Crime Inc. & conséquences

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Crime Inc. & conséquences

L’assassinat du général Soleimani n’a vraiment surpris personne quant à la méthode... Quant à la responsabilité, les alliés humanistes des USA, du bloc-BAO, ont montré la belle voix (voie ?) de leurs consciences diverses mais vertueuses en commun : ils ont demandé à l’agressé de ne pas riposter, puis ils lui ont reproché de l’avoir fait, car ainsi c’est faire monter la tension. Le vrai est que, quand le boss, – disons le capi di tutti capi pour saluer  les inspirateurs, –fait ce qu’il doit faire et ce qu’il s’est arrogé le droit de faire, on se tait respectueusement.

Cette présentation sobrement ironique de l’action des USA le 3 janvier dernier recouvre une évolution fondamentale des pratiques d’État, quasiment un retour à une sauvagerie primitive maquillée en un simulacre où la technologie “postmodernise” l’acte sauvage en ridiculisant l’accusation évidente de sauvagerie, où la communication peinturlure cet acte et le manipule dans tous les sens possibles pourvu que la vertu paraisse y être. On a l’habitude, chez les critiques les plus vifs du système de l’américanisme, de comparer le fonctionnement et les moyens de cette conception du monde à ceux du “crime organisé” (la  Cosa Nostra dans ses grandes années aux USA, entre 1930 et 1970), mais cette comparaison est flatteuse pour l’américanisme ; ce crime organisée-là avait, à côté de ses pratiques sauvages, un “code d’honneur” qui lui donnait une certaine structuration d’un “légalisme” paradoxal. La sauvagerie postmodernisée des États dans le chef des Etats-Unis essentiellement, cette sorte de ré-ensauvagement, n’a strictement aucun “code d’honneur” sinon les intérêts automatisés du Système et de ceux qui le servent.

Il est assuré qu’avec l’assassinat de Soleimani, un nouveau seuil de nature fondamentale dans l’aggravation de la perception de l’action des États-Unis a été franchi. Cela est dû à l’exubérance irresponsable, à l’absence totale de morale (y compris l’apparence de morale que réclame le Système), à l’intelligence réduite au plus court terme et à l’entretien de sa personne, du président Donald Trump. Dans plusieurs tweet, Trump n’a cessé de revendiquer la gloire d’avoir ordonné l’assassinat, alors que ses prédécesseurs GW et (surtout) Obama restaient plutôt discrets sur ces pratiques. Comme d’habitude, The-Donald a mis les choses au point et les points sur les “i” : “nous assassinons contre toutes les normes humaines, diplomatiques, légales, etc., et nous en sommes grandement satisfaits, et moi-même tout à fait content de moi”.

Nul ne s’étonnera du fait, comme c’est le cas, que nous jugions comme une très bonne chose le franchissement de ce “nouveau seuil, de nature fondamentale dans l’aggravation de la perception de l’action des États-Unis”. L’attitude de Trump, comme on l’a déjà constaté en plusieurs occasions, signifie la fin de l’hypocrisie, du simulacre vertueux type-Système et ainsi de suite. Désormais, les choses sont claires, et le “Principe de Peter” a été rencontré : l’irresponsabilité vaniteuse et l’inculture militante de cette génération de dirigeants, avec le clown-Trump à leur tête, a atteint son point d’incompétence totale. S’afficher assassins quand on prétend au magistère moral du monde constitue un risque considérable pour une direction “politique” d’une telle importance, dans un univers entièrement conditionné par la communication, l’image, le simulacre, la narrative...

