Dans le brouhaha de SOTU, la foi et la fascination pour BHO

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Nous choisissons deux réactions au discours sur l’état de l’Union de Barack Obama, qui nous paraissent caractéristiques de l’état d’esprit régnant à Washington. (Le discours sur l’état de l’Union est désormais évoqué par l’acronyme de SOTU – State Of The Union.)

• La première est une réaction “à chaud” de Steve Clemons pendant le discours, tel que Clemons l’a trancrite sur son site The Washington Note (ce 27 janvier 2010). Après une longue liste d’impression in vivo du type: “il a raison mais comment va-t-il faire alors qu’il n’a rien fait jusqu’ici dans ce sens?”, Clemons résume son sentiment – et l’on parle bien de sentiment dans le sens de l’émotion.

«I want Obama to succeed. I do. But this speech – thus far – does not push me in his direction. […]

»I am frustrated by it. It's a check off the box speech – not an “I'm changing the game speech.”

»There is a deep part of my mind and psyche that really likes Barack Obama. I am mesmerized by his oratorical skills and framing… […] I want Obama to get this right. He just checked off the boxes on immigration and Don't Ask Don't Tell. Good to mention. Better to get to getting these things done.

»The part of Obama's speech about how hard change is is very good. Change is hard. I get it. But he is a brilliant man – a great man, I think. But he is not winning and he needs to know from those who care for him and his success that the fact that politics is tough is no excuse for not getting the nation moved forward.»

• La seconde est une interview (par RAW Story, le 28 janvier 2010) de Dennis Kuchinic, démocrate de tendance radicale de gauche, un franc tireur qui se trouve très souvent en position antagoniste contre l’establishment.

«Deeply disillusioned last week by his party's insufficient response to the recession, Rep. Dennis Kucinich (D-OH) said Thursday he views President Obama's State of the Union as a step in the right direction but urged him to “be much bolder.”

»“It would be helpful if he could take a page from Franklin Roosevelt,” Kucinich told Raw Story in an exclusive interview. “FDR saw the need for broad structural changes in the economy and also the need for government to invest and put America back to work.” “If we can't fix our economic injustices and improve the standard of living for regular people, we could lose our country.”

»While Obama explicitly called for a new “jobs bill” in the speech, he didn't put forth many details. What kinds of reforms would Kucinich like to see? “We need investments on a massive scale – in the areas of job creation, health care, education, housing. That could change everything.”

»“Is there still time? Yes,” he added. “But we lost a year. And now we need the president to truly rally the nation in a ringing, clarion call for economic reform. The Democratic Party must demonstrate to the people that it has the ability to govern.” “Wall Street cannot be left to its own designs,” he added. “We allowed that and the economy collapsed, in an orgy of deregulation and exotic financial instruments.” […]

»Kucinich said Obama “underestimates his own ability to lift up the nation, and that's why I would advise him to look to do great things. If he calls upon the nation to take bold measures, I think the nation would respond.” “He could still be the transformational leader that so many have seen him to be,” he said.

»Kucinich slammed Obama's economic team for having “yet to demonstrate that they can help America regain economic momentum for Main Street” and alleged many of their suggested policies “run contrary the president's instincts.”»

Notre commentaire

@PAYANT Nous avons choisi ces deux extraits parce qu’ils viennent de deux hommes réputés comme très différents – un modéré réformiste, en général raisonnable quoiqu’il flirte avec le “parti des Fous-de-Rage” , quoi qu’il en soit mesuré dans ses analyses et pas sans indépendance d’esprit (Clemons); un radical, souvent sarcastique, critique intransigeant des tendances de l’establishment et de son parti (Kucinich). Ce qui est si caractéristique dans leurs réactions, c’est effectivement l’émotion prédominante, qui semble dicteur leurs jugements sur l’homme même si la raison ne les empêche pas d’énoncer sans s’en dissimuler en rien les constats qui vont objectivement contre leurs jugements sur l’homme.

Clemons détaille les bonnes intentions de BHO pour l’action à entreprendre, qui ne sont pas nouvelles, qui existaient déjà durant la campagne électorale et dans le discours d’inauguration, et les déceptions qui ont suivi, sans nombre, durant sa première année d’exercice du pouvoir. Clemons revient pourtant à intervalles réguliers sur sa ferveur émotionnelle: «I want Obama to succeed. I do. But this speech – thus far – does not push me in his direction. […] There is a deep part of my mind and psyche that really likes Barack Obama. I am mesmerized by his oratorical skills and framing… […] I want Obama to get this right…» Le verbe “to mesmerize” renvoie aussi bien au nom de Franz Anton Mesmer, un Allemand du XVIIIème siècle, “charlatan pour les uns, thérapeute pour les autres”, connu pour son action et son “enseignement” dans le domaine de l’hypnotisme présenté par lui comme moyen de thérapeutie. L’ambivalence de la référence pour mesurer l’esprit de la formation du verbe rend compte de l’ambivalence de l’effet qu’Obama produit sur Clemons, qui introduit également des réserves tout autant d’origine émotionnelles et psychologiques profondes («I am frustrated by it [by SOTU]»). On peut réellement parler de fascination, au sens psychologique évidemment mais presque au sens d’une pathologie de la psychologie, ce pourquoi le verbe “to mesmerize” correspond si bien, notamment par l’ambiguïté de sa signification. Clemons est conscient de cette ambiguïté, tout en succombant complètement à la fascination par instant. A ces moments-là, il parle d’Obama en détachant Obama de l’action qu’il a menée jusqu’ici, comme s’il l’exonérait de toute responsabilité, notamment en chargeant son entourage et son équipe de cette responsabilité, pour mieux espérer une action révolutionnaire.

