Coup d’œil sur le JSF : Catastrophique et faussaire as usual

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Coup d’œil sur le JSF : Catastrophique et faussaire as usual

Nous parlons moins du JSF, parce que d’autres crises prennent sa place et qu’il s’inscrit lui-même dans la crise plus vaste et à son point de fusion, qui est celle du Pentagone. Comme nous le signalions le 5 août 2013, il y a, selon nous, une complète intégration de la crise du JSF dans la crise du Pentagone, effectivement parvenue à maturation avec le phénomène baroque de la séquestration : «Pour notre propos, on comprend que cette situation, désormais de plus en plus clairement identifiée, intègre complètement la crise du JSF dans la crise du Pentagone. La crise du JSF est la crise du Pentagone : ce programme monstrueux en est le symbole, l’illustration, la clef, l'incitatif décisif, le bourreau, etc., – et tout cela, par rapport au Pentagone, mais aussi par rapport à lui-même. Il semble y avoir bien entendu un lieu faustien entre Moby Dick/Achab et le JSF : ils périront, mais ils périront ensemble, l’un étant cause de la mort de l’autre et vice-versa.»

... Néanmoins, et pour la cohérence de notre démarche générale, et pour nous rappeler au bon souvenir de ce qui fut une de nos sujets favoris, il nous paraît bon de revenir ponctuellement sur le cas du JSF pour vérifier que tout se passe selon le plan prévu. Tout se passe selon le plan prévu.

Cette fois, c’est un rapport de l’Inspecteur Général du Pentagone (IG/DoD), publié le 30 septembre 2013Quality Assurance Assesment of the F-35 Lightning II Program») qui nous le confirme (le plan prévu), et qui est l’occasion de cette attention renouvelée. Diverses publications en ont rendu compte, parce qu’il était difficile de ne pas donner la précision finalement assez sexy, selon laquelle le rapport avait identifié 719 “problèmes” dans le programme JSF. La plupart de ces publications, notamment nombre de sites de défense nouvellement installées ou superbement rénovés, et chargés de publicités de Lockheed Martin, ont fait suivre cette citation du rapport des communiqués de Lockheed Martin (LM) et du JSF Program Office (JPO) que ce travail “très professionnel” de l’IG/DoD datait un peu, qu’il était dépassé parce que la plupart des “problèmes” mis en évidence étaient heureusement résolus. (Voir, par exemple, DefenseOne.com, le 2 octobre 2013 : «Lockheed Martin told ABC News that the IG’s report is “based on data that's more than 16 months old and [a] majority of the Corrective Action Requests identified have been closed.”»)

Le plus intéressant pour notre information réelle est d’aller directement à la source la plus sûre, le réformiste Winslow Wheeler, qui dirige le site interne du Straus Military Reform Program sur le site général POGO, avec lequel le Center of Defense Information (dont le Straus Program est issu) a fusionné. Wheeler est de loin le mieux informé, le plus pertinent et le plus précis des critiques, à la fois du Pentagone et du programme JSF. Il s’intéresse donc, dans son texte du 1er octobre 2013, au rapport du IG/DoD. Wheeler s’attache notamment aux tentatives de falsifications de LM et du JPO, après avoir passé le rapport en revue et constaté bien entendu que le programme JSF est plombé de tous les problèmes possibles et imaginables ... La recommandation de Wheeler est simple et sans surprise : ne croyez pas un mot de ce que dit LM ou le JPO et attendez le prochain rapport de l’IG/DoD pour savoir si ces problèmes sont résolus.

«Since the IG report was published, the Joint Program Office and Lockheed Martin have attempted to argue that most of the findings and recommendations have been addressed, and that the report is, by implication, obsolete. This assertion gives program defenders on Capitol Hill an excuse to dismiss the report, and it ensures that the contention will be included in any news articles to show what modern journalism calls “balance.”

»We will only know what is fixed, or not, when we read a follow-up report from the DOD IG. Self-serving statements from the JPO, let alone Lockheed, cannot be taken seriously unless they are explicitly confirmed by the DOD IG. [...] Indeed, DOD IG audits of the F-35 program should be an annual feature of DOD's largest acquisition program in history, and the reach of the audits should be increased from quality assurance to annual finances. Such auditing should certainly include the confusion described by insiders to exist for the F-35 program in its 2013 and 2014 accounts.»

Dans le cours de son texte, Wheeler rapporte ce qui l’a le plus impressionné dans le rapport : le constat que le travail de surveillance et de vérification du JPO du développement du JSF est épisodique, sinon inexistant dans certains cas. (Citation du rapport  : «The oversight performed by the F-35 Joint Program Office (and the Defense Contract Management Agency) over Lockheed and its subcontractors was narrow, shallow, and sometimes nonexistent.»)

