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1001Le rôle et le statut au moins équivalents d’Internet par rapport à la presse classique, dans l’occurrence la plus extrême des cas les plus révélateurs, viennent d’être confirmés de la façon également la plus extrême, et la plus sinistrement extrême. Il s’agit de l’exécution après des tortures sauvages de deux personnes qui travaillaient pour un site engagé dans la dénonciation des violences des cartels, et, semble-t-il, pour cette raison expressément “affichée” par les liquidateurs.
Danger Room rapporte cet incident le 15 septembre 2011. Après avoir rapporté les circonstances de l’événement, Danger Room conclut que, “si les médias sociaux [Internet] sont effectivement devenus des cibles potentielles pour ce qui concerne les cartels mexicains, toutes les distinctions faites jusqu’ici entre les anciens et les nouveaux médias n’existent plus désormais”.
«It’s no secret Mexico is one of the world’s most dangerous places for working journalists. However, you’d think commenters on web forums and blogs would be treated differently — exempt, perhaps, from retaliation for speaking openly about the country’s deadly drug war.
»You’d be wrong.
»On Tuesday morning in the sprawling northern industrial metro of Nuevo Laredo, just across the Texas border, the bodies of two residents were found strung by their arms and legs from a pedestrian overpass. The appearance of the man and woman, both in their twenties, revealed signs of torture. The woman was disemboweled. “This will happen to all the internet snitches (Frontera al Rojo Vivo, Blog Del Narco, or Denuncia Ciudadano),” read one banner accompanying the scene. Then a message. “Be warned, we’ve got our eye on you. Signed, Z.”
»That likely means the Zetas: one of Mexico’s largest and most violent drug cartels. However, there is nothing necessarily new about victims of the Zetas hanged from bridges alongside or attached to crude “narco” banners, labeled with accusations of collaborating with the government or with rival cartels. But these banners listed websites, as if their victims’ only apparent offense was to have said too much online. The websites include a (now closed) web forum owned by the Grupo Reforma media company, a popular and graphic news blog and the tip line of the Attorney General of Mexico…»
Effectivement, l’on peut parler d’un événement important si l’on admet que toutes les conditions supposées sont justes, ce qui a tout l’air d’être le cas. Le Mexique est le lieu le plus dangereux de la planète pour les personnes travaillant dans le domaine de l’information, impliquées dans la communication de l’information concernant les activités des cartels. De nombreux journalistes ont été menacés, kidnappés, exécuté, etc., pour avoir travaillé dans ce sens. Des journaux ont dû cesser toute activité dans ce sens, sous la menace des cartels. L’exécution des deux victimes appartenant au site impliqué semble donc bien signifier que les cartels jugent que l’activité d’Internet (les “réseaux sociaux”) est devenue suffisamment nuisible à leurs activités, pour que les sites impliqués doivent être considérés comme un ennemi d’influence d’une force au moins équivalente à la presse conventionnelle, et peut-être d’une force supérieure désormais. Il s’agit bien de la confirmation du statut d’Internet, de la façon la plus cruelle et la plus barbare, qui est une des marques paradoxales mais néanmoins complètement révélatrices de cette époque qui se voudrait la plus civilisée et la plus avancée.
La barbarie postmoderniste, dite (sans doute ironiquement) soft, ou barbarie intérieure (selon Jean-François Mattei) a d’ores et déjà été largement rejointe, dans un mouvement circulaire révélateur, par la barbarie la plus brutale et la plus primaire, certainement bien pire que la barbarie originelle dans la mesure où cette “barbarie la plus brutale et la plus primaire” est indirectement mais très fortement enfantée par les outils et les activités de la modernité, et multipliée dans ses effets, – et l’effet psychologique n’est pas le moindre, – par la puissance et l’activité de la communication de la postmodernité. C’est le cas du Mexique où les cartels sont des créatures de la modernité, par la puissance des capacités fournies par l’époque postmoderniste et libérale, l’impunité de la corruption né des pratiques du libéralisme, la dégradation nihiliste des mœurs engendrée par les caractères de cette postmodernité. (Le trafic de drogue a toujours existé ; les gangs qui vont avec existent également depuis longtemps mais jamais, jusqu’à aujourd’hui, ils n’avaient élargie de façon aussi frappante leur sphère du banditisme à celle des “affaires publiques” courante, pour devenir des acteurs sociaux et politiques comme ils le sont, par conséquent d’une puissance sans précédent. Cela est dû essentiellement à la disparition de la légitimité du pouvoir politique, disparition directement conséquente de l’évolution de la modernité.)
De cette façon est confirmée la place essentielle qu’Internet a prise dans les grands courants d’affrontement que la crise d’effondrement du Système suscite. Quelles que soient les positions politiques ou sociales des réseaux au Mexique, et si l’on peut en un sens les placer en parallèle avec l’action du gouvernement qui est un produit du Système, ces réseaux sont surtout une expression de la protestation des citoyens, directement contre l’action des cartels, mais indirectement surtout, contre l’effondrement des valeurs structurantes originelles de l’autorité politique (souveraineté, légitimité régalienne, etc.) qui est à l’origine de la position presque dominante de puissance presque-“politique” des cartels aujourd’hui au Mexique. C’est parce que le pouvoir politique inféodé au Système a perdu toute légitimité, et à cause essentiellement de cette inféodation, que les cartels peuvent agir comme ils le font, avec cette puissance et cette impunité. Selon cette analyse, c’est dans ce contexte qu’il importe de placer le développement d’Internet ; le succès et la légitimité de ce nouveau développement reçoivent aujourd’hui une tragique confirmation dans cette action nouvelle de liquidation brutale des cartels.
Mis en ligne le 19 septembre 2011 à 06H31
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