Danse autour de Tea Party

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Le phénomène du mouvement Tea Party aux USA est aujourd’hui le fait politique le plus important dans ce pays, et peut-être même en Occident. C’est donc celui dont on parle le moins en Europe, et notamment en France. Les Leopold, chroniqueur et auteur progressiste (The Looting of America, publié en 2009, attaque violemment la façon dont Washington a sauvé Wall Street), publie une réflexion sur le sujet dans HuffingtonPost, ce 7 janvier 2010.

Il commence son texte par une citation du Wall Street Journal qui vient de donner les résultats d’une nouvelle enquête de popularité de Tea Party auprès du public: «More than four in 10, 41%, of respondents said they had a very or somewhat favorable view of the Tea Party movement, while 24% said they had a somewhat or very negative view of the group. ....Meanwhile, the Democratic Party, which controls both the White House and Congress, has a 35% positive rating compared with a 45% negative rating....The Republican Party identifies closest to the Tea Party movement's ideology, but the group has also caused splits within the GOP. Republicans currently hold a 28% favorability rating compared with a 43% negative one.»

Ces résultats sont impressionnants, encore en progression dans l’esprit de la chose – difficilement transposable en termes de forces politiques organisées puisqu’on compare un “mouvement” et des partis institutonnalisés – par rapport à ce que nous voyions précédemment (le 8 décembre 2009). Tea Party est perçu disons comme le “mouvement” politique le plus populaire (41% favorables, 24% défavorables), devant les démocrates (35% favorables, 45% défavorables) et les républicains (28% favorables, 43% défavorables). Leopold juge ces résultats “stupéfiants” (astounding) et s’en désole d’une certaine façon puisque Tea Party n’est pas, explique-t-il, précisément de gauche: «In fact the nearly all of the revulsion against the economic collapse and bailouts for the super-rich is captured and expressed by the Tea Party. Their recent poll numbers cited above, however fleeting, are astounding. There's no progressive formation that could even be placed onto a poll.»

La désolation de Leopold s’explique et il s’en explique. Toute la colère populaire face aux conditions scandaleuses de la crise (Wall Street et le reste) aurait dû être exprimée par un mouvement progressiste, de gauche, comme elle le fut lors de la Grande Dépression. Ce n’est pas, juge-t-il, le cas avec Tea Party, qui exprime effectivement cette colère («But the Tea Party expresses the fury of Americans who have watched the financial elites rip off the economy, then crash it, then cash in on government bailouts, and then commence to rip off the economy all over again.») Pire encore, estime-t-il, Tea Party, s’il exprime effectivement cette colère, ne la dirige pas expressément contre les pires coupables de la crise: «Our new billionaire bailout society is not threatened by the Tea Party. In fact, the Tea Party's anti-government, anti-regulatory call is precisely what Wall Street wants: the less government interference, the more profits and bonuses. Also, the Tea Party is not calling for pay caps, or financial transactions taxes or jobs programs or the return to Glass-Steagall. Wall Street can live with their rabble rousing rhetoric.»

Leopold détaille d’autres aspects de Tea Party, son activisme, son allant, son aspect anti-establishment qui le fait attaquer aussi bien les républicains qui tentent de le récupérer, etc. Il termine en exhortant la gauche progressiste à tenter de monter un tel mouvement de son côté, cela avec une conviction moyenne… Et, ainsi, expose-t-il, à nouveau, les contradictions insolubles de ceux qui pensent encore en termes idéologiques, notamment à propos de Tea Party.

Notre commentaire

@PAYANT Une bataille terrible déchire aujourd’hui la droite US, contrairement au tableau qu’en fait Leopold qui tendrait à montrer la prépondérance paradoxale de “la droite” dans l’activisme social avec Tea Party. C’est que, justement, ces termes, “droite” et “gauche”, n’ont vraiment guère de sens.

