Cure de désintoxication

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Les remarques de Bob Greene, sur la vidéo de BP filmant sans fin la fuite de pétrole dans le Golfe, valent certainement mieux qu’une intrigue d’auteur de best-sellers. C’est pourquoi nous nous y attachons pour un commentaire, en renvoyant pour l'original au texte présenté dans Ouverture libre, ce 28 juin 2010.

@PAYANT Il importe d’abord de ne pas oublier qu’Obama a, pour les besoins du système de la communication qu’il utilise dans la présentation qu’il fait de la catastrophe du Golfe, qualifié le “oil spill” de “9/11 écologique”. De ce point de vue ainsi sollicité, on pourrait en arriver à observer que la vision sans fin de la fuite de pétrole conduirait à faire penser, d’une façon analogique, au passage “en boucle” des images de l’attaque du 11 septembre 2001, le jour de l’attaque et les jours suivants, mais étendue sur une durée démesurée dans le cas du “oil spill”. De ce point de vue encore, on peut alors envisager que les effets sur la psychologie de ce point Oméga du “9/11 écologique” qu’est la vision de la fuite de pétrole devraient être à la fois profonds et considérables, comme l’ont été les images de 9/11 “en boucle”.

C’est ce que suggère en gros Bob Greene (mais certes sans épiloguer sur l’analogie 9/11), et il n’a pas tort pour ce qui est de la puissance symbolique de son interprétation. Disons qu’il nous paraît un peu court, bien qu’il soit sur le bon chemin, lorsqu’il écrit : «The pictures that never pause have already, in their potent silence, begun to transform the way people think about drilling…» Le “about drilling” nous paraît effectivement un peu court, car l’image finit par prendre une force symbolique qui recouvre non plus une activité (le forage) ni une matière spécifique (le pétrole) mais bien tout un système (le système du technologisme, caractéristique de la poussée de puissance dans toutes ses composantes du système de l’“idéal de puissance”).

Pour la psychologie, en effet, le symbolisme de cette vision est extrêmement fort et sa répétition, sa possible consultation permanente, finissent très rapidement par dépasser le simple constat de la catastrophe, l’observation technique et documentaire. L’idée de “la Terre blessée” comme s’il s’agissait d’un sacrilège autant que d’une blessure causée à une créature sacrée, présentée par Naomi Klein, est alors largement substantivée et trouve sa place dans le jugement. C’est pourquoi le spectacle et sa perception symbolique affectent beaucoup plus que les questions spécifiques du forage et du pétrole, mais effectivement le système du technologisme dans toutes ses composantes.

On se trouverait alors devant un cas très caractéristique de ce que nous identifions de plus en plus souvent comme l’“effet fratricide” du système de la communication par rapport au système du technologisme. Effectivement, le dispositif mis en place par BP et finalement réapproprié par les réseaux de circulation de l’information, constitue sans aucun doute une démarche caractéristique du système de la communication, de même que le passage “en boucle” de l’attaque 9/11 en faisait également partie. Chaque image sans fin de la fuite de pétrole met un peu plus en accusation le système du technologisme, cela inconsciemment, sans que nous ayons besoin d’argument, de plaidoirie, etc.

Dès lors, l’image (par rapport à 9/11) que nous avons présentée plus haut nous paraît se justifier d’autant plus. La vidéo de BP de la fuite qui paraît sans fin serait, du point de vue de la perception de la situation des forces idéologiques et politiques en présence, comme l’opération inverse de ce que nous avons signalé plus haut, – la répétition “en boucle”, pendant 24 heures, pendant 48 heures, pendant quelques jours, du film de l’attaque du 11 septembre 2001.

Là se trouve sans aucun doute un grand changement dans le fonctionnement du système général, donc une mesure très intéressante de l’évolution de la crise de ce système… Ce jour-là (le 11 septembre 2001), le système de la communication fonctionna parfaitement, comme un auxiliaire zélé et efficace du système du technologisme et de la politique de l’idéal de puissance qui en découle. Il impressionna fortement les psychologies en faveur de la cause du système, qui dénonçait le terrorisme et toutes les forces qui pouvaient lui être assimilées. Avec la vidéo du “oil spill”, c’est exactement l’inverse.

Symboliquement, et certes assez audacieusement en apparence, on pourrait avancer que la seconde opération (la vidéo du “oil spill”) est en train de nous désintoxiquer, pour ceux qui sont encore intoxiqués, ou disons de nous faire avancer un peu plus loin sur la voie de la désintoxication, de l’addiction à la nécessité et le bien-fondé de la puissance déchaînée établis avec les images de 9/11 “en boucle”. Cette interprétation implique évidemment, ce qui est notre point de vue, que le système général, dans sa composante du système du technologisme, embrasse tous les domaines où se manifeste la puissance que développe ce système, qu’il s’agisse du champ politique, du champ militaire, du champ économique et d’exploitation des ressources, du champ technologique bien sûr, et ainsi de suite. De ce point de vue, Obama a diablement raison : le “oil spill” est bien un autre 9/11…


Mis en ligne le 28 juin 2010 à 00H38