Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
1072L’évolution d’une crise commencée assez discrètement et transformée en deux mois en un événement fondamental par sa diversification et l’action puissante du système de la communication, voilà le caractère principal de la crise de l’“oil spill” dans le Golfe du Mexique. Les accusations d’un candidat républicain de Caroline du Nord, Bill Randall, sur un “complot” BHO-BP (voir dans Ouverture libre, ce 21 juin 2010) font effectivement plus partie du domaine de la perception, de la communication, etc., que de la réalité politique (quoi qu’il en soit de cet intéressant “complot”).
L’absence très caractéristique des grandes organisations écologiques dans le débat sur cette crise, à cause de la corruption systémique de notre époque, a ouvert les vannes à toute la puissance du système de la communication. C’est-à-dire que la crise, au lieu de rester dans les bornes de sa spécificité initiale (écologie, environnement, exploitation des ressources énergétiques) a pris des dimensions épiques, partant dans tous les sens et de tous les côtés, sans souci de la réalité et de la justesse de l’analyse, seulement avec la préoccupation de l’effet. L’intervention de Randall est bien significative de cette situation, et elle est donnée comme exemple éventuellement folklorique plutôt que comme un événement d’importance. (En attendant, qui sait, que la chose soit exploitée et documentée sérieusement ?)
La crise est aujourd’hui quasiment présentée comme “la plus grande catastrophe” environnementale qu’aient connues les USA (et sans doute le reste du monde, par respect des préséances). C’est là un phénomène de perception et le produit de l’action du système de la communication. Un article du New York Times du 19 juin 2010 montre qu’il y a eu, aux USA, des catastrophes pour l’instant beaucoup plus importantes et plus graves que ce qui s'est passé jusqu'ici dans le Golfe du Mexique. Mais qu’importe la réalité, – et nous faisons cette observation sans ironie aucune. La perception, aujourd’hui, écrase tout le reste, notamment la soi-disant “réalité objective”, et cela à cause du déchaînement du système de la communication qui réunit divers domaines, divers intérêts, divers projets, qui mobilise les psychologies, etc. (La situation politique aux USA, dans la perspective des élections mid-term, n’est pas le moindre de ces facteurs de diversification et d’intensification dramatique de la crise. Elle implique les manoeuvres politique autant qu'une angoisse psychologique fort honorable pour l'état du système.)
Nous faisons ces observations effectivement sans la moindre ironie. La “réalité objective” de situation, aujourd’hui, n’a qu’une place limitée dans une crise de cette ampleur, – telle ampleur, d’ailleurs, parce que cette “réalité objective” ne fait pas le poids face aux perceptions et à l’action du système de la communication, – chacun des caractères de la situation pouvant être indifféremment et successivement cause et conséquence dans l'évolution de la situation. Ainsi apparaît la véritable réalité de la crise, quelle que soit la “réalité objective” à laquelle tiennent les esprits rigoureux et rationnels. C’en est au point, sans aucun doute, où cette réalité de la perception et de la communication devient la véritable réalité sans qu’il soit nécessaire de déplorer ce développement. Ce que montre la crise du “oil spill” ainsi transformée par traitement du système de la communication, c’est finalement la situation bien réelle de la crise générale du système de l’américanisme et, notamment, le désordre extraordinaire qui caractérise son fonctionnement à la fois erratique et hystérique. Cette réalité de la crise générale du système de l’américanisme n’empêche nullement de mettre en évidence les problèmes inhérents à la “réalité objective” initiale, – “écologie, environnement, exploitation des ressources énergétiques” ; au contraire, elle le fait d’une façon bien plus fondamentale, bien plus dramatique, à la mesure de la gravité réelle de ces différents facteurs ; elle le fait d’un point de vue politique encore plus qu’écologique et environnemental, et, par conséquent, avec la potentialité d’une mise en cause générale du système.
La réalité imposée par le système de la communication, qu’on serait inclinée à discréditer par esprit de sérieux pour son caractère artificiel et construit, ou par esprit d'opposition au système général dont il est un des composants, s’approche finalement beaucoup plus de la “réalité objective” de la crise générale de l’américanisme qu’une “réalité objective” initiale du “oil spill” maintenue comme facteur principal de la situation. (Cette remarque vaut d’autant plus qu’on devrait avoir appris, même chez les esprits rigoureux et rationnels, à se méfier tout de même, et fort sérieusement, des “réalités objectives” strictes, lorsqu’on médite les exemples divers du passé concernant leurs manipulations diverses, leurs transformations, leurs évolutions.) Il y a donc un argument formidable qui est en train de se développer concernant le rôle de plus en plus fratricide du système de la communication, qui est censé renforcer et soutenir l’autre élément clef du système, qui est le système du technologisme, et qui tient de plus en plus souvent le rôle inverse. Ce rôle “fratricide” du système de la communication est la meilleure nouvelle qui pouvait se signaler à ceux qui recherchent la mise en cause et la destruction du système. Bien entendu, le fait que tout cela se déroule aux USA, ce pays qui tient une partie importante de sa “substance”, dès son origine, du système de la communication, favorise encore plus le phénomène, le rend irrésistible, dévastateur, encore plus “fratricide” qu’on ne pouvait l’imaginer.
Mis en ligne le 21 juin 2010 à 06H02
Forum — Charger les commentaires