Danse de Saint-Guy sur un volcan furieux

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Il est connu et d’ailleurs rappelé dans l’une ou l’autre analyse que le Congrès des USA a déjà débattu sans grand fracas et voté sans réel problème le relèvement du plafond de la dette des USA plus de 60 fois depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il semblerait au sens commun si à l’ouvrage ces derniers temps impossible de penser que cette fois encore, alors que l’enjeu est capital pour les USA en termes d’abord d’“image”, de “réputation”, de confiance des autres en eux-mêmes, le Congrès ne ferait pas de même. Mais c’est peut-être se tromper de “sens commun”, et faire d’une illusion née de l’American Dream une caricature invertie du sens commun. Peut-être que le sens commun nous dirait que cette fois, justement, le sort ne dépend plus d’un vote si courant mais bien de la signification profonde des circonstances qui mènent à ce vote et de celles qui en émergeront, quel que soit le sens du vote.

• On ne s’étonnera pas vraiment que le reste du monde ne parvienne pas à croire sérieusement que les USA puissent se laisser conduire à une telle issue, en général décrite comme “suicidaire”, de ne pas arriver à un accord, et à le voter. C’est notamment l’avis des Asiatiques, qui se trouvent finalement en dehors de la pression psychologique et des élans d’exaltation morbides ou furieux, ou excessivement optimistes, qui marquent l’évolution du “bloc BAO”. Dans l’extrait ci-dessous, (Reuters, le 25 juillet 2011), on nous dit que les marchés eux-mêmes n’ont pas montré la très grande fébrilité, ce lundi 25, que certains espéraient à Washington pour forcer à un accord à leur avantage. Cette même dépêche donne un avis d’un financier sud-coréen, selon lequel les USA ne vont pas se suicider, qui est le même avis que répandent avec diligence les dirigeants chinois, à la fois incrédules et plein d’une assurance qui paraît, parfois, juste un peu forcée...

«Financial markets were uneasy in Asia and Europe on Monday about the prospect of a first-ever U.S. debt default, which Fed Chairman Ben Bernanke has said would be a “calamitous outcome” for the U.S. and the global economy. European and Asian stocks fell 0.4 percent to 1 percent. U.S. stock futures prices were also down 1 percent, suggesting a weaker start on Wall Street later. Gold, the favored safe haven, rose 1 percent to a record high. But there was no panic selling that some politicians in Washington had feared after the weekend talks broke down. “There's an old saying that things don't matter until the day they matter; we're getting close to the day when it will matter,” said Quincy Krosby, market strategist at Prudential Financial in Newark, New Jersey. […]

»Despite the breakdown in talks, officials in Asia remained confident U.S. lawmakers would strike a last minute deal to avert default, although worry levels are rising. “Those in direct charge of reserves operations must be more nervous than before,” said a senior official at South Korea's central bank, who spoke on condition of anonymity because he was not authorized to speak to the news media. “But nobody thinks Americans will choose suicide when they have known solutions.”»

• Le très raisonnable, mesuré et intelligent président Obama en a conclu, pour la nième fois parce qu’il lance désormais cette sorte d’ultimatum au Congrès et aux républicains tous les deux ou trois jours, que les républicains ne sont pas très raisonnables. Lui aussi, Obama, le très raisonnable et très mesuré, et très intelligent président, ne pense pas que les USA “vont se suicider”. En même temps qu’on nous rapporte son intervention, on nous rapporte que le Speaker Boehner (Chambre) présente son plan, et que le sénateur Reid (Sénat) présente le sien, tandis qu’on nous rappelle que le président lui-même a le sien. Qui n’a pas son plan ? Qui a dit que les USA ne voulaient pas résoudre leur crise ?

«U.S. President Barack Obama Monday berated Republicans for their “cuts-only approach” to reducing the deficit and raising the debt ceiling. The Democratic president criticized intransigent lawmakers who would make compromise “a dirty word” and would allow “American people to become collateral damage to Washington's political warfare.” “This is no way to run the greatest country on Earth,” Obama said of the brinksmanship that has the nation teetering toward the possibility of default on its financial obligation. “It's a dangerous game that we've never played before, and we can't afford to play it now, not when the jobs and livelihoods of so many families are at stake.”

»While he offered no specific way to break the stalemate, Obama urged Americans to contact their congressmen with their views. House Speaker John Boehner, R-Ohio, followed Obama's 15-minute address to a national audience with a 6-minute speech of his own…»

• Le Guardian a son idée, idée lumineuse sans aucun doute comme l’est toujours la découverte du fil à couper le beurre : les républicains veulent la peau d’Obama. Ils veulent le démolir pour lui enlever toutes ses chances, ou la plupart disons, d’être réélu. Car, vous confie-t-on, les républicains ont tout ce qu’ils veulent avec l’un ou l’autre “dernier plan” du président (ou des démocrates), – il y en a tant, – mais, comprenez-vous, ce qu’ils veulent n’est pas vraiment un plan à leur avantage mais la peau d’Obama… Et cela, écrit le quotidien dans son éditorial du 26 juillet 2011, cela s’appelle “jouer à la roulette russe en Amérique”.

