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17 mai 2004 — Il n’est en effet question que de désarroi, aujourd’hui, aux Etats-Unis. Le désarroi des faucons, d’abord, ces durs qui ont soutenu, porté, encensé l’effort vers la guerre et l’effort de guerre lui-même. Désarroi et amertume désormais, colère et tristesse…
Seuls quelques derniers fidèles continuent à y croire et à plaider la cause comme si rien ne s’était passé : le Wall Street Journal, William Safire, Charles Krauthammer, l’inénarrable Rush Limbaugh, le roi du talk-show qui trouve que les 35 années de sévices de Saddam devraient largement faire fermer les yeux sur les activités US en la matière. Par comparaison au reste, tout cela est du menu fretin, — y compris le WSJ qui, à lui seul, ne peut déplacer les montagnes.
Le reste, c’est effectivement la communauté des faucons secouée jusque dans ses tréfonds. Ci-après, quelques paragraphes exposant les tourments de quelques-uns d’entre eux, restant pourtant plus ou moins guerriers, mais plus tout à fait vraiment, — bref, infiniment tourmentés.
« But many hawks across the political spectrum are having public second thoughts. The National Review has dismissed the Wilsonian ideal of implanting democracy in Iraq, and has recommended settling for an orderly society with a non-dictatorial government. David Brooks, a New York Times columnist, wrote that America entered Iraq with a “childish fantasy” and is now “a shellshocked hegemon.” Journalists like Robert Novak, Max Boot and Thomas Friedman have encouraged Mr. Rumsfeld to resign.
» Robert Kagan and William Kristol, two influential hawks at the neoconservative Weekly Standard, warned in last week's issue of the widespread bipartisan view that the war “is already lost or on the verge of being lost.” They called for moving up the election in Iraq to Sept. 30 to hasten the transition and distract attention from American mistakes.
» “There's a fair amount of conservative despair, which I respect,” Mr. Kristol, the magazine's editor, said in an interview. “My sentiments are closer to anger than to angst. My anger is at the administration for having made many more mistakes than it needed to have made. But we still have to win and we still can win.”
» Andrew Sullivan, the conservative blogger, has questioned whether it was foolish to trust the Bush administration to wage the war competently. After the Abu Ghraib scandal broke, Mr. Sullivan posted such pained thoughts questioning the moral justification for the war that he was inundated with e-mail messages telling him to buck up.
» “Now I'm being bashed for going wobbly,” Mr. Sullivan said. “I'm still in favor of this war and still desperately want it to succeed, but when the case we made for war is undermined by events, we have to acknowledge that and explain why the case for war still stands. Sometimes politicians have to stick to scripts regardless of the facts, but a writer has an obligation to be more honest.” »
Dans ce désarroi général, on peut tout de même distinguer l’amorce d’un mouvement, également général. Il est bien illustré par l’évolution de George F. Will, l’un des plus redoutables va-t-en-guerre, qui, aujourd’hui, laisse éclater son amertume et sa colère. Il suggère à l’administration d’absorber « une bonne dose de conservatisme sans le préfixe “néo” ». La même idée, dite différemment, est exprimée par Tucker Carlson, de l’émission “Crossfire” de CNN : « I supported the war and now I feel foolish. I'm just struck by how many people like me who were instinctively distrustful of government forgot to be humble in our expectations. The idea that the federal government can quickly transform the Middle East seems odd to me for a conservative. A basic tenet of conservatism is that it's much easier to destroy things than to create them — much easier, and more fun, too. »
On voit l’évolution de la pensée, qui correspond antinomiquement à celle des néo-conservateurs lorsqu’ils disent qu’ils sont prêts à se rapprocher des libéraux interventionnistes (au centre-gauche de l’échiquier politique). Les conservateurs qui ont soutenu la guerre retrouvent aujourd’hui l’instinct fondamental du conservatisme américain, qui est le refus des aventures extérieures, la prudence face à l’interventionnisme, la méfiance du gouvernement central, etc. Ce que Will et Carlson recommandent à l’administration, c’est de se rapprocher des thèses d’un Patrick J. Buchanan ou d’un Justin Raimundo. (Le paradoxe est qu’ils devraient avoir Rumsfeld à leurs côtés, Rumsfeld comme nationaliste, qui n’est théoriquement partisan de l’intervention en Irak qu’à condition qu’on s’en sorte au plus vite. Mais on sait aujourd’hui la position de Rumsfeld, prisonnier de la guerre qu’il a conduite, et de la façon dont il l’a conduite.)
