Covid-19 et la postmodernité

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Covid-19 et la postmodernité

L’époque étrange où nous sommes, plongée dans les spasmes gigantesques de sa Crise d’Effondrement, monte pour notre bon-plaisir, avec la pandémie Covid-19, un spectacle postmoderne digne des plus grands chefs d’œuvre de l’Art Contemporain (A.C.). Deux nouvelles nous donnent des exemples édifiants de la maîtrise à laquelle nos dirigeants et nos bureaucraties, tous également zombies, peuvent parvenir dans ce cadre nouveau de la Grande Crise en mode de surpuissance.

• La première de ces “nouvelles” est une intervention tonitruante du diplomate et porte-parole du ministère chinois des affaires étrrangères, Lijian Zhao. Le jeune Zhao est connu pour sa maîtrise verbale et ses interventions effectivement tonitruantes, qui lui ont valu dans le chef de certains commentateurs le surnom de “Trump chinois”.  Zhao interpelle les USA, particulièrement l’U.S. Army, et spécule à grands bruits que cet organisme respectable pourrait être l’origine du Mal nommé Covid-19. La chose a déjà été envisagée dans diverses théories conspirationnistes, mais Zhao a un dossier beaucoup plus solide, qui n’envisage pas une conspiration mais plutôt une carence, une négligence, une irresponsabilité et une démarche de dissimulation par habitude, tout cela complètement déployé, de la part des autorités américanistes, ce qui nous rapproche de la  vérité-de-situation. Zhao dispose de deux arguments :
1). Un détachement de l’U.S. Army était présent à Wuhan en octobre dernier, pour les Jeux Mondiaux militaires ; et
2) lors d’une déposition au Congrès, le patron de la CDC (organisme US de direction des questions de santé) a révélé, un peu gêné, que plusieurs cas de Covid-19 avait été diagnostiqués “grippe” courante aux USA, parce que le virus n’était pas encore identifié. Robert Redfield n’a pas donné d’autres précisions.

Détails sur  RT.com de cette intervention de Zhao :

« Le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Lijian Zhao, a demandé aux autorités américaines de révéler ce qu'elles cachent sur les origines de Covid-19, allant jusqu'à suggérer que le coronavirus pourrait avoir été apporté en Chine par l'armée américaine.
» En montrant  une vidéo du directeur du Center for Disease Control and Prevention (CDC), Robert Redfield, admettant apparemment que les États-Unis avaient eu plusieurs décès dus au Covid-19 avant de pouvoir le tester, Zhao a appelé les autorités de surveillance US à faire preuve de franchise dans un tweet posté jeudi.
» “C'est peut-être l'armée américaine qui a amené l'épidémie à Wuhan”, a suggéré Zhao, appelant le CDC, – et les Etats-Unis en général - à “être transparent” et à partager ce qu'ils savent sur le lieu et la date du premier diagnostic du “Patient Zéro”.
» Dans la vidéo [tournée au cours d’une récente audition au Congrès], M. Redfield reconnaît que certains cas de coronavirus ont été classés à tort comme des cas de grippe, car les médecins ne disposaient pas à l'époque d’un test précis pour la nouvelle épidémie. Il n’a pas précisé quand ces cas mal diagnostiqués sont apparus pour la première fois - disant seulement que “certains cas ont été diagnostiqués de cette façon”.
» En l’absence de détails sur les patients ou de chronologie des décès, les spéculations ont tourbillonné. La “théorie” de Zhao s'est notamment focalisée sur la délégation militaire qui s'est rendue à Wuhan en octobre pour les Jeux Mondiaux Militaires, quelques semaines avant que la ville ne confirme l'épidémie en décembre. Cette délégation faisait partie du groupe de 300 athlètes américains qui participaient à l'événement multisports organisé tous les quatre ans. »

Il y a déjà eu des déclarations venues de personnalités, mettant en cause les USA, notamment celles de l’ancien Premier ministre malaisien Matthias Chang évoquant une “guerre biologique” des USA contre la Chine et le chef des Gardiens de la Révolution iranienne, le successeur de Soleimani, qui a suggéré que le Covid-19 pourrait être « le produit d'une attaque biologique de l'Amérique qui s'est d'abord étendue à la Chine, puis à l'Iran et au reste du monde ». 

