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9 juillet 2006 — Nous abordons ici un autre aspect de la “crise” nord-coréenne que celui que nous avons envisagé jusqu’ici, à deux reprises, les 24 juin et 7 juillet. Ce premier aspect traité dans ces textes du 24 juin et du 7 juillet concernait le mécanisme de la “crise”, la psychologie des acteurs américanistes, la façon dont le désordre américaniste suscite des événements incontrôlables dont profitent certains autres acteurs. Au travers du cas nord-coréen, c’est la crise américaniste qui est concernée.
Avec ce texte, aujourd’hui, nous envisageons les faits d’une façon plus classique, au niveau des effets stratégiques aux USA. Il est toujours question des USA et de la psychologie américaniste, ô combien. Cet autre point de vue ne fait que compléter le précédent.
[Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas des événements hors de ce qui se passe aux USA. Il y en a. Mais ils restent liés à l’évolution aux USA, qui demeurent le facteur fondamental des relations internationales.]
Divers faits commencent à apparaître en pleine lumière après les quelques jours soi-disant paroxystiques de la “crise” nord-coréenne.
• La complète impuissance américaine, désormais actée par les sources les plus habituellement pro-américanistes. On mentionnera un passage de cet article du Sunday Times cité par ailleurs, intéressant surtout dans sa seconde moitié. En voici un extrait significatif : « Like former president Bill Clinton’s team, the Bush administration has therefore realised that a diplomatic answer is the only one available. But years of inattention, division and mixed messages robbed the US of diplomatic influence. One observer tells of watching the US envoy Christopher Hill sit mutely in an important negotiation because policy arguments in Washington had tied his hands. »
• Cette impuissance est le produit d’une politique arrogante de force et de provocation, qui a été faite au nom de moyens militaires qui ont été surestimés dans une mesure difficile à croire à première vue tant elle est grande. Le résultat est l’enlisement en Irak et l’impossibilité d’appliquer des pressions militaires crédibles dans d’autres points de tension, — notamment en Corée du Nord. Le résultat est également d’avoir averti dans le sens de la confrontation tous ceux qu’on désigne comme des cibles à abattre, et ainsi d’avoir accéléré à ses propres dépens tout ce qu’on prétend vouloir réduire (dans ce cas, la prolifération nucléaire). Du Sunday Times encore : « The clearest statement of all came from the “Democratic People’s Republic of Korea” (DPRK) itself. The state news agency said America had used “threats and blackmail” to destroy an agreement to end the dispute. “But for the DPRK’s tremendous deterrent for self-defence, the US would have attacked the DPRK more than once as it had listed it as part of an ‘axis of evil’.” The lesson of Iraq, the North Koreans said, was now known to everyone. »
Devant cette évolution, les positions aux USA mêmes évoluent désormais au-delà de la seule critique de la politique extérieure de l’administration GW Bush. En un sens, nous sommes déjà dans la phase qu’annonçait (que craignait) Richard N. Hass dans l’article du Washington Post du 6 juillet que nous avons déjà cité, — nous sommes déjà dans la phase des USA en 2009, GW parti (passage souligné par nous en gras) : « “I am hard-pressed to think of any other moment in modern times where there have been so many challenges facing this country simultaneously,” said Richard N. Haass, a former senior Bush administration official who heads the Council on Foreign Relations. “The danger is that Mr. Bush will hand over a White House to a successor that will face a far messier world, with far fewer resources left to cope with it.” »
• C’est-à-dire que s’estompent peu à peu les thèses maximalistes des néo-conservateurs, qui ne constituaient pas comme on l’a souvent dit une orientation partisane mais bien l’orientation générale, la fièvre, l’ivresse qui avaient saisi l’establishment washingtonien après 9/11. Les commentaires de William Kristoll dans le Weekly Standard sont extrêmement amers : « A few weeks ago, Michael Rubin lamented in this magazine that Bush's second term foreign policy had taken a Clintonian turn. But to be Clintonian in a post-9/11 world is to invite even more danger than Clinton's policies did in the 1990s. The real choice isn't Kim Jong Il's. It's President Bush's. »... Et alors? Que propose Kristoll? Rien, parce qu’il sait qu’il n’y a plus rien à proposer, après avoir proposé l’attaque contre l’Irak pour aboutir au chaos actuel, et insisté pour une attaque contre l’Iran. Son édito est une longue suite de jérémiades amères. Fin d’époque, William Kristoll, l’heure de la retraite approche.
