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35204 décembre 2021 – Je connais (un peu) le Covid ; je ne connais pas du tout, puisque je viens de le découvrir, le philosophe, poète et environnementaliste anglais Paul Kingsnorth de forte notoriété dans les milieux “engagés”, organisateur de rassemblement ou de chaînes engagées dans des recherches de sauvegarde de la planète ; je l’imagine un peu romantique, ermite à ses heures, pourtant fort bien considéré dans l’élite intellectuelle britannique, et “libérale” dans le sens de la culture et ainsi de suite, donc penchant paresseusement à gauche mais néanmoins lecteur du ‘Guardian’..
Je suis tombé un peu par hasard sur lui, – mais on sait, depuis le ‘Big Bang’, que le hasard fait bien les choses ; disons en feuilletant mon internet, c’est-à-dire ma longue liste de “favoris” où l’on trouve des “favoris” un peu moins favoris que d’autres, que je ne vais consulter qu’épisodiquement... Et ‘Unherd.com’, où j’ai rencontré Kingsnorth, est manifestement un truc de haute volée, rassemblant des intellectuels britanniques, pas trop idéologisés mais tout de même penchant plus souvent à gauche qu’à droite. Restons-en là pour les circonstances de fortune, suffisantes pour mesurer l’exemplarité du cas.
Donc, je trouve une interview (vidéo) de Kingsnorth, et le même jour (30 novembre) un texte de lui, tout cela sur ‘Unherd.com’. La présentation de l’interview attire mon attention :
« Paul Kingsnorth considère que la guerre des vaccins est symptomatique d'une division plus large entre deux visions du monde fondamentalement différentes : il les appelle “Thèse” et “Antithèse”. En ce qui concerne le Covid, la “Thèse” est le point de vue de l’Establishment : les confinements sont nécessaires pour contenir le virus, les masques fonctionnent, les vaccins sont sûrs et les personnes qui les remettent en question sont mal avisées ou pire. Lorsque le Covid-19 a frappé pour la première fois, Kingsnorth a adopté le point de vue de la “Thèse”.
» Mais au cours des derniers mois, son point de vue a changé. Comme il l'écrit dans ‘UnHer’ d’aujourd'hui, le moment de cristallisation est arrivé lorsqu'il s'est réveillé en apprenant que le gouvernement autrichien avait “interné un tiers entier de la population”. Cette décision, écrit-il, lui a donné “froid dans le dos”... »
Ainsi Kingsnorth est-il passé à l’Antithèse. On comprendra aisément mon penchant naturel à faire une équivalence inratable, à discuter et à nuancer comme on verra mais inéluctable ; en effet et pour mon compte facilement accessible, j’en viens aussitôt à suggérer que le parti de la Thèse c’est le Système, et celui de l’Antithèse, – l’antiSystème.
« Dans sa fascinante lettre d'information The Stoa, l'universitaire Peter Limberg propose une analyse des guerres de Covid en cours. Il identifie deux positions sur le virus et les réactions qu'il suscite. Ces deux positions sont des généralisations, – beaucoup de gens ne s'identifieront pleinement ni à l'une ni à l'autre, – mais de manière générale, celle à laquelle vous vous identifiez influencera votre vision de l'Autre.
» Limberg décrit la première position, – la Thèse, – comme suit :
» “Les confinements sont nécessaires pour contenir le virus, les masques fonctionnent et doivent être obligatoires, les vaccins sont sûrs, les gens devraient se faire vacciner pour se protéger et protéger les autres, et les passeports vaccinaux aideront à ouvrir les choses plus rapidement et encourageront ceux qui hésitent à se faire vacciner.”
» La thèse est la position de l'establishment. Elle est défendue, selon Limberg, par “les médias traditionnels, les ONG, les universités, les gouvernements occidentaux et les tribus mnésiques de la gauche politique”. En revanche, l'opinion opposée – l’antithèse, – est défendue par un ensemble de dissidents politiques de tous bords, des droitiers aux anarchistes, motivés à se regrouper pour différentes raisons autour d'une histoire alternative :
» “Les mesures de confinement ne sont pas nécessaires, les masques ne fonctionnent pas, l’innocuité et l’efficacité des vaccins sont exagérées, les passeports vaccinaux non seulement échoueront mais accentueront la ségrégation de la société, et dans un avenir proche, nous pouvons nous attendre à ce que les non-vaccinés deviennent des boucs émissaires à-la-René-Girard. En d’autres termes, nous nous trouvons au bord d’une pente abrupte conduisant à des mesures de contrôle biopolitique de plus en plus draconiennes, dont l’emprise ne risque pas de se relâcher même lorsque la pandémie sera terminée.” »
Même si Kingsnorth ne semble pas prendre position (changer de position) à cause des seules raisons sanitaires, “pour ou contre le vaccin”, – et d’ailleurs rien ne dit qu’il ne soit pas vacciné, et je dirais bien que tout au contraire me le suggère, – il n’empêche qu’il constate les réalités de la situation sanitaire. Kingsnorth vit en Irlande et il se trouve que l’Irlande est un pays remarquable, où le taux de vaccination, pour l’Europe, est de loin le meilleur, proche des plus de 100% de Gibraltar (le cas très spécial du “Rocher”, où les habitants et les Espagnols qui y viennent travailler sont tous vaccinés) : 94% des adultes. Il remarque alors, sans pousser les hauts cris mais simplement avec ce discret « c’est étrange », léger comme une plume mais tout de même mis en gras par mes soins, qui en dit bien plus long que toutes les exclamations des plus exacerbés des anti-vaxx.