L’intervention de Zhao est beaucoup plus structurée, et elle a le mérite de rencontrer une  vérité-de-situation typique de la postmodernité, qui est la complète incompétence des autorités de la bureaucratie washingtonienne, dans tous les domaines, – chose beaucoup plus crédible qu’une “conspiration” supposant une habileté que n’ont certainement plus (et n’ont jamais vraiment eue) les USA. Plus encore,  l’intervention de Zhao, ès qualité, venant d’un ministère qui représente en général la prudence chinoise, montre que la direction chinoise prend à son compte mais en douce cette théorie, – d’une manière prudente et furtive, certes, en utilisant l’intermédiaire pétulant de la personnalité de Zhao qui peut toujours être une explication d’esquive.

• La deuxième nouvelle concerne l’intervention de Macron, hier soir, et son slalom effectué autour de la notion de “frontières” : il n’est pas question une seule seconde ni d’un seul millimètre de fermer les frontières (nationales), notamment parce que le virus n’a ni nationalité, ni passeport (contrairement à ce qu’affirme Trump qui parle, lui, sous le contrôle de Zhao imagine-t-on, de “virus étranger”), et explicitement parce que le nationalisme est chose monstrueuse... Bien qu’on pourrait remarquer sur ces entrefaits que, n’ayant pas de passeport, Covid-19 serait d’autant plus facile à coincer à la frontière... Eh bien, l’on pourrait tout de même être amené à effectuer des mesures diverses, dont des “fermetures de frontière” – justement, surprise-surprise, – mais européennes certes. Par conséquent, la “frontière” est une chose immonde et totalement inefficace face à un virus qui se joue de ceux qui, au niveau national sinon nationaliste, voudraient le contraindre, lui le virus ; elle est une chose incroyablement vertueuse et formidablement efficace au niveau européen parce que le virus, qui n’a pas de passeport européens, est instantanément repéré par « nos libertés et nos protections » (européennes), que nous-mêmes avons construits de façon à faire reculer tous les virus du monde.

Ce passage du discours macronien absolument digne du plus grand art de la rhétorique et de la logique, et méritant si bien de la postmodernité, vaut d’être confié à  RT-français, dont on sait le brio pour distinguer une FakeNews du reste, – et faire “le bon choix” :

« Dans son adresse aux Français du 12 mars, le président français s'est exprimé sur l'épidémie du coronavirus en annonçant une batterie de mesures, mais également en affirmant qu’il fallait, face à cette crise sanitaire, éviter “l'écueil” du “repli nationaliste”. “Ce virus n'a pas de passeport, il faut unir nos forces, coordonner nos réponses, coopérer”, a justifié Emmanuel Macron en rappelant que la “coordination européenne” était “essentielle”. 
» Le chef d'Etat a malgré tout convenu qu'il fallait “sans doute” envisager des mesures afin de “réduire les échanges entre les zones touchées et celles qui ne le sont pas”. Des zones qui ne sont pas forcément liées aux “frontières nationales”, a-t-il expliqué. Emmanuel Macron n'a en outre pas fermé l'hypothèse d'une fermeture de frontières : “Nous aurons sans doute des mesures de contrôle, des fermetures de frontière à prendre mais il faudra les prendre quand elles seront pertinentes[et les prendre] à l'échelle européenne car c'est à cette échelle-là que nous avons construit nos libertés et nos protections.”
» En introduction de cette argumentation, Emmanuel Macron n'a pas hésité à formuler une critique envers ceux qui prônent davantage de repli national pour lutter contre le coronavirus : “J'entends aujourd'hui dans notre pays des voix qui vont en tout sens, certains me disent qu'on ne va pas assez loin et[ceux-ci] voudraient tout fermer,[...] s'inquiètent de tout, parfois de manière disproportionnée...” »

