Daniel Goure, l’Iran, le RQ-170 et Dick Cheney

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Daniel Goure, du Lexington Institute, qu’il nous est arrivé de citer, n’est pas précisément un ami de l’Iran. Ce conservateur belliciste, ami très proche de l’industrie d’armement (on comprend ce que cela veut dire), intransigeant pourfendeur de ceux qui voudraient priver le Pentagone de ses habituelles augmentations budgétaires annuelles de quelques dizaines de $milliards (et fort malheureux à cet égard en ce moment, on le comprend), Daniel Goure donc s’est intéressé bien sûr à la perte du RQ-170. Tout de même, il n’attendait sûrement pas, – c’est une hypothèse d’intuition amicale que nous proposons, – à être cité par PressTV.com. Il s’agit du site iranien d’informations très attentif aux affaires des USA, et généralement qualifié de “site de propagande” par les commentateurs US en général, – commentateurs qui, en fait de propagande, s’y connaissent, il faut le reconnaître avec le respect qui importe pour le professionnalisme en la matière.

Donc, le 12 décembre 2011, PressTV.com publie un texte où il cite “David” Goure, l’affublant ainsi d’un prénom bien incertain et dans tous les cas inattendu.

«A US public-policy think tank says the RQ-170 is one of Washington's “most prized intelligence platforms,” adding that Iran's downing of the reconnaissance drone has dealt a “major blow to US security.” “There is the risk of compromise to a host of very sensitive intelligence capabilities possibly including hyperspectral imaging systems, specialized listening devices, nuclear particle 'sniffers' and communications encryption devices,” said David Goure, Vice President with the Lexington Institute. […]

»“Long-range UAVs are programmed to return to base if contact is lost with their controllers,” Goure added, thus dismissing the US claims that the drone had simply 'malfunctioned' or crashed in Iran. “They are not supposed to fly around aimlessly or simply land. A platform as sensitive as the RQ-170 would have had such a 'carrier pigeon' program in its guidance computer and, under normal conditions, would have flown home.”»

En fait, PressTV.com cite un texte de Daniel Goure en date du 7 décembre 2011, ce qui marque un temps assez long pour l’utilisation de ce matériel alors que le site iranien se montre, quant à la situation US, et encore plus la situation US concernant les relations USA-Iran sur un cas si délicat, d’une remarquable vélocité.

Le texte de Goure a d’ailleurs un axe principal qui concerne moins la perte du RQ-170 elle-même, avec les dommages subis, que l’idée beaucoup plus large que l’accent qui est mis au sein des forces armées US sur l’utilisation extensive des systèmes automatiques, notamment la catégorie des drones (UAV et UCAV) dont fait partie le RQ-170, représente un risque important… Techniquement et opérationnellement, l’argument n’est pas sans valeur.

«This unfortunate event should also lay to rest arguments from some quarters that unmanned systems could replace manned platforms in combat. Complement, yes but replace, no. As was demonstrated with the Sentinel’s crash, the loss of positive control over a UAV can have severe consequences. Imagine that in the middle of an air operation our entire fleet of combat UAVs suddenly turns around and heads back to base because of a loss of contact with their controllers. What would be a dropped call for a cell phone network becomes another Pearl Harbor. Then there is the problem of communications latency, the delay that can occur between a message being sent and its receipt. That may be tolerable for you or me in the midst of an e-mail chat but not in combat where seconds count.»

On voit donc l’aspect général de cette occurrence, qui représente l’exploitation normale, par les Iraniens, d’arguments venus du côté US, qui les arrangent sans nul doute. Ce qui est plus inhabituel, c’est le délai mis pour l’utilisation de ce matériel, alors que l’affirmation de Goure sur les dommages subis, ainsi que la personnalité de Goure lui-même, auraient dû être exploitées beaucoup plus vite. On peut faire l’hypothèse que PressTV.com a raté le commentaire de Goure et l’a retrouvé depuis, ce qui est évidemment très envisageable, avec la seule réserve que cela correspond assez peu aux méthodes et aux habitudes du site iranien, très attentif aux affaires US comme on l’a dit plus haut, et alimenté en cette matière par de nombreux relais aux USA qui connaissent bien les sources d’information sur Internet.