Kucinich, finalement, ne montre pas une autre attitude, mais à sa façon qui est différente. On dirait qu’il parle d’un homme qui vient d’être élu, qui survient brusquement comme un radical “révolutionnaire” (dans le sens très amoindri des USA) avec le potentiel d’une action radicale. La référence fondamentale à Franklin Delano Roosevelt est significative (entré en fonction le 5 mars 1933, FDR prend le 5 mars 1933 au soir la décision de fermer les banques, il commence aussitôt sa “révolution”). C’est en ce sens qu’on peut également parler, dans le cas de Kucinich, d’une “fascination” pour l’homme (BHO) et pour son verbe, voire pour son “instinct”, à partir de laquelle il montre une réelle confiance affective qu’Obama suivra effectivement cette voie radicale, alors que la somme de ce qu’il a fait jusqu’ici fait craindre exactement le contraire.

Finalement, on a l’impression d’un Obama qui entre en politique, qui annonce son programme et son action, et qui conquiert son auditoire par sa capacité à fasciner cet auditoire. On a l’impression d’un homme qui n’a encore rien fait et qui annonce une ère nouvelle, “révolutionnaire” (qui annonce cet “American Gorbatchev” que nous avons si souvent cité). Le problème est qu’il a un an d’exercice du pouvoir derrière lui dans des conditions de crise déjà identifiées, ce qui est bien suffisant pour enchaîner un homme aux pressions et aux processus imposés par le système, et alors que lui-même ne renie rien de fondamental de ce qu’il a fait, s’il reconnaît sa faute d’avoir mal mesuré la colère des Américains. La logique du comportement à attendre serait donc celle d’un homme qui va poursuivre de la même façon, cette fois en alternant la poursuite des mesures fondamentales dans un sens, puis d'autres dans le sens opposé pour tenir compte de “la colère des Américains”, c’est-à-dire en accentuant l'évolution vers une paralysie de son pouvoir et du pouvoir en général, de la façon qu’il a montrée depuis le 19 janvier où il a changé d’orientation, par les mesures annoncées et les déclarations, au moins à trois reprises. (Mesures contre Wall Street; l’annonce d’un “gel” de $250 milliards des dépenses publiques, celles qui devraient aider à combattre la dégradation sociale et infrastructurelle du pays et à relancer l’emploi ; l’annonce que l’emploi est la priorité des priorités, mais sans mesures concrètes annoncées…) Le résultat sera toujours plus de désordre.

Une étrange analogie vient à l’esprit, répondant à cette “fascination” même si les situations n’ont évidemment aucun rapport. En 1936-38, durant la “grande Terreur” en URSS (la Iejovtchina ou “période de Iéjov”, du nom du chef du NKVD), nombre d’avis de citoyens soviétiques rapporté par des témoignages nombreux, avis notamment parmi les intellectuels, montraient le sentiment que les horreurs qui se déroulaient étaient le fait de l’entourage de Staline, que Staline n’était pas au courant, qu’il allait en être informé et qu’il allait incessamment mettre un terme à cette folie. Le même processus psychologique de rejet de la faute sur l’entourage, avant l’intervention en sens contraire du “chef”, est apparu à l’occasion du discours SOTU. On peut craindre que cela ne dure que le temps d’un discours qui a réactivé temporairement une forme de fascination. Par ailleurs, on peut mieux mesurer le degré de désespoir politique qu’implique cette réaction psychologique. Effectivement et sans le dire dans ces termes, ils espèrent tous voir enfin apparaître cet “American Gorbatchev”, malgré le temps perdu («Is there still time? Yes», dit Koncinich), cette orientation radicale et brutale si peu dans la tradition, dans les us et coutumes du système de l’américanisme. On ne peut qu’acter cet espoir, mais plus comme une mesure par contraste du désespoir devant le blocage de la machine et l’impuissance du pouvoir, et sans avoir guère de raison logique de croire que ce même espoir sera rencontré.


Mis en ligne le 29 janvier 2010 à 07H41