Wheeler commente cette observation du rapport dans le sens du constat que la qualité du travail de LM, l’observation des problèmes du JSF et ses corrections, bref tout ce qui constitue “la vie” du programme, sont laissés à LM lui-même, – réussissant dans une superbe manœuvre de concentration des tâches à être à la fois partie et juge (plutôt que “juge et partie”, pour respecter la chronologie) : «The last bullet is particularly important – and stunning. While we expect government contractors to try to get away with as much as they can, in the case of the F-35, the Joint Program Office (JPO) – the designated agent of the taxpayers and military operators-was not adequately minding the store.

»That point is made painfully clear in the Results in Brief section labeled “Management Comments and Our Response” (and in the body of the report). The JPO told the DOD IG as recently as August 23, 2013 that it was not its job to “ensure contractual compliance to prevent nonconformance” with system requirements or “to update the contract if the requirements are deficient.” Just as amazing was the JPO position that the “independent quality assurance” the IG found that the program lacks was being adequately performed by the Defense Contract Management Agency, the very entity that the IG found “not accountable” for that very task. [...] It's as if the JPO were saying, comprehensive contractor oversight and independent quality assurance are not the JPO's responsibility.»

Manifestement, tous les efforts ont été faites par les forces acquises au JSF et à LM pour, sinon bloquer, du moins retarder la sortie du rapport, avec de multiples contestations internes sur son contenu, avant qu’il ne soit finalement édité à la fin septembre. Cela fait effectivement que son travail d’enquête s’étend sur 16 mois, du printemps 2012 au début septembre 2013. Un article de NBC.News du 2 octobre 2013 précise rapidement ceci : «A draft of the report has been pinging back and forth for months between the inspector general and the Joint Program Office. In the version published Monday, the IG's office said it was asking the F-35’s overseers to try yet again after it disagreed with seven of the 13 responses they sent back to the most recent draft.»

Sans nous attarder aux myriades de détails des divers “problèmes” du JSF passés en revue, on retient à la lecture des commentaires divers sur ce rapport que le programme JSF est totalement retiré de la réalité technologique et budgétaire, et de la réalité tout court d’ailleurs. Depuis les chaudes polémiques des années 2008-2011, LM a réussi à “kidnapper” d’une façon qui semble pour l’instant complètement verrouillée le contrôle du programme, notamment en “kidnappant” quasi-complètement le JPO à son avantage. Le JPO avait été mis en question à partir de 2008, et c’est cette question qui a été abordée de front par Lockheed Martin, qui a réglé le problème à sa façon, – sans aucun doute avec une très grande efficacité. Le groupe a également agi dans ce sens avec nombre de sites de défense sur l’internet, ayant réalisé le danger que constituait ce nouveau moyen de communication pour ses diverses entreprises, et son programme-fanion qu’est le JSF. LM semble avoir été soutenu en tous points par une fraction importante du Pentagone, aussi bien pour le contrôle du JSF lui-même que pour la neutralisation d’une partie des sites d’internet (comme on a pu le voir le 29 juillet 2013, le Pentagone a pris conscience de la puissance d’internet). Enfin, il semble bien que l’USAF, après une période d’hésitation durant ces années 20089-2011, a finalement choisi d’appuyer à fond le JSF, quoi qu’il arrive.

... C’est-à-dire que notre conviction est, plus que jamais, que le JSF se fera, qu’il sera produit, vendu, exactement comme on diffuse un microbe mortel. Il n’est pas temps de geindre sur la puissance financière de LM, sur sa prodigieuse capacité corruptrice, sur son formidable professionnalisme dans l’exercice de construction de narrative, et ainsi de suite. Dans tous ces domaines, les USA et ses divers composants sont évidemment imbattables, et il ne faut surtout pas chercher à les battre mais les encourager au contraire à continuer sur cette voie. Ils fabriqueront leur JSF et le vendront à tous les supplétifs de service (il y a même des généraux français, – on ne vous dit pas le nombre d’étoiles, pour garder le suspense et l’anonymat, – pour regretter que la France n’envisage pas d’acheter du JSF, – tant il est bien vrai que la France-poire a les généraux qu’elle mérite). Ainsi aurons-nous, dans une ou deux décennies, si nous survivons d’ici là et surtout si le Système survit, de beaux alignements de JSF ne servant à rien sinon à meubler les divers I-pods des journalistes en goguette, et JSF “opérationnels” totalement déréglés à la moindre interférence, – et, à cet égard, Russes et Chinois sont parfaitement au courant... (Comme indication référentielle : le taux de disponibilité opérationnelle des F-22 Raptor, que l’USAF se garde bien de rendre public, est actuellement de 34%, proche du désastre absolu, – les Français évoluent entre 95% et 98% avec le Rafale. Le JSF, lui, se contentera de 5%-10% de disponibilité par beau temps, – ce qui n’est pas si mauvais avec le réchauffement climatique, – et sans doute -5% par mauvais temps, quand il pleut sur la belle peinture antiradar et les belles formes furtives...)