Le parti républicain essaie depuis un an de récupérer Tea Party – on le comprend – mais ce qui se passe actuellement, alors que la campagne électorale commence, est que le parti républicain n’est pas loin d’être menacé de scission. Tea Party réplique avec tant de force aux entreprises des républicains qu’il retourne contre ce parti les pressions exercées. Désormais, le parti républicain est menacé d’une division entre ceux qui sont prêts à devenir franchement populistes pour avoir le soutien de Tea Party (c’est-à-dire prendre à leur compte nombre des points de revendication de Tea Party), et ceux qui refusent de céder sur ces exigences, au risque quasiment assuré de s’attirer l’opposition de Tea Party (voire de susciter individuellement des candidatures républicaines dissidentes, pro-Tea Party, contre des candidats républicains non soutenus par Tea Party).

En d’autres termes, Tea Party est très puissant, sans nul doute, mais la droite ne triomphe pas. La cause en est que Tea Party est d’abord anti-establishment, et cela n’est pas une position idéologique “de droite” ou “de gauche” mais une position populiste, dans le sens de la révolte populaire contre un pouvoir absolument corrompu et discrédité. Leopold, lui, raisonne en idéologue et en partisan d’une réforme profonde d’un système qui doit pourtant rester en place; pour cette raison, son raisonnement est vicié. Tea Party est anti-Big Government, donc anti-progressiste, donc pro-Wall Street? Le raisonnement est court, parce que le soi-disant Big Government (Roosevelt dans les années 1930 et les démocrates en général) n’a jamais liquidé ni même discipliné Wall Street et c’est un démocrate (Clinton) qui a complètement dérégulé Wall Street et lancé la globalisation, les deux aspects d’une même politique qui a abouti à la situation actuelle. Leopold raisonne comme si Washington pouvait être réformé dans un sens “progressiste” (bonne chance avec Obama) tandis que Tea Party attaque Washington avec des objectifs contradictoires, désordonnés, etc. Où est l’efficacité, où est la possibilité de rupture?

L’intérêt de Tea Party, justement, est qu’il n’a pas de programme défini, de programme d'une réforme même radicale dont on peut être sûr qu’il serait, à un moment ou l’autre, récupéré et “blanchi” par Washington (dans le sens du blanchiment de l’argent). Tea Party est une force brute de rupture, que personne n’arrive pour l’instant à dompter et à canaliser, qui, au contraire, sème la division dans les forces de l’establishment en apparence les plus proches de lui (les républicains). Traduisons dans nos termes habituels: Tea Party attaque la force déstructurante la plus organisée du monde, l’establishment de Washington. Par équivalence contradictoire, Tea Party est un mouvement paradoxalement structurant, ce qui vaut toutes les vertus des vieilles lunes poussiéreuses des idéologies passées à la moulinette du système, et qui n’ont jamais été, à droite comme à gauche, que les faux-nez arrangeants de ce même système.

Ce qui est encore plus impressionnants que les chiffres d’opinions favorables de l’enquête présentée en tête d’article, ce sont les opinions défavorables: 24% du public défavorable à Tea Party contre 45% et 43% respectivement aux partis démocrate et républicain. Cela mesure la puissance anti-establishment de Tea Party dans la perception du public. On se demande si la véritable vertu de Tea Party, avec tous ses slogans contradictoires, dont certains suspects, son absence de programme, etc., n’est pas justement dans ce désordre… Il s’agit du “désordre structurant” contre l’“ordre déstructurant” de Washington.

Dans une interview par Rachel Maddow, de MSNBC, le 6 janvier 2010, Ron Paul indique clairement que Tea Party ne va nullement aider le parti républicain et son jugement très contrasté se résume à ceci: «I think they're unhappy… [… The Tea Party is made up] of both Republicans and Democrats disenchanted with the establishment party.» Alors qu’il est très populaire dans Tea Party, Ron Paul a une attitude incertaine vis-à-vis de ce mouvement parce que, justement, il ne peut porter de jugement politique précis et qu’il reste lui-même un constitutionnaliste partisan de l’ordre des structures américanistes de l’origine même s’il est le plus vibrant opposant aux folles politiques expansionnistes et bellicistes du système. Certaines de ses paroles, durant cette interview, sonnent comme un avertissement: Tea Party a des potentialités extrêmement sérieuses, à la fois des potentialités de désordre et des potentialités révolutionnaires.


Mis en ligne le 8 janvier 2009 à 07H48