systématiquement les proclamations ou tendances en action, que ce soit celles qui réclament “la fin du racisme” et “plus de justice”, comme si l’on pouvait espérer des résultats définis par des généralités théoriques aussi vagues ; que ce soit celles des groupes extrémistes, dont les buts proclamés de destruction totale, de déconstruction, ne sont justifiés par aucune ambition positive ou constructive qui soit atteignable dans le seul cadre structurel des USA où s’effectuent ces actions, et le plus souvent argumentés sur des notions très précisément nihilistes. (Par exemple, dans le mouvement des droits civiques des années1950-1960, il y avait des objectifs concrets, comme la fin de la discrimination raciale qui constituait une réalité opérationnelle de tous les jours. De même, les mouvements extrémistes offraient comme but le séparatisme et la sécession, comme les groupes du type Malcolm X ; qu’il s’agisse d’une utopie n’est pas un argument ni même une certitude, et dans tous les cas c’est un objectif opérationnel.)

On en conclut à ce point que le seul facteur qui se trouve favorisé par les événements, d’une manière assurée, c’est le désordre (« American-Khàos »), la déconstruction sans autre préoccupation que de déconstruire, même si c’est pour le meilleur des propos (dans les têtes de linottes qui inspirent les slogans et les vertus politiques des milliardaires progressistes, si nombreux et si plantureux). Nous ne nous en plaindrons pas, car le chemin du désordre-khàos doit être parcouru pour mener à bien l’effondrement du Système.

Tout juste, – simple indication pratique confirmant  une tendance, – notera-t-on l’exacerbation sourde des oppositions d’autorité entre le président et nombre de gouverneurs des États, notamment ceux qui refusent la possibilité d’une intervention militaire. De ce côté, Trump, qui s’est baladé lundi soir  dans quelques rues hautement sécurisées de Washington D.C.  en bonne compagnie  du secrétaire à la défense Esper et du président du Comité des Chefs d’État-Major, le général Milley, ne cache pas qu’il s’appuie de tout son poids sur les militaires et sur le Pentagone.

 

Mis en ligne le 3 juin 2020 à 15H58