[…] «The latest formula, unveiled yesterday by the Senate majority leader Harry Reid, has no new taxes at all. This alone has caused some to conclude that the Republicans have won, but do not yet realise it. But the argument is not about the formula. It is about stopping an elected president, who has every chance of winning a second term, from functioning. The mere fact that Mr Obama embraces a plan, no matter how far right it leans, is enough to kill it in Republican eyes. The bottom line seems to be that they do not accept his legitimacy as president. He is everything the Republican base and the rightwing talk show hosts hate. [ …]

»The damage created by a US default is real enough – a jump in interest rates, a collapse of the dollar and a return to a global slump. And that is not counting the 70 million cheques for social security, veterans and disabled that go out each month from US federal coffers. These are not only immediate effects of a default but lasting ones. Glorying in the tactical stand of the moment is more important to Republicans than the havoc a default would wreak on the world markets. If this is a sample of the world leadership they intend to offer in government, they are making an excellent case for why they should be considered unelectable.»

• …Même le FMI, le fidèle FMI ex-DSK revu-Lagarde, hausse le ton et fronce le sourcil pour admonester, – comme les temps changent, – son mentor et son inspirateur. Il exige des USA qu’“ils mettent de l’ordre dans leur propre maison”, qu’ils s’exécutent vite fait et qu’ils votent un accord pour retenir le monde dans sa chute vers le chaos général, – c’est-à-dire pour la ralentir un tantinet, cette chute… Le bureau des directeurs du FMI, tous unis derrière sa nouvelle leader française, lance donc un solennel avertissement au pays fondateur de l’ordre dont lui, le FMI, est une des émanations les plus spécifiques. (Dans le Guardian du 25 juillet 2011.)

«The International Monetary Fund called on the United States to resolve its debt crisis amid warnings from one of the world's most influential investors that the country risked losing its triple-A credit rating within months because of the reputational damage caused by the ongoing disagreement over the debt ceiling. Amid nervous trading on both sides of the Atlantic, the directors of the Washington-based fund “highlighted the urgency of raising the federal debt ceiling and agreeing on the specifics of a comprehensive medium-term consolidation programme” in its review of the country's economic prospects.»

• Là-dessus, nous entrons dans le domaine plus délicat des prévisions, – accord washingtonien signé ou pas signé. Du côté des experts, le pessimisme le plus noir est de règle, et il jaillit de tous les côtés. Les milieux financiers anglo-saxons font grand cas de l’avertissement lancé par Mohamed El-Erian, un des dirigeants de la grande firme de transaction financière Trimco. Pour lui, quoi qu’il arrive, même si un accord de dernière minute est atteint, les dégâts causés à la stature de l’Amérique, à son image, à sa réputation, dégâts désormais considérables et irréversibles, n’empêcheraient pas éventuellement de voir sa sacro-sainte cotation (AAA) dégradée, ouvrant ainsi la porte à l’inconnu sans aucun doute catastrophique… El-Erian écrit cela dans Huffington.post, et l’analyse est reprise par le Daily Telegraph le 25 juillet 2011.

«America's escalating debt crisis has severely damaged its reputation in the financial markets and could lead to the country losing its triple-A credit rating within months, one of the world's most influential investors warned on Monday. Mohamed El-Erian, chief executive of bond trading giant Pimco, lambasted Washington politicians for their failure to reach a compromise to raise the US's debt ceiling. With time rapidly running out, El-Erian believes the dispute – carried out in full view of an anxious world – has left investors more wary about America's prospects.

»“In most likelihood, a last-minute political compromise will avoid a default but will leave the AAA rating extremely vulnerable,” said El-Erian, whose company is the world's biggest bond trader. “The country can ill-afford to lose the confidence of large foreign holders of US Treasury bonds, overseas manufacturers with factories here, those that use the dollar as the reserve currency, and the many who have outsourced to here the intermediation of their hard-earned savings and pensions,” added El-Erian, writing in the Huffington Post.»

• Si l’on, veut être plus précis, on s’adresse notamment au professeur Kotlikoff, de l’université de Boston, qui explique que la formule “Ponzi”, qui caractérise depuis des décennies le montage américaniste, trouve toujours un terme qui déclenche son écroulement lorsque les naïfs et les aveugles n’acceptent plus de jouer le jeu. En fait, dit Kotlikoff, l’Amérique est d’ores et déjà en faillite, plan ou pas plan, et un plan finalement voté ne serait qu’un mouvement de recul pour mieux sauter dans l’abîme.

[…] «Boston University’s Professor Laurence Kotlikoff goes further: America is already bankrupt. Writing for Bloomberg, he explained that US debt is much greater than has been declared: “Congress has been very careful… to label most of its liabilities as 'unoffical’ to keep them off the books and far into the future… This is what happens when you run a massive Ponzi scheme for six decades straight, taking ever larger resources from the young and giving them to the old while promising the young their eventual turn at passing the generational buck.”