Cette évolution du pouvoir en une organisation singeant le crime organisé, mais dans sa version la plus basse dépourvue de “code d’honneur”, répond à la logique de l’évolution de l’effondrement du Système, notamment dans son ensemble hyperlibéralisme-globalisation. Le pouvoir politique ne cesse de s’affaiblir dans ces conditions, et il ne cesse parallèlement d’abuser de ses pouvoirs au détriment des structures normales d’un pouvoir politique normal. Il est ainsi absolument “normal” que le pouvoir politique de l’américanisme soit très largement en tête, pratiquement sans concurrence réelle, dans cette évolution :
• à cause de sa puissance brute (puissance n’est pas “pouvoir” puisqu’elle ne donne pas par elle-même la moindre légitimité), qui est considérable notamment dans les domaines militaire et financier, et qui ne cesse d’écarter, sinon d’écraser les règles contraignantes de la civilisation, des bonnes relations entre États et du gouvernement respectueux des règles du droit (international et national) ;
• à cause de son absence congénitale de légitimité qui caractérise les USA, pays né de circonstances spécifiques s’appuyant sur une conception du monde qui rejette l’histoire et ses compromissions au profit de principes qui se veulent très élevés et à l’abri de ces souillures ; la conséquence de cette attitude est l’absence de légitimité historique du pouvoir, par conséquent l’absence d’un bien public et d’une puissance publique qui seraient confiés à la vigilance de ce pouvoir.
• Rien n’a changé fondamentalement depuis que Tocqueville observait, en 1831 : « Quand on réfléchit à la nature de cette société-ci, on voit jusqu’à un certain point l’explication de ce qui précède: la société américaine est composée de mille éléments divers nouvellement rassemblés. Les hommes qui vivent sous ses lois sont encore anglais, français, allemands, hollandais. Ils n’ont ni religion, ni mœurs, ni idées communes; jusqu’à présent on ne peut dire qu’il y ait un caractère américain à moins que ce soit celui de n’en point avoir. Il n’existe point ici de souvenirs communs, d’attachements nationaux. Quel peut donc être le seul lien qui unisse les différentes parties de ce vaste corps? L’intérêt. » Ce qui fait le pouvoir de l’américanisme, ce sont les diverses puissances privées, essentiellement puissances d’argent, dont la décadence paradoxalement par l’enrichissement insupportable constaté aujourd’hui, conduit évidemment à épouser toutes les méthodes du crime organisé, puis du crime organisé du plus bas étage.

La “criminalisation” du pouvoir du système de l’américanisme, comme modèle universel du “pouvoir politique” au terme de cette modernité-tardive, répond à une logique complète, lorsque la décadence adopte le rythme de l’effondrement. Plus le pouvoir politique est faible, plus il abuse de ses pouvoirs, plus il tourne le dos à toutes les pratiques de la civilisation. En quelque sorte, il extériorise et opérationnalise ce que  Jean-François Mattei nomme La Barbarie intérieure (titre d’un de ses essais sur la décadence prodigieuse de notre civilisation). Ce “pouvoir politique” se réduit lui-même à un simulacre complet dont l’effet est d’anéantir toute politique en tant qu’action vertueuse pour le bien public, au profit des seules actions criminelles dont le profit sonnant et trébuchant est évident...

En effet, le simulacre anéantit tout ce qui a précédé, comme l’écrit Mattei : « Au troisième niveau de réalité, on constate une rupture : la simulation se substitue à la modélisation et à la représentation. Le simulacre, en tant que résultat de cette opération, possède un pouvoir de déréalisation des précédents niveaux de réalité en raison de son procédé de virtualisation. » Ainsi le “pouvoir politique” transformé en Crime Inc.répond à une logique incontestable et, finalement, ne choque plus personne puisque la référence de notre passé qui justifierait un choc du jugement est anéantie par le simulacre. Ce spectacle étrange de la politique transformée en une action criminelle sans la moindre dissimulation est observée sans la moindre surprise par les regards vides de commentateurs hallucinés, eux aussi accouchés par le simulacre. L’ensemble roule sur un rythme bien entendu en constante accélération vers un bienheureux effondrement.

Pour illustrer et documenter cette évolution fondamentale du “pouvoir politique” du système de l’américanisme, du Système lui-même et de la modernité-tardive, nous reprenons ci-dessous un texte minutieux et documenté comme à l’habitude, de WSWS.org sur « L’assassinat de Qassem Suleimani et la criminalisation de la politique de l’État américain »  (titre initial du texte du 14 janvier 2020, reprise du texte original en anglais du 13 janvier 2020). 

dedefensa.org

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La criminalisation de la politique des USA

Dimanche, le New York Times a publié un compte rendu détaillé, basé sur des sources de haut niveau au sein du gouvernement américain. Le sujet était la décision de l’Administration Trump d’assassiner le général iranien Qassem Soleimani le 3 janvier 2020.

Le rapport du Times indique clairement que, loin d’être une décision impulsive de Trump, le meurtre de Soleimani a bénéficié d’un large soutien au sein de l’exécutif et des agences de renseignement, qui avaient préparé ce crime au cours des 18 derniers mois. Le compte rendu implique l’ancien conseiller à la sécurité nationale John Bolton, le secrétaire d’État Mike Pompeo et la directrice de la CIA Gina Haspel dans la promotion et la mise au point du meurtre.