• Le paradoxe est que les vrais “durs” aujourd’hui, à Washington, ce sont les “clintoniens”… La paire Carter-Perry remet ça dans Time Magazine, le 8 juillet, après son article du 22 juin dernier. Elle maintient sa recommandation d’une frappe contre la Corée du Nord, mais dans le cadre plus classique de l’habituelle diplomatie de force US : « So what should be done to begin to rein in the runaway North Korean nuclear and missile programs? First, we continue to advise the U.S. government to strike any further Taepo Dong test missiles before they can be launched. Second, the North should be penalized for defying the international community's unanimous appeal not to conduct its July 4 tests. China and South Korea are the main economic benefactors of North Korea, and President Bush is right to seek a United Nations Security Council action that would compel all nations to suspend trade with Pyongyang. » Peu importe que les USA n’aient plus le moindre crédit pour cette sorte de politique, que la “communauté internationale” soit rien moins qu’“unanime” lorsqu’il s’agit de soutenir des sanctions dès lors qu’elles sont proposées par les USA, — et qu‘à cause de tout cela le résultat des conseils de Carter-Perry serait à peu près inverse de ce qu’ils espèrent : ils isoleraient encore plus les USA, pas la Corée du Nord. Les démocrates et “clintoniens” se révèlent pour ce qu’ils sont : des “néo-wilsoniens” un peu plus hypocrites que les “bushistes”, des interventionnistes déguisés derrière la feuille de vigne de l’apparent internationalisme et des principes ronflants qui vont avec. Ils sont archétypiques de cette sorte, les “libéraux pro-war” évidemment humanitaristes d’aujourd’hui.
• Du coup, les arguments des néo-isolationnistes prennent du poids. Les néo-isolationnistes ne représentent rien à Washington, ils sont enfermés dans le placard du diable, — pourtant ce qu’ils disent devrait résonner comme une musique radieuse aux oreilles de l’establishment. Simplement, parce que ce sont eux qui ont raison. Comparez cette proposition (le 8 juillet sur Antiwar.com) de Patrick J. Buchanan à celle de Carter-Perry:
« What should America do about Kim's provocative missile test? Follow the example of Secretary of State Dean Rusk, who once told an agitated undersecretary: “Don't just do something. Stand there.”
» America should step back and let the lesson sink in on Asia that, though we are on the far side of the Pacific, we have been carrying the load for the defense of South Korea and containment of the North for 50 years. And we plan to lay the burden down. With the Cold War over, America has no vital interest on the Korean peninsula to justify sending another army to fight another war there. We ought to get our soldier-hostages off the DMZ and bring them back to Guam, if not all the way home to the United States.
» Should North Korea attack the South or U.S. offshore bases in Asia, we can respond with air and naval power from offshore. While the North cannot strike our homeland, we can strike the North at will.
» Kim and his nukes and missiles are primarily Asia's problem, not ours. And it is time Asians assumed responsibility for their own defense from a North Korea whose economy and population are small by any great power standard. If South Korea's president wishes to play detente with Kim Jong-Il, let Seoul assume the costs and bear the consequences if he proves to be a Neville Chamberlain.
» In his farewell address, 55 years ago, Gen. MacArthur urged America to move her soldiers off the Asian mainland and set up our defense perimeter in the offshore islands. Sound advice then, sound advice now. »
... Ils ont raison, les isolationnistes, mais ils ne seront pas écoutés, parce que nous retombons sur l’emprisonnement psychologique, la pathologie postmoderniste et virtualiste si souvent décrite. Washington s’est imaginé être ce qu’il n’a jamais été, — un Empire. Il en a eu le poids, jamais la volonté, ni l’audace, ni, encore moins, le sens de l’Histoire qu’il faut avoir, — même à mauvais escient. Avec un tel poids, une telle puissance, en arriver à misérablement retraiter devant un Kim, voilà qui “speaks volume”. Il faut avoir du souffle pour nous présenter ça (les Etats-Unis d’Amérique) comme un modèle d’efficacité, de modernité, de puissance conquérante. Pourtant, Washington ne pourra pas en démordre, l’arrogance et la vanité sont choses trop tenaces… A notre sens, on n’arrivera jamais, là-bas, à décider les simples mesures de bon sens, — quoiqu’un brin cynique, quand on est responsable de tout le désordre dont on se laverait les mains, — que proposent les isolationnistes.
La même question intéressante, dite en d’autres termes, est de savoir comment l’Amérique pourrait redevenir isolationniste sans avoir l’air de renier toutes les sornettes virtualistes, les slogans moralisateurs, etc., sur lesquels elle appuie sa substance (si l’on peut dire). La réponse nous apparaît évidente tant la réputation de la vertu est l’essentiel pour eux : “No way”. C’est là que repose tout le suspens de notre époque, car c’est ainsi que le faux-Empire, en s’entêtant dans ce qu’il n’est pas et ne fut jamais, peut courir à sa perte.
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