»Ponzi schemes survive as long as they are able to attract increasingly bigger contributions from ever more participants. Eventually they collapse under the burden of impossibility. This is where America is heading. It is beyond the point at which it can cut benefits or raise taxes sharply enough to prevent exponential debt growth.

»If Democrats and Republicans can cobble together a compromise this week – and the markets still give them the benefit of the doubt – their fix will be nothing more than crisis deferral…»

…Et tout cela vous permet de conclure, une fois de plus, que nous sommes en avance sur les prévisions, et que le principal potentiel de l’opération est d’ores et déjà réalisé et en pleine exposition. Il est, bien entendu, d’abord psychologique. Il est d’acter et de mesurer une étape de plus de l’effondrement de la puissance d’influence des USA, de la lacération impitoyable de leur réputation de seule et unique “hyperpuissance” et inspiratrice de la marche du monde, d’émanation absolument accomplie du Système. Par conséquent, on comprendra très aisément que les USA, fidèles serviteurs du Système, suivent parfaitement la voie tracée par celui-ci, avec l’irrésistible prédominance désormais accomplie de sa dynamique d’autodestruction sur sa dynamique de superpuissance, avec même la perversion supplémentaire de la dynamique de surpuissance conduite à devenir le moteur principal, par sa puissance naturelle et aveugle, de la dynamique d’autodestruction. Le parallélisme des deux dynamiques a basculé en faveur de celle de l’autodestruction sans ralentir celle de la surpuissance qui agit désormais en mode d’inversion par rapport à l’intégrité du Système, signe que l’effondrement dans la chute finale est désormais un fait acquis, et une dynamique qui, elle-même, ne cesse d’accélérer.

Effectivement, quoi qu’il arrive le 2 août, la messe est dite. Un accord éventuel ne résoudrait techniquement rien et la réputation des USA serait pervertie à jamais comme elle l’est déjà et parce qu'elle l'est déjà, dans le chef de ce que représentaient les USA en termes de puissance et d’influence. Tous les acteurs semblent parfaitement tenir leur rôle, avec leur inconstance (Obama), leurs manœuvres (les républicains), leur faiblesse de riposte (les démocrates), leurs contradictions (entre républicains), et tous leur vision provinciale qui est désormais la marque de Washington, – comme l’écrit Fedor Loukianov : “[L]orsque les Américains débattent sur leur propre sort, ils ne se préoccupent plus du reste du monde.» Le problème des provinciaux, désormais complètement subvertis par eux-mêmes, est qu’ils ne sont plus guère préoccupés que de l’assombrir encore, leur propre sort, comme s’ils étaient assurés que ce sort est réglé…

Certes, on peut faire tonner l’apocalypse, et les économistes s’en donner à cœur joie si ceci se passe, si cela se passe, du côté des USA, et les conséquences pour le reste, etc. La question n’est absolument pas économique, et donc pas plus le diagnostic et les prévisions, catastrophiques ou pas. C’est une question de civilisation, et donc la question de la contre-civilisation, c’est-à-dire du Système, dont les USA ont été les plus zélés et les plus efficaces exécutants, et dont ils sont aujourd’hui, en toute logique surpuissance-autodestruction, la force la plus irrésistiblement destructrice. Il est inutile d’essayer de prévoir ce qui se passera le 2 août, si les USA éviteront ou pas “le suicide” qui n’est en fait qu’une image un peu publicitaire pour désigner une étape dans le processus d’autodestruction qu’est la Chute. (Car autodestruction n’est pas “suicide” : il s’agit d’un processus mécanique, un déterminisme technique de la nature même du Système, et nullement un geste tragique et terrible, supposant une certaine volonté.) L’affaire du “suicide” ou pas, dont nul ne sait ce que cela signifie per se et malgré l’inexactitude de l’image puisque l’hypothèse d’un “mauvais accord” qui serait pire que “pas d’accord du tout” est extrêmement fondée, est un aspect secondaire du processus général. L’étape sera ce qu’elle sera, accord réalisé ou pas, mais il est assuré que c’est effectivement une étape de plus sur cette voie désormais parfaitement identifiée. Il faut donc déjà se préparer aux suivantes (d’étapes), comme on fait pour le Tour de France.

(Nota Bene – Il existe une excellente visualisation quantitative de ce que représentent la dette US [équivalente à $15.000 milliards en décembre 2011], et également les “unfunded liabilities” [$114.500 milliards] du gouvernement US. La visualisation part du billet de $100 dollars et arrive à un amoncellement de billets de $100 équivalent au volume d'un gratte-ciel d'une hauteur double de l'Empire State Building et d'un bâtiment annexe. Voir le site http://www.wtfnoway.com/.)


Mis en ligne le 26 juillet 2011 à 08H21