Crise dans la crise

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Crise dans la crise

16 juillet 2002 – L'hypothèse nouvellement apparue sur la scène washingtonienne est que la présidence GW Bush est entrée dans une nouvelle phase. Cette hypothèse est bien présentée par Robert Kuttner, dans The American Prospect. Elle est résumée par les deux premiers paragraphes de son article :

« Despite a tough-sounding speech, George W. Bush is suddenly vulnerable on the defining domestic issue of his presidency. The cascading corporate scandals are more than a temporary blow to investor confidence. They are a serious threat to American capitalism — and Republican doctrine.

» Bush is at risk of becoming a Cinderella president. Terrorist attacks elevated him from an untested pretender with no mandate into a popular commander in chief. Now a domestic economic crisis, eerily reminiscent of Bush's own dubious financial history, could turn him back into a bumpkin. »

C'est finalement une surprise que GW ait été mis lui-même en cause, c'est-à-dire que son propre cas soit apparu sur le devant de la scène alors que celle-ci était occupée par la crise du système capitaliste américaine. On pouvait penser que l'importance même des scandales qui alimentent cette crise et la nécessité d'une intervention des autorités, comme celle qu'a faite GW la semaine dernière, laisseraient à l'arrière-plan la question personnelle de GW. Celle-ci n'est pas nouvelle, elle a déjà été évoquée publiquement, ce qui alimente certaines interrogations. Harold Evans, du Guardian, étudie cette question et la meilleure raison qu'il donne pour expliquer l'attentisme de la presse à l'époque (à la mi-2000) où des faits préoccupants concernant GW furent connus concerne la psychologie des journalistes dans le système médiatique quasi-totalement alimenté par des interprétations, des images, des métaphores, etc : « the election reporters got themselves trapped in a narrative that was resistant to fact: Gore was a a poseur, and Bush was an amiable Forrest Gump. No fact that did not fit the preconceived pattern saw ink or breathed air. »

C'est également la psychologie qui doit être considérée pour déterminer quelles possibilités existent que cette crise atteigne une gravité qui mette en danger la position du président, — la psychologie avec ses effets sur la position d'une personnalité sans grand relief , qui suscite pourtant des situations politiques extrêmes.

• La présidence GW a connu deux phases jusqu'à aujourd'hui. La première fut celle de l'"inconnu", celle d'un président arrivant à sa fonction pratiquement inconnu. Dans cette phase de janvier à septembre 2001, les appréciations sur GW variaient du pire au meilleur, sans que rien ne puisse les étayer. GW semblait pourtant disposer d'une certaine innocence, dans une position qui semblait le tenir un peu en marge des intrigues washingtoniennes.

• A partir du 11 septembre, un second GW apparut, inventé et imposé par les événements, et façonné et grandi par l'appareil de communication. On en connaît les traits : l'homme de la Grande Guerre, l'homme du Bien contre le Mal, le croyant zélé qui déclare que l'Amérique est menacée et qu'elle doit être protégée avec l'aide de Dieu, le Commandant en Chef qui envisage des actions de guerre sans fin.

• Soudain semble apparaître un troisième GW, affairiste, dissimulateur, etc, — un GW qui correspond d'une façon inattendue à la crise et aux scandales qu'il est censé dénoncer. C'est en effet une grande ironie, ou bien un élément significatif, que GW, la semaine dernière, soit parti à New York pour tenter de donner un coup d'arrêt à la crise, et qu'il en soit revenu impliqué dans une affaire qui est une illustration des causes de la crise.

• Un dernier élément à considérer, qui constitue un autre handicap pour GW, c'est sa solitude potentielle dans l'éventuelle bataille politique qui se préparerait. Son principal soutien, son mentor, son éminence grise et son manipulateur, c'est Dick Cheney. Depuis deux semaines, Cheney se trouve lui-même impliqué dans une affaire qui va requérir toute son attention, qui pourrait même le conduire à juger que ses propres intérêts sont contraires à ceux de son président.

Personne n'a rien vu venir. Les scandales ont éclaté sans crier gare, parce que le système (et Washington, et l'Amérique avec lui) était tout entier absorbé par son montage médiatique et virtualiste de la guerre contre le terrorisme. On a vu l'énorme affaire Enron éclater (en décembre 2001) et se dérouler (janvier 2002) sans amener de réactions significatives des groupes de pression que constitue la presse. Seuls quelques isolés ont dit que c'était grave, et il a fallu d'autres affaires aussi énormes qu'Enron pour qu'il s'avère qu'ils ont raison.

L'absence de contrôle qui semble caractériser ces affaires devrait se poursuivre dans la phase actuelle, avec l'implication de GW, mais cette fois contre ses intérêts et sa position (alors que la faible attention portée initialement au scandale Enron jouait en sa faveur). Le président américain est dans une position exécrable, parce qu'il n'est pas psychologiquement dans la position d'un véritable battant, comme l'était Nixon, par exemple, qui affrontait depuis dix ans contre la presse US lorsque le Watergate commença sa carrière. (Il fallut deux ans pour faire tomber Nixon, sur la question du Watergate.)

Un autre facteur complètement différent, et qui fait toute l'originalité de la crise, est que l'"affaire GW" est intimement liée, dans tous les cas dans sa perception, à la crise du capitalisme américain. C'est peut-être l'élément le plus remarquable, qui constitue le potentiel le plus explosif : que la crise actuelle du capitalisme, qui pourrait être considérée comme essentiellement, voire exclusivement économique et financière, et traitée comme telle, sans remous politique grave obligé, acquiert soudain, avec le cas personnel de GW, une dimension potentielle de crise politique de cette dimension.