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701515 mai 2023 (10H00) – Voici un texte (original comme ceci) du philosophe italien Andrea Zhok, – avec cette question qui me vient aussitôt : comment les Italiens si soumis au diktat US peuvent-ils avoir tant d’esprits brillants et libres ?... Peut-être trouve-t-on la réponse dans le texte de Zhok, puisqu’il s’agit du texte d’un homme complètement désespéré et désenchanté, et pourtant un texte qui n’est au bout du compte ni l’un ni l’autre, absolument pas.
La partie essentielle du texte est réservée à la description de ce qui est devenu en quelques folles et fulgurantes années le problème central de notre GrandeCrise, que nous nommons souvent “simulacre” dans toute la puissance du système de la communication, que certains nomme “The Empire of Lie’ (colonel Macgregor, à propos des USA). C’est ce “problème central” qui fait écrire à Zhok, à propos du “discours public”, de tout ce qui est parole officielle et intervention de la presseSystème en bruit de fond :
« [...L]a recherche de la vérité et la gestion du discours public en Occident sont désormais des options incompatibles. [...]
» Nous vivons dans un monde où le mensonge instrumentalisateur est désormais la forme dominante du reportage d'intérêt public... »
Depuis 2020 pourrait-on dire, avec le Covid, et surtout avec la guerre en Ukraine continuant la crise de 2014 qui avait greffé la branche pourrisseuse de cette nouvelle règle fondamentale de la vie politique et sociale (et sociétale, donc !), bref la vie publique, nous en sommes à ceci qu’observe le philosophe :
« Tout cela est condensé en une leçon fondamentale, une leçon implicite que tout notre système de formatage des esprits, journaux, télévision, écoles, universités, etc. met en œuvre consciemment ou inconsciemment: “Tout ce qui est discours public est essentiellement faux”. »
Cette observation répond à une évolution ultra-rapide qui a fait du simulacre et de ses mensonges, non pas un bruit de fond encore discret, non pas une affirmation simulacre massive quoique temporaire dans l’urgence d’événements extraordinaires, – mais justement qui a fait “de l’affirmation simulacre massive [...] dans l’urgence”, en faisant sauter le “temporaire“, le commun exclusif du “bruit de fond” dans lequel nous évoluons, complètement enfermés, bouclés, ligotés. Ce que l’on énonçait pour le cas exceptionnel de l’attaque 9/11 du 11-septembre, notamment comme je la définissais, est devenue l’entièreté de notre univers cognitif autorisé :
« La seule certitude que j’ai, et je pense l’avoir déjà écrit, dans tous les cas je l’ai fait savoir publiquement comme on dit puisqu’on m’interrogeait, lorsqu’un journal (‘Le Soir’ de Bruxelles) m’adressa cette question sur l’attaque (qui l’a faite ?), pour le septième anniversaire de la chose, le 11 septembre 2008, et que je répondis : “La seule chose dont je suis sûr, c’est que la version officielle est fausse”. »
Cet état des lieux auquel Zhok nous invite est-il ainsi désespérant et désenchanté, comme je l’ai déjà dit ? Il semble vouloir nous le faire comprendre(« Mettez vos cœurs en veilleuse, sauvez ce que vous pouvez »), et même plus encore nous l’affirmer d’une façon péremptoire et décisive, avec la description d’un univers bloqué, emprisonné, cadenassé : « Il y a ceux qui y réagissent par un simple désengagement résigné... ; il y a ceux qui ... ; il y a ceux qui... », etc. Moi, il semblerait que je fasse partie, – un peu comme lui-même d’ailleurs, – de la dernière catégorie :
« ...[E]t il y a ceux qui développent cette forme particulière de folie qui consiste à se battre sans armes contre des géants en espérant qu'ils se révèlent être des moulins à vent. »
... Et c’est justement à ce point qu’il effectue son tournant-surprise, quasiment à 180° si l’on veut être précis. Moi, il ne m’étonne pas s’il me surprend tout de même. Après avoir ainsi peint ce tableau d’un Jérôme Bosch qui aurait découvert la technologie avancée pour accroitre la diversité et la cruauté des tortures qu’il nous décrit, il vire brusquement de bord, “bord sur bord” comme l’on dit, – et c’est le cas de le dire puisque, – fascination du ‘Titanic’, – il est question de navire et de tempêtes des eaux qui se précipitent dans le vide des abysses.