Mais allons plus loin. Cette évolution-là, dans une période de profond revers, ressemble à autre chose, de bien plus vaste : un redéploiement vers ce qui pourrait être une tentative de retour vers l’isolationnisme ; dans tous les cas un sentiment qui n’est plus très loin d’une tentation de néo-isolationnisme. Cette idée nous paraît certainement moins absurde, ou obsolète, que nombre de commentateurs libéraux, informés et européens, pourraient le croire, et l’écrire pour en convaincre leurs lecteurs. (L’isolationnisme, il faut le répéter sans cesse, n’est pas l’enfermement sur soi et la rupture avec le reste. C’est le refus des engagements politiques, la méfiance psychologique de l’extérieur, l’attention portée à ses seuls intérêts, etc ; les liens qui rapportent, commerciaux et autres, subsistent évidemment.)
Quant à la situation actuelle, nous sommes complètement d’accord avec l’analyse très riche qu’en donne William Pfaff dans son dernier commentaire pour l’Observer. Ce que nous décrit Pfaff, c’est ce que nous qualifierions (nous l’avons déjà fait) d’“isolationnisme offensif”, qui nous paraît être dans le cas des Américains, une qualification bien plus juste et expressive que la notion d’unilatéralisme, dont l’ambiguïté devrait être évidente aux yeux de tous, — et d’ailleurs, notion employée à cause de cette ambiguïté.
Quelques mots de Pfaff :
« A “new America” was said to have emerged, but it would be better to say an old one found new empowerment. It was recently described by former US ambassador to France Felix Rohatyn as “more radical and more committed than ever to the need for unchallenged military dominance. It is more individualistic than Europe, more religious, conservative and patriotic ... [These factors] will influence everything America does from now on, both in its foreign and its domestic policies.”
» This is undoubtedly true, but this “new” America amazingly resembles the isolationist and xenophobic America between 1920 and 1941. What is new is that it has become the most heavily-armed nation on Earth and believes it is, and should remain, number one.
» Like pre-1941 America, it includes a strong streak of populist anti-European sentiment. What's new is that many political intellectuals and political leaders are anti-European too, annoyed by Europe's pretension to offer a valid alternative to what America considers its manifest destiny, and preoccupied by the threat that the EU might become a serious international rival.
» Despite everything some Americans say today about their future being tied to a dynamic new Asia, Europe remains the society against which the US measures itself. Americans know Europe as the society against which the US rebelled and, in the American mind, superseded. »
On comprend, dans ce contexte, combien il est aisé d’envisager que cet “isolationnisme offensif” se transforme, à certaines conditions, en un “isolationnisme défensif” de type classique. Nous pensons que ce mouvement est d’ores et déjà en marche. Nous pensons également qu’il n’a aucune chance d’aboutir, parce que les conditions psychologiques de l’Amérique ne permettent plus d’accepter le fait même de l’isolationnisme (ou sa version moderne, peu importe) comme une politique énoncée clairement. La faiblesse psychologique de l’Amérique est, à cet égard, extraordinaire aujourd’hui, — car ce sera évidemment par faiblesse que l’Amérique ne réussira pas à redevenir isolationniste, alors que seule cette voie pourrait la sauver. Le choc des échecs encore à venir après les terribles revers déjà subis, peut-être jusqu’à une déroute générale en Irak, vont constituer un choc psychologique terrifiant pour l’Amérique, d’où à peu près tout (surtout le pire) peut sortir sauf un néo-isolationnisme apaisé.
Pfaff :
« The war on terror was founded on an edifice of illusions that virtually no one in the US policy community questioned. That has collapsed. Since they really were illusions about the US itself, the collapse has internal implications.
» The country suffered a disruptive and doubt-filled domestic aftermath of the defeat in Vietnam for more than a decade. The war in Iraq was supposed to give the US the triumph it was denied in Vietnam. Instead, it has doubled the defeat. The consequences of this, abroad as well as at home, are unforeseeable. »