Le rapport du Times présente l’image d’un État criminel, dans lequel les violations les plus flagrantes de la loi sont traitées comme une routine. Il témoigne du degré de criminalisation de la politique étrangère américaine après près de deux décennies de «guerre contre le terrorisme».

L’article indique clairement que les motifs de l’Administration Trump pour le meurtre de Soleimani n’avaient rien à voir avec une menace prétendument «imminente», comme le prétendent les responsables de la Maison Blanche. Au contraire, les États-Unis voulaient exercer des représailles contre Soleimani pour une série de revers de la politique américaine dont l’État américain le tenait pour responsable.

Le Times écrit:

« À la fin de 2019, le général Soleimani pouvait se vanter d’un certain nombre de réalisations iraniennes: M. Assad, un allié de longue date de l’Iran, était au pouvoir à Damas, la capitale de la Syrie. il régnait sur une guerre civile sanglante et sur plusieurs fronts qui a duré des années, et la Force Quds avait une présence permanente à la frontière israélienne. Un certain nombre de milices que le général Soleimani avait contribué à encourager recevaient des salaires du gouvernement irakien et exerçaient le pouvoir dans le système politique irakien. »

Le Times poursuit: « Au cours des 18 derniers mois, selon les responsables, il y a eu des discussions sur l’opportunité de cibler le général Soleimani ».

Il écrit encore :

« Au moment où les tensions avec l’Iran ont atteint un sommet en mai avec les attaques contre quatre pétroliers, John R. Bolton, alors conseiller du président en matière de sécurité nationale, a demandé à l’armée et aux services de renseignements de produire de nouvelles options pour dissuader l’agression iranienne. Parmi celles présentées à M. Bolton figurait l’assassinat du général Soleimani et d’autres dirigeants des Gardiens de la révolution. À ce moment-là, le travail de suivi des déplacements du général Soleimani s’est intensifié. »

En septembre, le Commandement central des États-Unis et le Commandement des opérations spéciales conjointes ont été associés au processus de planification d’une éventuelle opération.

Quelques jours avant d’être tué, Soleimani a rencontré le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, au Liban. Nasrallah l’a averti, selon le Times, «que les médias américains se concentraient sur lui et publiaient sa photo». Le journal cite Nasrallah: «C’était une préparation médiatique et politique à son assassinat.»

Selon le Times, dans les jours qui ont précédé la grève, la directrice de la CIA, Gina Haspel, a plaidé pour le meurtre. Elle avançait que «les conséquences de ne pas frapper le général Soleimani étaient plus dangereuses que d’attendre». Haspel a présidé un centre de torture «site noir» de la CIA sous George W. Bush. Elle se trouvait impliquée dans la destruction de bandes de la CIA qui montraient des détenus soumis à la torture par l’eau.

La directrice de la CIA, Gina Haspel, arrive pour faire des exposés aux membres du Congrès sur l'assassinat du commandant militaire supérieur de l'Iran, le général Qassem Soleimani, le mercredi 8 janvier 2020. C’était la semaine dernière au Capitole à Washington. (AP Photo/Jose Luis Magana)

Parmi les éléments les plus révélateurs du rapport, on trouve la phrase suivante «Il [Trump] a dit à certains associés qu’il voulait préserver le soutien des faucons républicains au Sénat dans le procès de destitution à venir.» En d’autres termes, si le récit du Times est vrai, les calculs de politique intérieure ont joué un rôle important dans ce crime.

L’assassinat viole la Constitution et le droit américain, ainsi que le droit international. La Déclaration des droits stipule spécifiquement que «Nul ne peut être privé de la vie, de la liberté ou de la propriété sans un procès équitable.»

En 1975, une commission sénatoriale sous l’égide de Frank Church d’Idaho a mis au jour des complots d’assassinat de la CIA contre un certain nombre de dirigeants étrangers. Ceci a forcé le président, Gerald Ford, à signer le décret 11905, qui déclare: «Aucun employé du gouvernement des États-Unis ne doit se livrer ou conspirer à un assassinat politique.»

Suleimani était un haut fonctionnaire d’un État souverain. En tant que général, il était un pair des chefs militaires américains dans la lutte contre l’État islamique. Il a été assassiné dans un pays tiers, l’Irak, alors qu’il agissait à titre officiel pour rencontrer le Premier ministre irakien. C’était un crime de guerre et un acte de guerre.