Ainsi se négocie-t-il, ce tournant, comme d’un navire pris dans la poigne de la tempête, avec tous les signes de l’impuissance de ce monde-prison que nous avons formé pour nous enfermer :
« Au fond coule le courant de l'histoire où notre navire occidental a pris une position inclinée et, avec une inertie irréversible, accélère vers la cataracte. Une fois que la parole publique a perdu sa capacité à transmettre la vérité, il est impossible de lui rendre son poids. Chaque parole supplémentaire dépensée pour corriger les faussetés du passé, si elle atteint la sphère publique, est elle-même perçue comme faible, usée, impuissante.
» La société que nous avons mise en place est une société sans vérité, et retirer la vérité du monde social, c'est le condamner à une maladie mortelle... »
Que veut-il dire, Zhok, avec son « courant de l’histoire » (« Sul fondo fluisce la corrente della storia... », ou bien “metastoria”) qui se joue complètement de cette hideuse création d’une civilisation devenue folle, portant les oripeaux monstrueux de la modernité ? Qui la réduit à néant, comme fétu de paille dans les majestueuses chutes du Niagara ? Ce n’est pas moi qui le contredirait ni lui chercherait des noises au nom d’une dialectique verticale réclamée par les autorités académiques d’un monde enrobé dans une « maladie mortelle ». Moi, je parle de « forces suprahumaines », de l’« Événement », ce genre de choses, parce qu’il faut bien se farder d’une apparence de raison pour exprimer l’irrationnel et l’inexprimable. Pour le reste, nous nous comprenons bien.
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L'exclusion du physicien Carlo Rovelli de la cérémonie d'ouverture de la Foire du livre de Francfort, à laquelle il avait été invité, fait des vagues. La faute de Rovelli est d'avoir contesté, de manière certes argumentée, les choix du gouvernement concernant le conflit entre la Russie et l'Ukraine.
Figurant jusqu'à hier parmi les "accrédités" du système médiatique, Rovelli a même fait sourciller la bourgeoisie semi-cultivée, les lecteurs des journaux Corriere et Repubblica et la faune apparentée. Malheureusement, ce segment influent de la population ignore complètement la gravité de ce qui se produit depuis un certain temps, comme une tendance souterraine, continue et capillaire.
Il y a une ligne rouge continue qui s'effiloche dans la gestion de l'opinion publique occidentale depuis des années et qui s'est accélérée depuis 2020. C'est une ligne qui n'est parfois visible qu'en surface, comme dans la persécution d'Assange (ou de Manning, ou de Snowden, etc.) jusqu'à des censures mineures, comme celle qui fait aujourd'hui la une de l'actualité. La signification profonde de ce mouvement souterrain est très claire: la recherche de la vérité et la gestion du discours public en Occident sont désormais des options incompatibles.
Rovelli est accusé d'une chose impardonnable, à savoir d'avoir trahi son appartenance au cercle de ceux qui sont honorés par les élites du pouvoir, en les mettant dans l'embarras. Cela ne peut et ne doit pas se produire. Aujourd'hui, le discours public oscille entre deux pôles, d'un côté la polémique inoffensive et auto-extinguible sur l'ours ou le ragondin du jour, de l'autre la fourniture de munitions à la ligne dictée par le patron, c'est-à-dire par la chaîne de commandement dirigée par les Américains, derrière le char, – de moins en moins triomphant – auquel nous sommes attachés.