Une autre hypothèse, qui n’est d’ailleurs pas exclusive de la précédente, est que le texte de Goure est venu à la connaissance des Iraniens selon des canaux US paradoxalement anti-Iraniens, mais aussi anti-Obama. Cette hypothèse, nous l'avouons, relève du soupçon de coordination et est proposée notamment, entre autre dessein, pour fournir une transition que nous espérons élégante vers un autre évènement. On peut observer le même jour où PressTV.com publie quelques-unes des déclarations de Goure, des déclarations de Dick Cheney, interviewé par CNN, qui sont une attaque contre Obama. D’ailleurs, dans le texte de CNN.News qui en rend compte (le 12 décembre 2011), les déclarations de Cheney sont incluses dans une analyse générale dont le thème est la demande d’Obama à l’Iran pour la restitution du RQ-170 («“We've asked for it back. We'll see how the Iranians respond,” Obama said in a news conference, alongside Iraqi Prime Minister Nouri al-Maliki.»). En même temps que les Iraniens ont fait dire qu’il ne restituerait pas le RQ-170, Cheney juge absolument ridicule la demande d’Obama et critique le président pour n’avoir pas lancé l’attaque dont l’option lui était présentée. (La déclaration de Cheney est elle-même reprise par PressTV.com, du 13 décembre 2011.)

«Former U.S. Vice President Dick Cheney on Monday criticized Obama's decisions on the drone, but for an entirely different reason. He said that, after the aircraft went down, the president should have ordered an airstrike over Iran.

»“The right response to that would have been to go in immediately after it had gone down and destroy it,” the Republican, who served with President George W. Bush, told CNN's Erin Burnett. “You can do that from the air ... and, in effect, make it impossible for them to benefit from having captured that drone.” Instead, “he asked nicely for them to return it, and they aren't going to,” Cheney said.»

L’étrangeté de ces échanges divers, de ces interférences, etc., c’est que l’on trouve une complicité qu’on qualifierait, selon la dialectique bien connue, d’“objective”, entre Iraniens et extrémistes bellicistes et neocons US qui poussent à une attaque de l’Iran. Les premiers ont intérêt à mettre en évidence l’importance de la “capture” du RQ-170, pour la valorisation de leurs capacités et pour la mise en évidence de la fourberie US ; les seconds ont leur intérêt dans le même sens, pour pouvoir dénoncer la faiblesse d’Obama et la façon dont il réagit faiblement à un terrible revers de la sécurité nationale des USA. En passant, les extrémistes bellicistes US confirment de facto, selon la même logique, l’importance essentielle de la “capture” du RQ-170, qui est elle-même ainsi confirmée en tant que “capture” (avec toutes les conséquences que cela suppose du point de vue des capacités iraniennes) ; cette interprétation, là aussi, rencontre complètement celle des Iraniens.

Dans cette étrange rencontre, on mettra en évidence, une fois de plus, la décadence incroyable du système de l’américanisme. La guerre intestine à propos du RQ-170 est en train de prendre le pas sur les véritables intérêts de la sécurité nationale, puisque l’importance de l’incident est désormais appréciée à l’aune de l’argumentation contre le camp adverse, dans la bataille fratricide et impitoyable à l’intérieur de ce même système de l’américanisme. Conformément aux tendances extrémistes de ce même système, c’est la thèse des bellicistes qui a toutes les chances de s’imposer, d’autant qu’Obama, plus faible et indécis que jamais, craignant plus que jamais d'être soupçonné de “mollesse” à l'encontre des Iraniens, ne prendra jamais la position d’affirmer, même contre l’évidence dans le cas hypothétique et complètement improbable d'une telle situation, que la perte du RQ-170 n’est pas une catastrophe pour pouvoir argumenter qu’elle ne méritait pas une attaque pour la destruction de la machine. Ainsi est entérinée ce qui est d’ailleurs la bonne version, selon laquelle la perte du RQ-170 est effectivement une catastrophe stratégique pour les USA, à laquelle on ajoutera désormais le constat que les USA (Obama) n’ont pas osé réagir comme il le fallait. Désormais, l’affaire du RQ-170 entre dans la bataille interne du pouvoir politique paralysé du système de l’américanisme et contribuera efficacement à l’accélération de sa dissolution. Elle occupe ainsi une place supplémentaire dans le processus d'autodestruction du Système, cette fois (ou encore une fois, car ce n'est pas leur coup d'essai) avec l'aide empressée des bellicistes extrémistes et des neocons.


Mis en ligne le 13 décembre 2011 à 11H32