« Je regarde tout cela depuis l'Irlande, le pays qui a le taux de vaccination des adultes le plus élevé d'Europe occidentale, avec plus de 94 % de la population. Ici, les cas s'accélèrent tellement que l’on nous a récemment demandé de travailler à la maison et que l’on craint un nouveau confinement. De nouvelles restrictions pour les enfants, qui sont les moins exposés au risque de Covid, sont proposées, et un couvre-feu à minuit a récemment été imposé aux pubs et aux boîtes de nuit. C’est étrange, car seules les personnes vaccinées sont autorisées à y entrer depuis l’été, le scan d’un code QR compatible avec les smartphones étant le seul moyen d’accéder à une grande partie de la société. »
Maintenant, on s’attarde à la description de la “guerre du vaccin” par le philosophe, je dirais d’un point de vue opérationnel. On détaille les arguments des uns contre les autres et les arguments des autres contre les premiers. Il y ainsi le constat de deux logiques antagonistes conduisant à deux intolérances antagonistes (avec, tout de même, une chronologie, les premiers ayant déclenché une attaque massive étant les pro-vaxx contre les anti-vaxx, ou disons les pro-vaxx par nature ayant fait naître, au moins par leur tapage et leurs recommandations impératives, les anti-vaxx). Dans ce domaine comme tant d’autres, le processus étant ainsi politique et civilisationnel, sinon métahistorique, il s’agit comme point commun d’une communication d’affrontement même si les sujets sont très différents.
A cause du processus qui est la marque de la structure crisique, tout devient ainsi “politique et civilisationnel, sinon métahistorique”. La guerre des vaccins n’y échappe aucunement, elle est même un accélérateur du tout en montrant que le processus crisique n’épargne absolument rien puisqu’il affecte ici un sujet qui n’est pas politique dans son essence ; qu’importe, il devient même, n’hésitons pas une seconde, métahistorique..
« Ce que nous voyons autour de nous maintenant, alors que la Thèse échoue visiblement, c’est que de plus en plus de gens cherchent des explications et les trouvent commodément dans les arguments et interprétations de l’Antithèse. À mesure que cela se produit, les partisans de la Thèse se sentent de plus en plus menacés et en colère. Pour eux, les personnes qui remettent en question la Thèse ne sont pas des êtres humains qui se demandent ce qui se passe et qui n'obtiennent pas de réponses satisfaisantes. Ce sont des “théoriciens du complot”, des “anti-vaxx” et des “activistes d'extrême droite”, dont les opinions conduiront à une mort massive.
» En réponse à cette intolérance, les éléments les plus extrêmes de la position de l'Antithèse s'enfoncent davantage, offrant leur propre intolérance, condamnant les “moutons” qui s'accrochent encore au récit, et proposant des histoires alternatives qui vont du convaincant à l'effrayant. Certaines des pires histoires s'en prennent directement à de vieux ennemis : les “Juifs”, comme toujours, sont une cible populaire. Cela permet aux partisans de la Thèse de représenter commodément toute opposition à leur ligne comme dangereuse et digne de censure. La peur et la suspicion règnent. Aucune tribu ne parle à l'autre, et chacune présume le pire de ses adversaires. »
Enfin, on lira ci-dessous quelques-unes des réflexions générales de Kingsnorth sur l’épidémie, sur le comportement des gens, sur son propre comportement, etc., sur le thème central de “Le Covid est un révélateur”, “Le Covid nous (me) révèle”... La mue est complètement achevée sous la plume du philosophe : il ne s’agit absolument plus d’une question sanitaire, ni même d’une question de politique sanitaire, il ne s’agit plus du Covid et du coronavirus mais d’une question sociale et psychologique fondamentale, de l’ordre de la civilisation.