Pour les vérités dévoilées, celles qui sont les plus lourdes et les plus dangereuses, l'ordre de détruire est en vigueur, comme le montre le cas d'Assange dont la vie a été annihilée pour servir d'exemple et d'avertissement à tout autre sujet éventuellement enclin à la paranoïa. Pour les insubordinations mineures (Rovelli, Orsini, etc.), il suffit de tomber en disgrâce auprès des courtisans, ce qui se répercute en censure, en chantage silencieux et mesquin, puis en discrédit, en blocage de carrière, etc.
Tout cela est condensé en une leçon fondamentale, une leçon implicite que tout notre système de formatage des esprits, journaux, télévision, écoles, universités, etc. met en œuvre consciemment ou inconsciemment: “Tout ce qui est discours public est essentiellement faux”.
C'est la leçon que les jeunes reçoivent très tôt et dont ils tirent toutes les conséquences en termes de désengagement et d'aboulie. Cette leçon n'échappe que partiellement à une partie de la population moins jeune, chez qui l'illusion des aspirations passées ("participation", "démocratie", etc.) est encore vivace.
La "réalité" dans laquelle nous baignons fonctionne cependant selon le syllogisme infaillible suivant :
1) Tout ce que nous avons en commun en tant que citoyens, en tant que demos, c'est le discours public alimenté par les médias ;
2) Mais ce discours public est désormais purement et simplement faux (ou carrément faux, ou composé de fragments de vérité bien choisis, fonctionnels pour créer un effet émotionnel désiré);
3) Par conséquent, il n'y a plus de demos possible, plus de discours public possible, et donc plus de levier pour une action collective visant à changer quoi que ce soit. Mettez vos cœurs en veilleuse, sauvez ce que vous pouvez.
Dans ce cadre, d'ailleurs, se détache avec intérêt l'attitude des super-diffuseurs de mensonges certifiés, des pontes-gourous de l'information et du pouvoir, très actifs dans la dénonciation de toute hétérodoxie malvenue, posée comme "fake news". Nous sommes donc confrontés à un spectacle à la fois comique et répugnant où les commandants des cuirassés de l'information appellent au naufrage péremptoire des canots sociaux qui ne bénissent pas assez l'altruisme de Big Pharma, qui sont un peu trop indulgents avec Poutine, qui ne respectent pas le dernier catéchisme politiquement correct, et ainsi de suite.
Nous vivons dans un monde où le mensonge instrumentalisateur est désormais la forme dominante du reportage d'intérêt public.
Il y a ceux qui y réagissent par un simple désengagement résigné, ceux qui s'enferment anxieusement dans leur chambre comme des hikikomori, ceux qui cherchent des paradis artificiels dans les pilules, ceux qui acceptent le jeu en essayant de l'utiliser pour un gain à court terme (parce qu'il n'y a pas d'autre horizon disponible); il y a ceux qui tombent dans la dépression ; il y a ceux qui deviennent fous; il y a ceux qui, de temps en temps, cassent tout pour revenir se cogner la tête contre le mur de leur cellule; et il y a ceux qui développent cette forme particulière de folie qui consiste à se battre sans armes contre des géants en espérant qu'ils se révèlent être des moulins à vent.
Au fond coule le courant de l'histoire où notre navire occidental a pris une position inclinée et, avec une inertie irréversible, accélère vers la cataracte. Une fois que la parole publique a perdu sa capacité à transmettre la vérité, il est impossible de lui rendre son poids. Chaque parole supplémentaire dépensée pour corriger les faussetés du passé, si elle atteint la sphère publique, est elle-même perçue comme faible, usée, impuissante.
La société que nous avons mise en place est une société sans vérité, et retirer la vérité du monde social, c'est le condamner à une maladie mortelle.
Combien de temps dureront les grincements, combien de temps faudra-t-il encore pour que tombent les plâtres, combien de temps faudra-t-il encore pour que s'infiltrent les eaux, combien de temps dureront les espaces de vie de plus en plus réduits, cela n'est pas facile à prévoir, mais un monde sans vérité est un monde sans logos, et il ne peut aboutir qu'à cette dimension où les mots sont superflus parce que la violence et la mort ont pris leur place.
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