Pendant ce temps, les amis européens, ceux qui partagent “nos libertés et nos protections”, s’emploient à appliquer la logique européenne selon saint-Macron. En plus de divers pays déjà cadenassés, hier la Slovaquie et la Tchéquie ont annoncé la fermeture de leurs frontières, les Slovaques faisant une dérogation délicieusement antiraciste et conforme à la diversité en annonçant que « seuls les citoyens polonais » ne seraient pas concernés par cette interdiction. Quant à l’Allemagne, partenaire privilégiée de la France pour une Europe solidaire de “nos libertés et [de] nos protections”, elle a commencé, en douce mais fermement, un contrôle très poliment accentué à ses frontières concernant les citoyens français pénétrant dans ce pays.

« L’Allemagne a effectué, depuis l’après-midi, des contrôles renforcés selon l'AFP, demandant aux automobilistes français entrant sur le territoire allemand s'ils avaient de la fièvre et s'ils étaient malades. »

La consigne est donc de faire toute confiance à l’Europe, dont l’un des actes principaux jusqu’ici, sinon le seul dans le cadre de la crise Covbd-19, a été un non-acte coutumier : ne pas lever la directive 80/20 qui obligent actuellement certaines compagnies aériennes à effectuer des vols à avec 3, 2, 1, sinon 0 passager à bord, diminuant d’autant les risques d’accident et de diffusion du Covid-19. La mesure, c’est-à-dire le maintien de la mesure selon “nos libertés et nos protections”, a été jugée « totalement absurde » et « pas acceptable » selon deux ministres de suite, le Français Bruno Lemaire et l’Anglais Grant Shapps.

Explication de la situation, si bénéfique à l’économie des compagnies concernées et à l’environnement, et qui, surtout, respecte jusqu’à la nausée vertueuse le principe de la libre concurrence si cher à nos âmes contentes d’elles  : « La raison est simple : si les compagnies aériennes opérant depuis ou vers les pays européens ne continuent pas à exploiter au moins 80% des créneaux horaires qui leur sont attribués, elles risquent de les perdre au profit de concurrents. Deux fois par an, l'ensemble de ces créneaux est analysé et redistribué sur le marché selon la règle du “use it or lose it” (utilisez-le ou perdez-le), poussant donc certains opérateurs britanniques à faire voler des avions “fantômes”. »

 Il est rassurant de voir combien cette épidémie qui,  inillo tempore, eût été expédiée sans préoccupation majeure et sans trop d’effets secondaires, prend aussitôt une place considérable sinon cosmique au cœur de la globalisation postmoderne. On y retrouve, largement déployés, tous les comportements postmodernes, dans les domaines les plus variés, bien au-delà du seul sanitaire.  On voit combien elle contribue avec un zèle remarquable à aggraver toutes les crises en cours, à cadenasser les dirigeants et leurs aéropages zombie dans une communication tentaculaire, à réduire la réflexion aux slogans habituels qui, dans cette atmosphère dramatique artificiellement créée, prennent des allures extravagantes tandis que les dangers les plus courants ne cessent d’être continuellement aggravés jusqu’à la possibilité de la tragédie, – la tragédie-bouffe devenant ainsi tragédie tout court dans le cadre de ce qui serait devenu l’épisode final de la Grande Crise d’Effondrement du Système..

Heureusement, il y a l’Europe, qui conserve une imperturbable absence d’intervention, consciente d’être la gardienne de “nos libertés [et] de nos protections” et d’avoir tout son temps pris par cette noble tâche. L’Europe-UE est le phare incontesté et absolument impavide dans sa vertu immobile de notre époque qui se regarde s’effondrer en recommandant d’abord de prendre quelque distance de l’événement, – bref, d’attendre quoi, puisque “tout se passe selon le plan prévu” comme écrivait la Pravda dans les années 1970-1985...

 

Mis en ligne le 13 mars 2020 à 11H26