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144225 janvier 2007 — Qui se plaindra que la crise climatique soit prise au sérieux si elle est sérieuse? Notre conviction est qu’elle est sérieuse, donc nous ne nous plaindrons pas, — et vive Sir Nicholas, goddammit! Nous y sommes…
Vive Madame Janet Martinson, commentatrice du Guardian, pour son article du 24 janvier, qui nous permet d’embrasser exactement la mesure des choses dans notre époque, rien de moins. L’importance exceptionnelle du conformisme de la pensée, l’importance exceptionnelle de la crise climatique. Donc, exit Bono et Sharon Stone (dommage pour Stone, qui n’est pas mal)…
«Move over Sharon Stone and Bono. A small, grey-haired man wearing a grey suit and a slightly startled expression was the unlikely star of today's Davos», écrit Janet Martinson pour commencer son article.
… Article qu’elle termine de cette façon : «[Davos]conference founder and president, Prof Klaus Schwab, who has heeded calls to change the tone of this year's Davos after a string of celeb-dominated encounters. Asked why Sharon et al had fallen off the guest list this year, he said in his inimitable accent: “We didn't feel in need of an accelerator of our issues.”» (Sympa pour Stone, qui n’est pas mal : “ accelerator of our issues”.)
Madame Janet Martinson consacre son court article à la rencontre annuelle de Davos. Ce qu’elle nous dit est que, aujourd’hui, dans le monde des affaires, du business, de la globalisation, des centaines de $milliards, des fusions-acquisitions, la mode est à l’Apocalypse, à la crise climatique. Appelez cela “Climate Chic” ou “Global Warming Chic”, que sais-je encore. Janet Martinson nous décrit un Davos où le dernier chic est de se presser dans la pièce de conférence où Sir Nicholas Stern nous décrit les termes de la crise. On croirait presque entendre la jubilation, car voilà du nouveau, et, comme l’on sait, le nouveau c’est excitant (et le “green market”, le business de la lutte contre le global warming, cela marche…)
Dito, sous la plume de Martinson :
“A session on “making green pay” starring Sir Nicholas Stern, the former government economist and author of last year's groundbreaking report into climate change, was standing room only. In spite of being held in the hotel's largest meeting room, an orderly queue of not-too happy conference goers were made to stand outside for 20 minutes until they were told to go away as the numbers inside already presented a fire risk.
»There were five others speaking at the event but the real star of the show — if the number of reporters huddling around him afterwards and delegates regaling him with their own plans to save the world are anything to go by — was the man who has spent a lifetime of anonymity (teaching Peter Mandelson does not count) before writing a report that told us all how bad we are. He called refusal to pay for the environmental damage we do “the biggest market failure the world has ever seen”.»
Le reste, comme disent nos amis britanniques, “is history”. Davos-2007 a consacré le triomphe de l’idée de crise climatique. La plus fantastique machine de notre monde postmoderne, c’est le conformisme. C’est la “non-pensée unique” qui se répand dans le monde comme une traînée de feu, et non la liberté comme nous disait un GW Bush dostoïevskien il y a deux ans.
Et alors? dira-t-on. Si la prise de conscience du global warming a du bon, pourquoi pas cette méthode : Stern-spin doctors britanniques-Davos, et nous n’avons plus besoin du brave Nicolas Hulot — ni de la chère Sharon Stone qui n’est pas mal? Aujourd’hui, la vertu écologique a envahi notre monde comme une traînée de flammes dostoïevskiennes. La mobilisation générale n’est pas décrétée, elle est proclamée d’enthousiasme, dans une espèce de Serment du Jeu de Paumes transposé dans le luxe des stations de ski des Alpes suisses (où il y a encore un peu de neige). Plus aucun businessman sérieux, plus aucune Merkel triste comme un jour sans pain, plus aucun Barroso avantageux n’est plus capable de penser autrement que selon cette ligne.
En trois mois moins deux jours, exactement depuis que Sir Nicholas nous a fait connaître son verdict, la cause de la guerre contre le global warming est entendue. Le pauvre George W. s’est ridiculisé, mardi à Washington, avec ses histoires de carburant trafiqué qui font ricaner les connaisseurs. La solitude du président US qui ne sert plus à rien, avec sa “Long War” qui fait antiquité, nous ferait presque naître un sentiment de compassion.
La démonstration est faite du mode de fonctionnement de notre monde. La liberté de pensée est un droit commun, comme l’emprisonnement, dont peu de monde a vraiment le goût d’user. Ils préfèrent tous l’alignement automatique de la pensée. C’est un penchant extraordinaire de notre ère psychopolitique, dont les effets peuvent être dans le domaine du meilleur comme dans celui du pire. Le processus est profondément ancré dans une époque où l’homme préfère s’harnacher d’une pseudo-pensée commune plutôt que de sacrifier à l’exercice de sa propre pensée. C’est un bien triste constat sur l’évolution de notre espèce, là où nous en sommes aujourd’hui ; c’est le constat que notre crise, à nous l’espèce humaine, est bien aussi grave que la crise climatique (ceci va avec cela, indeed). Il suffit d’être britannique, — ce peuple en absolue décadence et si versé dans l’art de l’illusion virtualiste, ou spin —, de faire faire un rapport par Sir Nicholas, d’être authentifié par le Financial Times, d’être salué par le clown Tony Blair, pour que le monde bascule cul par-dessus tête, que la pensée change radicalement d’orientation et adore aujourd’hui ce qu’elle brûlait hier. C’est fini, on ne ricane plus, ni ne s’alarme d’ailleurs, dans les restos chic et les palaces postmodernes, devant les “élucubrations des gauchistes écologistes”. Sérieux maintenant, et le business suit.
Qu’importe sinon ceci :
• Le monde a basculé et proclame aujourd’hui la crise climatique comme crise systémique centrale. Le processus est grossier, le conformisme triomphe, la gloire de l’homme est frelatée, mais…
• … L’événement est essentiel. La crise climatique existe, cela est acquis, et plus rien ne sera jamais comme avant.
• L’être humain s’est couvert de ridicule et le plus triste est que cela nous prive de Sharon Stone (qui n’est pas mal) à Davos. L’Histoire a fait, en trois mois moins deux jours, depuis le 27 octobre 2006, un grand pas.
• Les voies de la grande Histoire sont impénétrables, celles de la pensée de l’espèce humaine postmoderne assez dérisoires.
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