Il y a 5 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
1055Voici un avis intéressant sur le Forum de Davos, cru 2009. Il concerne les USA et leur leadership, – et l'effondrement catastrophique de leur leadership, doit-on dire. C’est l’avis d’un William Pfaff furieux, qui rapporte l’impression d’un Américain à Davos, contemplant, effaré, les ruines de la réputation et de la stature des Etats-Unis d’Amérique. (Ce 1er févriers 2009, sur le site WilliamPfaff.com.)
«The American participants in this year’s World Economic Forum in Davos have been the first to confront the full international blowback to the U.S.-created world economic crisis. The crisis has devastated America’s reputation for intellectual innovation and practice in global finance, its business leadership, and its domination of applied and academic economics – all promoted at the Davos Forum for decades. Last Friday a Wall Street Journal front-page headline said: “European capitalism gets a halo.”
»It has devastated something even more important: the American reputation for competence, and with it, the justification for America’s six-decade role as world leader. […] There is more bad news to come, signaled at Davos. The political, national, and psychological consequences have yet to be fully appreciated. This crisis implies something else important: The U.S. reputation for world leadership has crashed and burned.»
Willam Pfaff donne une rapide analyse du comportement des responsables US devant la crise. Il met en évidence cette sorte d’irresponsabilité érigée en système par ceux-là même qui exercent les responsabilités et qui sont donc responsables si l’on s’en tient à la logique, – cette irresponsabilité caractérisée par la réponse de Rumsfeld lorsqu’on lui demandait des explications sur les pillages qui avaient lieu dans Bagdad “libéré”, en avril 2003, sous contrôle des forces US “libératrices”: «…but on the whole a curtain has been drawn, and most would agree with Donald Rumsfeld’s incantation that “stuff happens.”»
Voici, selon Pfaff, le bilan et les “responsabilités”, après tout…
«Distraction was provided for much of the world by the economic boom Alan Greenspan proudly presented as “beyond history.” A new economic order had been created by Americans that already had made the industrial world rich, and was confidently predicted to bestow the same blessing on everyone else. Francis Fukuyama’s assessment that history was coming to a happy ending was thought only a little off in its timing.
»But not only the economy has crashed. It’s now necessary to come to terms with the fact that the cold war was not won by America, but lost by Communism’s internal corruption. That America’s Asian conflicts were actually all defeats: Communist China, Korea, Laos, Cambodia, Vietnam, Somalia, Lebanon, Iran, Iraq (an estimated 95 thousand civilians killed in Iraq, 15 thousand coalition soldiers and police, including 4,229 Americans; and the outcome still in doubt). The war against terror has been a bloodbath with mainly civilian victims, two free-standing Asian states wrecked, and probably more to come.
»The immediate disaster, evident at Davos, is that the American economic model of deregulated market capitalism, dominant today in the U.S. and the rest of the industrial world, cited as a vehicle of human progress, proves under examination to have been in significant part an affair of swindle, personal enrichment, looted third world nations, international and national crime conspiracies, bank robbery and Ponzi schemes, criminal real estate practices, environmental and institutional rip-offs, and official corruption.»
»Stuff does indeed happen, when greed is good and power better.»
Il s’agit bien du procès d’une décadence, et, notamment, de la décadence de cette fameuse “responsabilité”; dans cette époque où, justement, le sens du mot “responsabilité” semble avoir été complètement perdu. L’on retrouve aussi bien cette étrange perception dans l’attitude consistant à vider le mot de son sens, qui fait de la “responsabilité” un statut vide du moindre sens (disons “responsables mais pas coupables”); que dans le poids considérable (“significant part”) des forces “marginales” ou “parasitaires” (“une civilisation parasitaire”, écrivions-nous) dans la mécanique générale de la crise, chose confirmée par l’importance du scandale Madoff notamment.
Il s’agit de l’importance des hommes en tant qu’acteurs de la crise, dans le sens où ils sont prétendument les acteurs des affaires du monde. Le caractère complet et général du refus des obligations de la responsabilité, comme du refus de considérer les conséquences générales des actes parasitaires de la corruption générale, est la marque de cette crise comme elle est la marque de notre crise de civilisation en général. Ainsi peut-on nommer les “responsables” de la crise actuelle en constatant qu’ils sont toujours aux commandes, ou toujours écoutés avec respect (Brown, Clinton, etc.), de la même façon que les néo-conservateurs responsables de la crise de la séquence précédente (9/11 et l’Irak) restèrent constamment consultés et écoutés respectueusement, une fois la crise actée, consommée et mesurée, et leur responsabilité établie. Il n’y a pas de sanction de l’erreur et de la manigance puisque l’erreur et la manigance sont faites sans qu’aucun des “responsables” ne soit désigné et considéré comme “coupable”, et parce qu’être “responsable” signifie bien que l’on n'est responsable de rien, – et parce que, finalement et pour clore l’argument, la “vérité” est qu’il n’y a plus ni erreur ni manigance, quoi qu’il se passe.
C’est la caractéristique de l’esprit systémique poussé à l’extrême, et qui a complètement infecté la psychologie, jusqu’aux déformations monstrueuses que nous constatons. Il y a un système dominant et omniprésent, une doctrine intouchable, des faits et des actes qui en sont les conséquences mécaniques directes, et donc du domaine également de l’intouchable, – domaine déterminé plus par la mécanique de la chose que par le respect qu’on aurait pour son “autorité” (autre mot qui s’est vidé de son sens). Dans cet enchaînement, il n’y a plus de place pour la “responsabilité” au sens qui implique un comportement choisi et les choix qui en découlent, et les actes posés en toute conscience, en conséquence de ces choix. Si la corruption et la cupidité ont pris une telle ampleur qu’on peut effectivement qualifier de systémique, c’est parce que le système exonère de toute responsabilité et que le jugement personnel sur ses propres actes, et éventuellement l’appréciation morale qu’on en a, n’ont littéralement plus leur place. Ces références, il s’agit d’incongruités, de monstruosités par rapport aux normes du système.
Il s’agit bien d’une décadence, ou d’un déclin, qui prend l’allure d’un effondrement par sa rapidité, mais d’un type très particulier. Il s’agit d’une décadence et d’un déclin subis sans la moindre conscience de la chose, puisque le jugement est lui aussi irresponsable. Littéralement à nouveau, tous ces gens observent l’effondrement absolument stupéfaits, même pas en n’y comprenant rien, mais finalement en ne cherchant même pas à comprendre car il s’agit (“comprendre”) d’une attitude intellectuelle incongrue et monstrueuse. Puisque tout est de la “responsabilité” du système, chercher à comprendre n’a aucun sens. L’effondrement se poursuit sans même qu’on identifie la chose comme telle; comme, malgré tout, l’effondrement a lieu, jugez de leur désarroi.
Mis en ligne le 2 février 2009 à 05H47
Forum — Charger les commentaires