Déjà, le 24 mars 2012, nous constations cette situation, où ils fabriqueront le JSF parce que, pour eux, la chute et l’autodestruction agissent comme un instrument fascinatoire irrésistible : «...Au contraire, les autorités sont entrées dans un état d’atonie, où l’on n’observe aucun des signes actifs et positifs des effets d’une dépression. Il y a encore eu, comme il y a encore, des débris de l’épisode maniaque, lorsque l’on apprend que le JSF vole tout de même ou lorsqu’on lance une des innombrables réformes du programme en affirmant que cette fois “c’est la bonne”… Mais rien d’autre, car, on commence à le deviner intuitivement, tous ces gens se trouve au-delà de la seule décision raisonnable, sinon rationnelle, qui est l’abandon (l’amputation du membre gangrené). Ils se trouvent tous sous l’empire du Système, privés de la dynamique salvatrice d’une vision critique de la réalité. Les seuls qui échappent à cette situation sont des fausses exceptions confirmant la vraie règle, comme un McCain, – un McCain attaquant le JSF, évoquant son abandon, pour se conformer à son rôle de “maverick” qui fait partie de son image publique, qui peut être utile dans certains cas, accidentellement, mais qui ne répond en rien à une réaction constructive pouvant créer un courant collectif fécond. Tout cela continue à se dérouler au cœur du Système.

»Le JSF constitue une part essentielle du système du technologisme. De ce fait, il apparaît invincible dans la conformation actuelle du système washingtonien, et il tient prisonniers tous ceux qui sont impliqués dans le processus qui l’affecte, et, plus encore, il tient prisonnier tout l’establishment de sécurité nationale. Nous avons largement dépassé, d’une part, le stade de savoir s’il faudrait ou non l’abandonner, – la réponse est positive, naturellement ; nous avons largement dépassé, d’autre part, la question des intérêts et des profits des divers centres de pouvoir, de l’industrie, des forces, du Congrès, etc. Il s’agit d’une situation radicale d’emprisonnement de l’establishment par la force supérieure que représente le programme JSF et, au-delà, le Système lui-même, fonctionnant sans le moindre doute comme une force autonome. Et le programme JSF, conformément à la transformation de la dynamique de surpuissance en dynamique d’autodestruction du Système, est sur une trajectoire de chute où il tend évidemment à entraîner tous ces pouvoirs et ces forces qu’il a emprisonnés.

»Il s’agit d’autant plus “d’une situation radicale d’emprisonnement de l’establishment par la force supérieure que représente et relaie le programme JSF”, que le JSF lui-même est un prisonnier de cette “force supérieure” du fait qu’il est ce “système de systèmes” dont tout commence à montrer (voir plus haut) qu’il est devenu incontrôlable. Autant il y a un “système de systèmes”, avec des systèmes en cascade, autant il y a, en parfaite correspondance, un “emprisonnement des emprisonnements”, avec des emprisonnements en cascade. Il semble ainsi que l’on parvienne aux confins du processus du “déchaînement de la Matière” dans sa production autodestructrice extrême, au travers du système du technologisme ayant largement dépassé le pic de sa surpuissance extrême pour la chute de son autodestruction. Il semble qu’il n’y ait plus aucun moyen, de “raisonner” le Système, pour ne pas parler d’un contrôle, bien entendu définitivement perdu (s’il fut jamais effectif, hors de nos illusions à ce propos). Dans cette situation, le JSF emprisonne ceux qu’il soumet dans la destruction de toutes les structures et de tous les principes qui déterminent ces structures. De ce point de vue, le JSF est bien le double négatif du Rafale, selon l’approche que nous avions choisie (le 19 mars 2012) Le programme JSF est au-delà de la “catastrophe industrielle”, il devient un des pans majeurs de l’effondrement d’une civilisation devenue contre-civilisation et du Système du “déchaînement de la Matière” parvenu à son point d’autodestruction.»


Mis en ligne le 3 octobre 2013 à 16H34