L’Administration Bush a utilisé les attaques encore inexpliquées du 11 septembre 2001 pour mener une attaque de grande envergure contre les droits démocratiques et le droit international. Elle a créé un système de surveillance intérieure massive sans mandat (en violation du quatrième amendement de la Constitution) et a torturé des milliers de personnes (en violation du huitième amendement).

Les États-Unis ont envahi illégalement l’Irak au mépris des Nations Unies. Le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a déclaré: «De notre point de vue et de celui de la Charte des Nations unies, c’était illégal.»

L’Administration Obama a élargi le registre des crimes de l’administration Bush. Il a effectué plus de 500 frappes de drones dans tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, le nombre de morts se comptant par milliers ou par dizaines de milliers. Dans le cadre d’un rituel connu sous le nom de «Mardi de la terreur», Obama choisissait personnellement les personnes qui seraient réduites en pièces par les missiles lancés par les drones.

Obama a pris la mesure extraordinaire d’assassiner un citoyen américain, Anwar al-Awlaki, suivi de son fils, un citoyen américain de 16 ans, deux semaines plus tard. À l’époque, le ministère de la Justice d’Obama a affirmé le droit de tuer des citoyens américains, y compris à l’intérieur des frontières des États-Unis.

À chaque meurtre, l’enjeu monte. Le meurtre d’État joue un rôle de plus en plus important dans la vie politique des États-Unis.

La forme contemporaine des «meurtres ciblés» a été lancée par Israël. Selon les mots du journaliste israélien Ronen Bergman, «depuis la Seconde Guerre mondiale, Israël a eu recours à l’assassinat et au meurtre ciblé plus que tout autre pays en Occident.»

Pendant la deuxième Intifada, au début des années 2000, le gouvernement israélien a régulièrement envoyé des escadrons de la mort ou des hélicoptères de combat pour assassiner des militants et des personnalités politiques palestiniennes.

Une commission d’enquête de l’ONU a conclu que ces assassinats constituaient «de graves violations de la quatrième Convention de Genève, article 147, et du droit international humanitaire.» A cette époque, les États-Unis et leurs alliés européens ont pris leurs distances par rapport à la politique d’assassinat israélienne.

«Certains responsables de l’Administration Bush ont critiqué les escadrons de la mort». Cependant, Joe Biden, le «principal porte-parole des démocrates en matière de politique étrangère a défendu sans ambiguïté l’utilisation par Israël de ces assassinats extrajudiciaires», a noté le Conseil de la politique du Moyen-Orient.

Aujourd’hui, les principales «démocraties occidentales» du monde ont adopté les pratiques d’Israël - un État paria du point de vue du droit international. Non seulement les États-Unis, mais aussi la France et la Grande-Bretagne ont leur propre «liste de mise à mort».

Il convient de noter que, malgré les critiques de Bernie Sanders, Elizabeth Warren et d’autres sur l’opportunité de tuer Soleimani, aucun Républicain ou Démocrate n’a publiquement qualifié ce meurtre de crime ou exigé que Trump soit mis en accusation ou poursuivi pour cette grave violation de la Constitution américaine.

Personne ne devrait croire que le recours ouvert à l’exécution extrajudiciaire par l’État restera confiné aux régions situées en dehors des frontières des États-Unis. Tôt ou tard, les États-Unis invoqueront une «menace imminente» d’assassiner un de leurs propres citoyens à l’intérieur de leurs frontières.

De guerres sans fin et désastreuses n’ont pas réussi à inverser le déclin de la position mondiale de l’impérialisme américain. En outre, cette dernière s’aggrave avec l’instabilité économique, l’inégalité sociale galopante et la croissance de la lutte des classes. La classe dirigeante voit dans son tournant vers la criminalité ouverte, le seul moyen de garantir ses intérêts sociaux et économiques. Ce qu’elle craint par-dessus tout, c’est la croissance de l’opposition populaire de masse, à laquelle elle répondra par la violence.

Le meurtre de Qassem Soleimani a montré une fois de plus qu’une faction des Démocrates ou des Républicains qui défend les droits démocratiques n’existe pas. La défense des droits les plus fondamentaux énumérés dans la Constitution et la défaite de la campagne de la classe dirigeante pour la guerre et la dictature exigent la mobilisation massive de la classe ouvrière. Un tel mouvement doit viser d’abord et avant tout le système capitaliste que l’Administration Trump personnifie.

Andre Damon, WSWS.org