Courte réflexion anglo-saxonne sur la politique russe

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 421

La reconnaissance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud par la Russie représente un choc de plus pour l’Occident, qui ne cesse d’empiler les “chocs” subis du fait de la politique russe. Quelques heures après le vote unanime du Parlement russe en faveur de cette reconnaissance, les commentaires étaient unanimes pour estimer que la direction russe ne se presserait pas pour suivre son Parlement, que cette demande de reconnaissance représenterait un atout dans une négociation internationale avec la menace d’éventuellement y souscrire (voir l’avis relayé hier d'un expert russe présenté par le Guardian: «One analyst said it was unlikely that the Kremlin would unilaterally recognise South Ossetian and Abkhazian independence. “This would be more troublesome and problematic for Russia,” said Fyodor Lukyanov, the editor-in-chief of the journal Russia in Global Affairs. […] “My guess is that this vote is a means to achieve better conditions for international negotiations,” he added.») Nous nous sommes trompés, la direction russe a aussitôt confirmé le vote. La politique russe file plus vite que l'éclair.

Le Financial Times apprécie aujourd’hui la décision russe, comme la politique russe actuelle en général. L’édito est écrit en termes mesurés, sans acrimonie (anti-russe) excessive, selon les préceptes de la raison qui conduit la réflexion de cet organe fameux (le FT).

«In the short term, Russia seems to have all the cards. The Nato allies are not going to send troops to defend Georgia. They are far too bogged down in Afghanistan, not to mention Iraq, to commit soldiers on the ground. They need Russia’s support in curbing the nuclear ambitions of Iran and North Korea. Above all they want Russia’s oil and gas, and access to the growing Russian market. No one wants to go back to the cold war confrontation.

»In the long term, however, this looks a dangerous Russian gamble. Mr Medvedev has turned traditional Russian opposition towards self-determination and the integrity of national borders on its head. Russia opposed the independence of Kosovo for that reason. Now it is cynically copying the Kosovo model to score diplomatic points, but the circumstances are very different.

»The Abkhaz and Ossetian populations have not been threatened with anything remotely approaching “ethnic cleansing” or “genocide” by the Georgians. If anything, the danger is in the other direction, with ethnic Georgians fleeing both regions to escape the Russians and the Russian-armed secessionists.»

Le raisonnement est à considérer, pour y introduire des nuances qui pèsent leur poids. Effectivement, les Russes ont fait comme au Kosovo. Ont-ils agi avec cynisme? Cela se discute, du point de vue de l’antériorité. Le cynisme, en plus de l’irresponsabilité et de l’aveuglement, fut établi du côté de l’Ouest, agissant au Kosovo en toute illégalité (en 1999), puis allant jusqu’à l’indépendance sans tenir compte de rien ni de personne, et précisément pas des Russes, en plus avec une conscience extraordinairement claire de l’aspect catastrophique de cette évolution (ceux qui ont suivi l’affaire et parlé un peu d’une manière informelle avec divers fonctionnaires impliqués dans le processus, dans les bureaucraties nationales, à l’UE ou à l’OTAN, peuvent amplement en témoigner). Quant au “génocide” et au “nettoyage ethnique” au Kosovo qui firent les beaux jours de nos penseurs humanitaires au printemps 1999, le FT pourrait tout de même remettre ses pendules à l’heure. La chose a été largement documentée, non seulement pour les responsabilités initiales mais aussi pour les véritables conditions des massacres, et leur ampleur épouvantable contre un seul côté réduit bientôt, lors des enquêtes sur place, à des pertes mélangées, malheureuses mais inévitables dans cette sorte de conflit. Le FT n’a pas raison de s’appuyer, pour sa leçon de morale rationnelle, sur un précédent qui représente le premier montage médiatique et virtualiste de l’ère postmoderne, montage occidental cela va de soi. La raison du FT est bonne et respectable mais elle se réfère non pas à une histoire maquillée mais à l’histoire d’événements complètement maquillés au moment où ils eurent lieu. Tout cela est trompeur, jolly good fellow.

La conclusion de l’édito est très intéressante. Elle nous dit ceci: «So why did Mr Medvedev do it? Wounded Russian pride and a misguided desire to rewrite the international book of rules seem the most likely explanations. The former is a bad mentor. As for rewriting the international rules, that will not be done unilaterally, with Russia mistrusted and disliked.»

La première réponse à la question de la cause de l’action des Russes, c’est “la fierté russe”. Admettons, et admettons aussi que cela n’est pas la meilleure conseillère; mais que dire alors de la vanité anglo-saxonne, qui est le principal moteur de la politique anglo-saxonne depuis 9/11, non, depuis bien plus longtemps, depuis les jours de l’Empire anglais en train de décliner et de l’Amérique recevant la révélation de sa manifest destiny? Comparant les deux, nous ferions moins le procès de la fierté russe que de la vanité anglo-saxonne, question d’expérience historique.

La deuxième remarque est beaucoup plus intéressante: le “désir de récrire les règles des relations internationales” qu’auraient les Russes, qui serait une autre explication de leur politique. L’idée se rapproche, en moins radicale, de l’hypothèse que nous explorions hier également. Et là, le FT laisse passer le bout de l’oreille lorsqu’il ajoute, comme objection: “Cela ne sera pas fait unilatéralement, avec les Russes qui suscitent l’hostilité et la méfiance”. Cette remarque en suscite une autre: si les Russes ne peuvent agir seul, avec qui pourrait-il le faire? Les USA, qui se satisfont pleinement du système actuel, injuste, anarchique, déstructurant? Avec les Britanniques, peut-être (eh eh)? Le remarque implique au moins une certaine lucidité de la part du FT, et ce qui pourrait être pris, dans des circonstances extraordinaires, si les Russes consentaient à sembler se policer, comme une offre de service du Royaume-Uni… Dans tous les cas, il est remarquable que le FT ne juge pas absolument ridicule l’idée même de “réécrire les règles des relations internationales”.

En attendant, la réalité est que les Russes ne peuvent agir que comme ils le font, s’ils ont réellement en tête le souci que leur prête le FT. Ils doivent d’abord développer une stratégie de rupture de l’ordre en place (un peu comme Me Vergès utilise dans ses plaidoiries ce qu’il désigne lui-même fameusement comme une “stratégie de rupture”). Cette stratégie ne peut que leur attirer l’inimitié des tenants de l’ordre qu’ils attaquent, – mais ce n’est pas tout le monde après tout; on n’a pas entendu la Chine, l’Inde, la Turquie et tant d’autres glapir d’indignation, bien que nos journalistes bien pensants ne cessent de parler de la “communauté internationale”. Après la rupture, si rupture il y a, on verra.


Mis en ligne le 27 août 2008 à 11H37