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704On sait que, pour Washington et le Pentagone, la guerre en Irak est une affaire en voie d’être classée pour ce qui concerne sa signification politique et sa représentation historique. Le “surge” du général Petraeus a porté ses fruits et le vilain chaos irakien s’est transformé en un après-guerre idyllique d’une “bonne guerre”, une réussite remarquable de l’art militaire et du moralisme américanistes. Désormais, l’Irak est en passe d’être présenté comme un “modèle” de guerre. La presse officielle US, ce quatrième pouvoir et gardien de la liberté d’opinion et d’information, n’est pas vraiment contre cette version. L’Irak a disparu des écrans radar et des premières pages des grands quotidiens qui sont le modèle de la déontologie journalistique occidentale. Fin de période.
Là-dessus, il n’est pas inintéressant qu’un journaliste du calibre de Patrick Cockburn nous rappelle de temps en temps à la réalité. Cockburn est spécialisé dans la couverture des événements irakiens et il possède dans ce pays d’excellents contacts hors des réseaux officiels, ce qui lui permet de remettre régulièrement les pendules à l’heure, – travail nécessaire de tous les instants. Cela donne deux articles publiés aujourd’hui dans The Independent, édifiants à tous égards.
• Le premier texte rapporte une rencontre de Cockburn avec Abu Marouf, chef d’une tribu sunnite de 13.000 combattants qui affirme tenir aujourd’hui le “triangle de la mort”, cette zone entre Falloujah et Bagdad au sud-ouest de la capitale. Marouf ne s’est pas rallié aux USA, il a choisi l’année dernière d’achever de retourner ses forces contre Al Qaïda (qu’il combattait déjà) avec le soutien US. (En général, les USA payent $400 et $1.200 respectivement de salaire mensuel pour les soldats et les officiers de Marouf.) Mais il se trouve que Marouf commence à perdre patience.
«A crucial Iraqi ally of the United States in its recent successes in the country is threatening to withdraw his support and allow al-Qa'ida to return if his fighters are not incorporated into the Iraqi army and police.
»“If there is no change in three months there will be war again,” said Abu Marouf, the commander of 13,000 fighters who formerly fought the Americans. He and his men switched sides last year to battle al-Qa'ida and defeated it in its main stronghold in and around Fallujah.
»“If the Americans think they can use us to crush al-Qa'ida and then push us to one side, they are mistaken,” Abu Marouf told The Independent in an interview in a scantily furnished villa beside an abandoned cemetery near the village of Khandari outside Fallujah. He said that all he and his tribal following had to do was stand aside and al-Qa'ida's fighters would automatically come back. If they did so he might have to ally himself to a resurgent al-Qa'ida in order to “protect myself and my men”.»
• Le second texte rapporte une description de la situation à Falloujah (où Cockburn vient de se rendre), qui fut le théâtre de deux batailles féroces en avril et en novembre 2004 et dont il fut encore question récemment. Falloujah reste aujourd’hui encore, près de quatre ans après les batailles pour son contrôle, une ville en état de siège, complètement bouclée.
«Fallujah is more difficult to enter than any city in the world. On the road from Baghdad I counted 27 checkpoints, all manned by well-armed soldiers and police. “The siege is total” says Dr Kamal in Fallujah Hospital as he grimly lists his needs, which include everything from drugs and oxygen to electricity and clean water.
(…)
»Its streets, with walls pock-marked with bullets and buildings reduced to a heap of concrete slabs, still look as if the fighting had finished only a few weeks ago.
»I went to look at the old bridge over the Euphrates from whose steel girders Fallujans had hanged the burnt bodies of two American private security men killed by guerrillas – the incident that sparked the first battle of Fallujah. The single-lane bridge is still there, overlooked by the remains of a bombed or shelled building whose smashed roof overhangs the street and concrete slabs are held in place by rusty iron mesh.»
Impression générale sans étonnement nécessaire. La réduction des violences en Irak est directement liée au désengagement américaniste du contrôle du pays, grâce à l’établissement sonnant et trébuchant d’“alliances” avec les forces actives sur le terrain. Le travail de reconstruction et de pacification du pays semble laisser les forces US totalement indifférentes, si l’on en juge par l’état des lieux à Falloujah. Il n’y a malheureusement aucune surprise dans tout cela.
La surprise viendrait plutôt de la façon impudente dont la farce virtualiste de la “bonne guerre” et de la “victoire” en Irak, montée autour du “surge” du remarquable soldat qu’est Petraeus, est acceptée avec avidité par tous les composants du système. Il n’y a pas de tromperie ni de propagande nécessaires. Il y a une volonté de ces composants du système, – dont la presse officielle US, sans aucun doute, – d’adhérer au premier montage virtualiste qu’on leur propose. Cette volonté est de l’ordre de la complicité objective et débouche sur une conviction collective qui est la marque du virtualisme. Les affirmations officielles faisant de l’Irak “the good war” sont extrêmement stupéfiantes mais conformes à cette logique. La guerre irakienne ne convenait décidément pas à la représentation que tous ces gens se font de la réalité du monde.
Mis en ligne le 28 janvier 2008 à 10H10