L’important dans mon cas, et je pense que ce le sera pour nombre de lecteurs, c’est que Kingsnorth nous semble enfoncer des portes ouvertes. Lorsqu’il écrit :
Le Covid « a révélé la complaisance des grands médias et le pouvoir de la Silicon Valley de gérer et de contrôler la conversation publique... a confirmé la malhonnêteté sournoise des dirigeants politiques et leur obéissance ultime au pouvoir des entreprises... a montré comment l'idéologie, de tous bords, peut se masquer sous la prétendue neutralité de la “science”. »
Mais c’est pour moi, pour nous et pour vous j’espère, une simple et nième confirmation de ce que nous savons et subissons depuis des années, cinq ans, dix ans, bien plus encore, etc. Ainsi apparaît l’intérêt de l’exercice pour un homme comme Kingsnorth, artiste et activiste de bonne cause, et sans doute lecteur du ‘Guardian’ : par un biais complètement apolitique, étranger à la politique, que nul ne pouvait prévoir comme politique (sauf les divinateurs de complots, j’en conviens), en venir au cœur de la question politique, sinon métahistorique ; et même, se trouver obligé de prendre parti, de sélectionner des sources d’information, parce que la chose est politique et le simulacre permanent... Il suffit de le savoir avec la bonne interprétation et de le faire, “prendre parti”, avec habileté, sans même le dire ni signer un engagement, et même en s’étant fait vacciner ; de ne pas trop parer cette cause de vertus qu’elle n’a pas, ni d’en faire une “cause dernière” ; de comprendre enfin, que seul le processus, qui est l’essence du Système, importe ici et justifie qu’on choisisse la position que l’on choisit.
« Covid est une révélation. Il a mis à nu des fissures dans le tissu social qui ont toujours existé mais qui pouvaient être ignorées en des temps meilleurs. Il a révélé la complaisance des grands médias et le pouvoir de la Silicon Valley de gérer et de contrôler la conversation publique. Il a confirmé la malhonnêteté sournoise des dirigeants politiques et leur obéissance ultime au pouvoir des entreprises. Elle a montré comment l'idéologie, de tous bords, peut se masquer sous la prétendue neutralité de la “science”.
» Et surtout, il a révélé la tendance autoritaire qui se cache derrière tant de gens et qui émerge toujours dans les périodes de peur. Rien que le mois dernier, j'ai vu des commentateurs des médias appeler à la censure de leurs opposants politiques, des professeurs de philosophie justifier l'internement de masse et des groupes de pression des droits de l’homme garder le silence sur les “passeports sanitaires”. J'ai vu une grande partie de la gauche politique se transformer ouvertement en un mouvement autoritaire qu’elle a probablement toujours été, et d’innombrables “libéraux” faire campagne contre la liberté. Alors que les libertés ont été supprimées les unes après les autres, j’ai vu les intellectuels justifier tout cela les uns après les autres.
» J’ai appris davantage sur la nature humaine au cours des deux dernières années qu’au cours de mes 47 années précédentes. J’ai aussi appris des choses sur moi-même, et je ne les aime pas particulièrement non plus. J’ai remarqué ma tentation permanente de devenir un partisan : de juger et de condamner ceux qui sont de l'autre côté, de trouver une tribu à laquelle je puisse adhérer. J’ai remarqué ma tendance à ne rechercher que des sources d’information qui confirment mes convictions. »
Ainsi, me semble-il, se construit (s’auto-construit)- un “dissident” qui n’aurait guère, sinon jamais eu l’occasion de se faire dissident sur un autre sujet, politisé sinon idéologisé d’avance. Là est toute la vertu du Covid : pour ainsi dire et parce que c’est tentant, il avance masqué... Au départ, et parce qu’on circule entre le discours de la Thèse bienpensante et le discours de l’Antithèse hystérique, et tous les deux dans le même et seul domaine d’une crise sanitaire a priori hors de la politique, – je parle de la situation de départ qu’un non-dissident ouvert à la dissidence doit affronter, – on avance et on en juge justement sans apriorisme idéologisé.
Puis l’on change de voie, d’orientation, sous la pression des réalités qui vous montrent qu’un système de crise sanitaire prend les habits d’un système de crise politique marqué par un processus de style contraignant puis autoritaire, possédant en germes le “style” tyrannique. Ainsi le masque, qui était complètement innocent au départ, apparaît-il après mutation comme un subterfuge de la vérité que vous arrachez pour mieux contempler cette vérité. Le Covid a muté (nul ne le niera), la crise-Covid est devenue politique et monsieur Kingsnorth change de camp !
Ou plutôt, je préfère dire : il déserte le camp de la Thèse (du Système, des élites-zombies, etc.). Qu’il rejoigne le camp de l’Antithèse est de moindre importance, car dans ce cas l’Antithèse recouvre une cause qui n’est nullement essentielle et d’ailleurs elle est multiple ; elle n’est antiSystème que parce qu’elle n’est pas dans le Système, et que, n’étant pas dans le Système elle est nécessairement contre le Système puisqu’ainsi l’entend le Système.
Ainsi, le Covid après mutation sous vos yeux et à cause de votre regard, vous révèle-t-il à vous-même votre propre mutation. Ce n’est pas une affaire de Covid ni une affaire de vaccin, vous le comprenez bien ; c’est une affaire de pince-monseigneur si vous voulez, le Covid et son vaccin sont un pied-de-biche qui fonctionne en toute innocence, puisque nul ne prévoyait au départ qu’il deviendrait ce qu’il est devenu et aucune disposition particulière n’avait été prise pour en protéger l’accès.
Il s’agit de faire sauter un verrou bien plus qu’un vaccin, et rien ne vaut une pince-monseigneur parée des vertus d’un pied-de-biche.